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Comment la droite populiste-identitaire s'est (finalement) imposée
©Pixabay

Et pendant ce temps là...

Le très jeune Sebastian Kurz devient chancellier et permet au parti conservateur de se relancer. L'homme qui avait fermé la route des Balkans lors de la crise des migrants prend donc les rênes du pays.

Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

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Atlantico : Comment analysez-vous ces résultats impressionnants aux élections autrichiennes ?  Est-ce que la coalition verts et le SPÖ a produit une hausse des conservateur et de l'extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Avant tout il faut comprendre que le Parti conservateur plonge ses racines dans le vieux parti social-chrétien qui a été un des partis historique de la 1er république et que l'on est dans un pays qui a une grande stabilité politique où se distinguent trois groupes politiques. Celui des conservateurs, les socio-démocrates et le FPÖ qui est rattaché à ce qu'on appelle le camp  national libéral qui pose ses racines très loin dans l'Histoire du pays également.

Dans cette élection toute la performance des conservateurs a été de rendre crédible Sebastian Kurz, à la fois comme un leader charismatique et comme personnalité qui veut faire bouger les choses alors qu'il est membre d'un parti des plus traditionnels. La question qui va se poser dans les semaines qui viennent est : "Va-t-il bousculer le parti qui l'a désigné comme tête de liste ou est-ce que la ligne traditionnelle va reprendre le dessus ?"

Pour l'instant ils ne sont pas alliés au FPÖ. Le FPÖ est encore au coude à coude avec les socio-démocrates qu'ils dépassent d'une courte tête. Il est très probable que la prochaine coalition soit entre les conservateurs et le FPÖ et ce ne sera pas la première fois. Ca a déjà été le cas après les élections de 1999. Ce que l'on a  du mal à comprendre ici c'est que ce parti qu'on décrit comme un parti d'extrême droite  mais qui est totalement intégré dans le jeu politique, est un partenaire de coalition depuis bientôt 50 ans et qui est complètement normalisé.

Plus que l'alliance entre Verts et SPD, les conservateurs s'en sont sortis grâce aux multiples erreurs de leurs adversaires - comme cette histoire invraisemblable de faux comptes Facebook montés par ce communicant israélien que le FPÖ avait embauché pour faire sa campagne. Uniquement du dénigrement, cela a finit par se retourner contre eux.

Par contre, ce qui est sûr c'est que le logiciel social-démocrate ne se renouvelle pas. Ce n'est pas un phénomène propre à l'Autriche c'est un phénomène européen. On a un effondrement à travers l'Europe de la gauche comme on l'a vu dernièrement avec les élections locales au Luxembourg.

En plus de cela, il y a en Autriche, quelque chose d'autre joue qui contre la gauche, c'est le fait qu'il n'y a pas de gauche radicale; c'est de facto bénéfique au FPÖ.

Enfin, il me semble que la percée des conservateurs est avant tout dû à la personnalité assez exceptionnelle de son leader. A son âge, à son parcours sans faute. Je pense que c'est cela qui a fait la différence, au fait que ce soit une nouvelle génération qui accède aux affaires (avec peut-être un peu d'excès car il n'a que 31 ans). Quand on regardait les affiches de cette campagne on voyait que l'homme avait tout voulu changer.  Il a changé la couleur et a fait adopté un nouveau slogan à son parti, son âge est pratiquement de moitié plus jeune que celui des autres dirigeants… Pour le reste c'est un parti extrêmement classique.

Sebastian Kurz a eu un argument qui a extrêmement pesé pendant ces élections, c'était sur la crise des migrants quand il a expliqué que, lorsqu'il était ministre des Affaires Etrangères, il était celui qui avait fait fermer la route des Balkans. Il a donné des signes de sa résolution sur un des sujets majeur de la campagne.  Le sujet en Autriche n'est ni la croissance ni le chômage mais les questions d'identité et de crise migratoire. C'est un fait que l'on peut expliquer historiquement et aussi par la position du pays qui est un pays de frontière, un pays vraiment au centre de l'Europe et qui a connu et connait des frontières entre l'Est et l'Ouest, entre le monde latin, germanique ou slave et qui a toujours eu cette difficulté à s'identifier totalement à l'Europe de l'Ouest. Et qui en même temps a toujours connu une opposition à tout ce qui venait de l'Est.

Est-ce qu'il ne faut pas voir dans cette victoire des conservateurs et cette progression de l'extrême droite le contrecoup de l'élection présidentielle ?

Il y a ce contrecoup mais attention il y a eu mal-donne au sujet de Van Der Bellen dans beaucoup de médias Français. Il n'était pas le candidat des Verts, mais un candidat soutenu par les Verts ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Ensuite il incarne une aile des verts autrichiens qui est, comme beaucoup de Verts en Allemagne, centriste libérale. En économie il est de stricte orthodoxie libérale. La position du SPE en Autriche n'est pas la meilleure non plus, il lui reste un minuscule PC qui ne fait même pas 1% des voix mais on n'y voit pas l'émergence comme ailleurs d'une gauche radicale.

Ensuite les pouvoirs du président de la République en Autriche sont ceux de nos présidents de la IVe République, c’est-à-dire un rôle tout à fait protocolaire. Je crois que les Autrichiens ont d'autant plus voté pour lui l'année dernière qu'ils savaient bien que le scrutin important était les législatives de cette année et que voter pour lui ne portait pas à conséquence.

L'idée était plutôt que le FPÖ était destiné à améliorer son score aux élections législatives et que voter pour Van Der Bellen était un vote de contrebalance.

Comment peut-on mettre ça en perspective ces résultats avec les locales en Allemagne où le SPD s'en sort bien ?

Le SPD même s'il s'en sort bien au niveau local a subi une contreperformance incontestable au niveau national. Tout le monde pensait qu'Angela Merkel allait être élue mais elle s'en sort quand  même beaucoup mieux que prévu. Martin Schulz n'a pas réussi à la détrôner. Cela confirme ce double mouvement des socio-démocrates qui sont plutôt en berne et une droite populiste-radicale, populiste-identitaire qui en Allemagne avec l'AfD et en Autriche semble avoir le vent en poupe mais avec un logiciel particulier. C'est là que ça devient intéressant quand on met ça en comparaison avec ce qui se passe en France. Il y a des leçons à tirer pour le Front National avec ce qu'il s'est passé hier. Le FPÖ réussit à augmenter son score de pratiquement 7 points et ne veut pas sortir de l'Europe ou de l'Euro même s'il manifeste une insatisfaction profonde vis-à-vis de leur fonctionnement. Il se contente d'en appeler à davantage d'Europe des nations et met le paquet sur les questions identitaires en faisant le lien avec les phénomènes migratoires et l'immigration dans le pays. En économie en revanche, le FPÖ est classiquement libéral. C'est peut-être finalement la recette qui marche même si évidemment les contextes nationaux ne sont pas les mêmes. Il manque au FN, par rapport au FPÖ, cette légitimation sur la très longue durée propre à l'Histoire autrichienne et que même l'AFD en Allemagne n'a pas.

Quelles conséquences sur le pays ?

Je ne pense pas qu'il y en ait autant qu'on veut bien le dire. On a vu en 1999/2000 qu'on nous avait promis une révolution d'extrême droite en Autriche alors que le FPÖ a mené une politique assez classique. Il n'y a pas eu de bouleversements majeurs même sur la question des libertés publiques, des migrations ou de la place de l'Islam dans le pays.

Il va être intéressant de voir comment la politique étrangère autrichienne va trouver un point d'équilibre entre l'UE et le modèle des Etats voisins comme la Hongrie ou la Slovaquie qui ont des idées sur les questions identitaires et migratoires extrêmement différentes de celles de Bruxelles. 

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