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Comment Vladimir Poutine vient de ressusciter le KGB
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Place Rouge

D’après l’un des principaux journaux russes, Kommersant, une réorganisation des services de renseignement est en cours en Russie, réunissant le FSB (la principale agence) avec le service de renseignement extérieur (le SVR) au sein d’un grand service, le Ministère de la sécurité d’Etat.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Vladimir Poutine est en train de fusionner les services de renseignement dans un puissant ministère de la Sécurité d'Etat. Poutine est-il en train de créer une réplique du KGB ? Dans quelle mesure ce ministère répond-il à un besoin de Poutine de renforcer son autorité et de protéger le régime ?

Florent Parmentier : Effectivement, d’après l’un des principaux journaux russes, Kommersant, une réorganisation des services de renseignement est en cours, réunissant le FSB (la principale agence) avec le service de renseignement extérieur (le SVR) au sein d’un grand service, le Ministère de la sécurité d’Etat. Cette agence serait de fait plus puissante que le FSB, dont on critique déjà l’omniprésence en Russie et la propension à étouffer la dissidence. 

Réformer le service de renseignement et chercher une meilleure cohésion entre les services de renseignement liés aux enjeux de sécurité nationale et ceux liés aux opérations militaires n’est pas en soi une mauvaise chose, à condition de conserver des garde-fous. Les enjeux sont de plus en plus entremêlés : un jihadiste russe ou post-soviétique passé par la Syrie, où la Russie mène des opérations connues, concerne à la fois la sécurité intérieure et les opérations militaires de Moscou. Il faudra donc voir dans le détail quelle est la réforme proposée, et avec quels objectifs avancés – ce n’est pas seulement par imitation du KGB que les autorités procèdent, c’est également en fonction d’enjeux bien réels. 

La réforme peut toutefois s’interpréter dans un double temps électoral : les élections législatives ont montré une participation plus faible qu’à l’accoutumée ; contrairement à la "révolution blanche" de 2011-2012, le scrutin a suscité de l’indifférence dans les grandes villes, plus que de la révolte. Elle s’inscrit également dans la perspective de la présidentielle 2018. C’est dans ce cadre qu’on peut analyser la reprise en main par Poutine de ces services, en vue de préserver le régime. 

Dans la nuit du 18 au 19 septembre… le pays est passé d'autoritaire à totalitaire" a écrit un député libéral russe. Cette analyse de la situation vous semble-t-telle pertinente ? Comment qualifieriez-vous le chemin emprunté par la Russie ?

Depuis l’arrivée aux responsabilités de Vladimir Poutine, l’autoritarisme assumé du pouvoir ne cesse d’être mis en avant pour les opposants et les analystes. Attaques contre les opposants, étouffement des organisations de la société civile, droits des minorités… Il est naturel qu’un député libéral s’inquiète de l’empiètement des services de renseignement sur le droit des individus, particulièrement dans un cadre où l’Etat de droit reste un objectif lointain. 

C’est oublier peut-être que la situation des années 1990 était déjà loin d’être un cadre démocratique idéal : sous les mandats de Eltsine, le bombardement de la Douma en 1993 et l’élection présidentielle largement truquée de 1996 étaient des violations flagrantes des principes démocratiques, avec un large assentiment des Européens et des Américains. 

De fait, l’étiquette de régime totalitaire manque des différences majeures entre l’Union soviétique des années 1930 et la situation actuelle : en dépit de toutes les difficultés, la société y est plus complexe socialement, plus ouverte sur l’international, et le système répressif n’est en rien comparable, sauf à vouloir caricaturer à dessein. Ce qui ne veut pas dire que la situation actuelle peut être satisfaisante pour un démocrate européen. 

La situation russe doit s’analyser non pas avec des étiquettes préconçues, mais avec une perspective inspirée par la sociologie historique. C’est l’approche que j’ai développé dans Les chemins de l’Etat de droit (Presses de Sciences Po, 2014) : il ne faut pas céder au pessimisme culturel – la Russie n’a jamais ou si peu été une démocratie – ni à l’optimisme institutionnel – quelques réformes institutionnelles suffiront à remettre la Russie sur le droit chemin. Il faut analyser la non-émergence d’un Etat de droit en Russie comme l’illustration d’une trop grande concentration des élites, ce qui empêche l’apparition de contre-pouvoirs réels. Les élites russes se méfient de cette situation, car elles ont été confrontées à l’inverse au cours des années 1990 : leur trop grande dispersion s’était accompagnée d’un effondrement du statut international de la Russie. Si l’Etat de droit apparaît comme moyen de résoudre des conflits et d’arbitrer entre différents groupes d’intérêts, alors le chemin de la Russie n’est pour le moment pas celui-là. 

En résumé, cette loi n’est pas un 18 Brumaire : la date ne fait pas seuil dans l’évolution des pouvoirs en place. 

Quelle sera la mission de ce nouveau ministère ? Quelles sont les implications d'une fusion des services de défense et de sécurité intérieure ?

L’évolution des services de défense et de sécurité intérieure doivent permettre de mieux faire face aux nouvelles menaces : à la traditionnelle défense du territoire et des populations s’ajoute dorénavant de nouveaux risques et menaces concernant par exemple les enjeux de la cybersécurité. Le continuum sécurité – défense est également une réalité en France, depuis le Livre blanc 2008 de la Défense, et a été confirmé en 2013. 

Sur le plan organisationnel, la nouvelle agence concernera près de 250 000 personnes, avec des ramifications dans de très nombreux secteurs et d’institutions étatiques. Les relations entre Vladimir Poutine et les services de renseignements ne sont pourtant pas aussi simples qu’elles apparaissent à première vue : avant ce projet de reprise en main, il avait plutôt essayé de diviser pour régner. En outre, il faut rappeler que les Gardes nationaux, créés en juillet dernier, qui sont en charge de contrôler les troupes de sécurité intérieure, sont également reliés directement à la Présidence. 

Cela confirme la thèse d’une reprise en main de ces institutions, afin de protéger le régime autour de Vladimir Poutine, d’autant qu’on a assisté dans le même temps au remplacement d’un certain nombre de personnes haut placés, dans une politique de rajeunissement des cadres et de recherche de personnalités loyales au pouvoir. 

Au-delà de l'affirmation d'un pouvoir personnel et au regard des défis auxquels la Russie est confrontée, cette réforme peut-elle répondre aux besoins de sécurité de la Russie ? 

Les défis qui se présentent à la Russie sont immenses, de la défense du plus grand territoire du monde au terrorisme islamiste en passant par les opérations militaires. De ce point de vue, Vladimir Poutine est autant conscient des enjeux actuels que ne pouvait l’être Andropov en 1982-1984, lorsqu’il devait faire face à une guerre en Afghanistan, une chute des prix du pétrole et une crise économique entamant la légitimé du régime dont il avait la charge. 

Faite pour sécuriser le pouvoir autour de la personne de Poutine, la réforme pose la question des services de renseignement dans des régimes semi-autoritaires ou autoritaires, mais ne doit pas nous faire oublier nos propres évolutions démocratiques et la question du contrôle de ces services, des démocraties illibérales en Europe Centrale aux divers Etats d’urgence que nous observons. 

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