Chroniques tadjikes : se rapprocher des "Plus Lointaines" et de l’Asie centrale<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Alexandrie-Eschaté en 2023: au-dessus de l’autre rive du Syr Daria, « le Mont des Mongols ».
Alexandrie-Eschaté en 2023: au-dessus de l’autre rive du Syr Daria, « le Mont des Mongols ».
©Antoine Cibirski

Carnet de voyage

Dernier épisode de ces "chroniques tadjikes" qui vous ont accompagnés cet été. Sous forme de lettres persanes, elles vous auront peut-être donné envie d’un pays authentique et encore préservé des excès de la mondialisation.

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
Voir la bio »

Ces chroniques tadjikes touchent à leur fin. Elles vous ont accompagnés cet été, sous forme de lettres persanes qui vous auront peut-être donné envie d’un pays authentique et encore préservé des excès de la mondialisation. Ces chroniques feront prochainement l’objet d’un recueil beaucoup plus développé qui pourrait renforcer cette envie. En guise de conclusion, je vous propose de vous rapprocher des « Plus Lointaines » et de l’Asie centrale:

Il y a 5500 ans, Sarazm, ville de 6000 habitants à l’Ouest de l’actuel Tadjikistan, ouvrait la « route de l’or et du lapis lazuli », bien avant la « route de la soie ». Il y a 2500 ans, Cyrus le Grand franchissait le Syr Daria. Il y a 2300 ans, Alexandre le Grand baptisait la cité, au même endroit, « Alexandrie Eschaté » (« la Plus Lointaine »). Elle était en effet à 5000 kms d’Alexandrie d’Égypte. Il y épousait une princesse de Bactriane, la belle Roxane. Il y a 1700 ans, les Arabes envahissaient et incendiaient l’ancienne Pendjikent zoroastrienne, en en faisant la « Pompéi de l’Asie centrale ». Il y a 800 ans, Temour Malik, le guerrier de Khoudjand arrêtait au moins momentanément les 70 000 soldats de Gengis Khan massés de l’autre côté du Syr Daria sur « le mont des Mongols », toujours surnommé de la sorte. C’est ainsi qu’au coeur de l’ Asie centrale et de sa route de la soie furent progressivement crées, découvertes, détruites, vénérées, dans un tourbillon incessant de croisements civilisationnels et de chocs militaires, « les Plus Lointaines » : Alexandrie Eschaté-Khoudjand, Bactriane et Sogdiane, Sarazm–Pendjikent, le Syr Daria, les vallées de Ferghana et de Zeravchan (« semeur d’or »), l’Oxus-Amou-Daria.

À Lire Aussi

Chroniques tadjikes : Tahti Sanghine ou le désert des Tartares

De nos jours, ces « Plus Lointaines » sont au centre d’une version modernisée du Grand Jeu, avec de nouveaux acteurs, des jeunes premiers très entreprenants. Des stars vieillissantes du Mosfilm tentent sans doute un retour en force sur scène pour éviter de devenir simples figurants. Il ne faut pas les sous-estimer. Ils bénéficient encore de l’aura du passé, d’un Ivan le Terrible titubant entre le boulevard Roudaki et le boulevard du Crépuscule. Ils ont des moyens, même datés : pressions sur les migrants économiques de la région, chantages commerciaux, présence militaire en décrue, langue en perte de vitesse. Le Premier ministre russe fait des visites officielles au Tajikistan, suivi de Lavrov. Pour autant, l’influence économique et culturelle de la Russie s’érode auprès des pays d’Asie centrale qui, guerre en Ukraine aidant, commencent à prendre leurs distances. Ils constatent l’agression contre un frère d’une part, et l’impuissance d’autre part : malgré les engagements de leur Traité de Sécurité Collective, l’OTSC, Moscou n’a rien pu faire dans le conflit frontalier entre le Kirghizstan et le Tadjikistan. Aucun des Cinq d’Asie centrale n’a voté pour la Russie aux Nations Unies. Moscou semble maintenant sur la défensive, comme en témoignent les récriminations d’un vice ministre russe les avertissant des dangers supposés d’un rapprochement avec les États-Unis. Dans le même temps, le Secrétaire d’État américain, A.Blinken, reçoit tous les honneurs au Kazakhstan puis en Ouzbékistan où il rappelle combien les principes de souveraineté, d’intégrité territoriale et d’indépendance sont actuels. La Turquie développe pour sa part une politique très active auprès des quatre turciques d’ Asie centrale et crée même en 2021une organisation internationale (l’Organisation des Etats Turciques) pour eux, et pour la Hongrie comme observatrice. L’Iran se rapproche culturellement, et peut-être militairement (éventuelle production commune de drones), du Tadjikistan, seul pays persanophone de la région devenant aussi, par défaut, l’avant poste fréquentable du monde persan. Plus discrètement, mais efficacement, la Chine s’affirme comme la puissance économique et financière dominante, en construisant routes, tunnels, bâtiments public contre accaparement progressif des ressources énergétiques, des minerais et des métaux rares. Premier investisseur IDE, nouvelle version de la route de la soie.

À Lire Aussi

Chroniques tadjikes: la Lauréate

Tout commande de nous attacher aux « Plus Lointaines ». Les enjeux sont considérables. Enjeux politiques d’abord, avec la nécessité d’accompagner les cinq d’Asie centrale dans un désir d’autonomisation par rapport à leur ancienne puissance coloniale et dans le contexte de la guerre en Ukraine. Nécessité aussi de promouvoir un modèle plus démocratique, de diversifier les relations face aux avancées souvent prédatrices de la Chine. Nécessité de suivre de plus près et de prévenir les influences déstabilisatrices et négatives de l’Afghanistan, pays voisin, mais selon certains (Ouzbékistan) pleinement partie de l’Asie centrale.

Enjeux économiques, ensuite, avec l’affirmation de grands marchés (Ouzbékistan et Kazakhstan), avec des richesses minières, dont l’uranium et l’antimoine, et des éléments rares dont la Chine ne doit pas avoir le monopole; surtout des ressources d’avenir: le Tadjikistan et le Kirghizistan sont les « toits du monde » et leur eau deviendra le pétrole du XXIeme siècle.

Enjeux culturels, linguistiques et religieux, enfin : accompagner le déclin du russe, par une promotion des langues et valeurs européennes ; encourager l’essor d’un islam moderne et tolérant, dans un monde d’Asie centrale globalement sunnite mais fort aussi des présences soufies et ismaéliennes.

Face à ces défis, l’Union européenne et ses Etats membres ne manquent ni d’expérience ni d’atouts. Rappelons-nous les épopées au Turkestan en 1906 du jeune Colonel Mannerheim, futur président finlandais, et du Professeur Pelliot, orientaliste Français émérite. Dotée d’une Représentante spéciale active et imaginative, de missions diplomatiques innovantes, d’instruments financiers et politiques performants, d’un modèle de développement souvent souple et exemplaire, l’UE et ses Etats sont à même d’apporter une contribution substantielle et non polémique au développement politique et économique de l’Asie centrale. Des Etats-membres comme la France ont aussi depuis les années 90 une expérience affirmée de chacun de ces Etats, une vision politique équilibrée de la région, et une influence positive aux plus hauts niveaux. Ensemble, rapprochons-nous des « Plus Lointaines »!

À Lire Aussi

Chroniques tadjikes : le bouzkachi, à saute-mouton

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !