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Des milliers d'agriculteurs avaient déjà manifesté dans les rues de Berlin le 18 décembre dernier. Ils protestent contre la fin des subventions au diesel agricole décidée par le gouvernement.
Des milliers d'agriculteurs avaient déjà manifesté dans les rues de Berlin le 18 décembre dernier. Ils protestent contre la fin des subventions au diesel agricole décidée par le gouvernement.
©JOHN MACDOUGALL / AFP

Mobilisation d'ampleur

Les agriculteurs allemands, opposés à la suppression progressive d'un avantage fiscal sur le gazole, annoncent une manifestation monstre lundi 8 janvier.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Les agriculteurs allemands, opposés à la suppression progressive d'un avantage fiscal sur le gazole, annoncent une manifestation monstre lundi 8 janvier. Pourquoi c'est devenu un sujet en Allemagne et aux Pays-Bas qui fait relativement peu de bruit en France ?

Christophe de Voogd : L’agitation est en effet forte chez les agriculteurs allemands, comme vient de le montrer le blocage d’un ferry où se trouvait le ministre de l’économie, et le mois de janvier s’annonce fertile en manifestations, à commencer par celle d’aujourd’hui. Ces troubles sont la conséquence du plan d’économies imposé, au nom de la règle d’or budgétaire, par le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe au gouvernement en novembre dernier. Parmi les victimes, les agriculteurs qui devaient initialement perdre leurs avantages fiscaux sur le gazole et sur les engins agricoles. Même si le gouvernement a déjà partiellement reculé devant les files de tracteurs, la puissante confédération des paysans allemands, le DBV, demande le retrait pur et simple de ces mesures.

Ce scénario rappelle en effet le précédent néerlandais où des autoroutes ont été régulièrement bloquées pendant près de 4 ans. Mais les ressemblances entre les deux pays, qui sont les plus productifs d’Europe en matière agricole (respectivement les 2e et 4e exportateurs mondiaux, devant la France) vont plus loin : dans les deux cas en effet, c’est la question de la contrainte écologique sur une agro-industrie performante qui est en jeu. Cette contrainte vient à la fois de Bruxelles avec son « Pacte Vert » et sa déclinaison agro-alimentaire « de la Ferme à la Fourchette », et de gouvernements nationaux très volontaristes sur le sujet. Aux Pays-Bas, la crise a cristallisé sur la réduction drastique programmée de l’élevage ; en Allemagne, sur la taxation du gazole et des engins mécaniques. Dans ce dernier cas, la relation à la problématique écologique renvoie aussi à deux faits : le ministre de l’agriculture est un membre éminent des Verts ; et le contentieux actuel vient du souhait du gouvernement d’affecter 60 milliards d’euros (budgétés pour la lutte contre le Covid), à la transition environnementale. Devant le refus de la Cour de Karlsruhe, il faut donc faire des économies budgétaires pour financer cette politique. Et des économies budgétaires aussi « vertes » que possible, d’où les mesures prises.

Quant à la situation en France, elle est à première moins critique car le gouvernement a été bien moins allant dans l’application des directives européennes et est d’ailleurs en délicatesse tant avec les Allemands qu’avec la Commission sur la question : toutefois, sous la pression d’une bureaucratie de plus en plus lourde et de l’activisme souvent violent des associations militantes (deux spécificités françaises), les choses sont en train de changer et la colère monte dans nos campagnes : et ce, d’autant que l’agriculture française a des problèmes structurels de rentabilité que ne connaissent pas ses voisines.

Le malaise dépasse-t-il les simples agriculteurs ? C'est un malaise plus profond ? En quoi peut-on le rapprocher du mouvement des Gilets jaunes ? De quoi cette rébellion est-elle le nom ? 

A priori, le faible poids des agriculteurs dans la population active (deux fois moindre qu’en France) semblait limiter la portée, à la fois sociale et politique, de cette colère. Or le mouvement de protestation annoncé pour janvier en Allemagne va toucher aussi les cheminots et les routiers, affectés aussi par les mesures de restriction budgétaire.

Mais surtout le scénario néerlandais, là encore, indique que les conséquences peuvent être considérables, voire dévastatrices : ainsi de la naissance d’un nouveau mouvement politique « paysan-citoyen » le BBB, qui a fait le grand chelem aux élections provinciales du printemps dernier et qui sera en toute hypothèse un parti-charnière dans la prochaine coalition gouvernementale qui se prépare aux Pays-Bas. Le nom même et le succès de ce mouvement, même s’il a eu un résultat médiocre aux dernières élections législatives de novembre – je reviendrai sur ce point – montre qu’est possible et disponible une alliance des couches populaires et d’une partie des classes moyennes, aussi bien rurales qu’urbaines (surtout dans les villes moyennes), dirigées contre les élites globalisées des métropoles. Bref, on retrouve le clivage désormais bien connu entre centre et périphérie, cher à Christophe Guilluy, ou entre les « somewhere » et les « anywhere », analysé par David Goodheart. Or ces clivages ont, dans le cas des Pays-Bas, été cartographiés précisément, et dès avant les élections, par le spécialiste de géographie électorale, Josse de Voogd : les résultats du scrutin de novembre dernier, et notamment les transferts de vote des grands partis historiques vers les nouvelles formations protestataires, en ont montré la prédictivité quasi-millimétrique. Autrement dit, et selon des modalités nationales propres, nous voyons se mettre en place un schéma européen qui n’est pas sans rappeler celui des « gilets jaunes » en France, à la différence près que ce dernier n’a pas su trouver de débouché politique propre. Mais n’a-t-il pas changé radicalement le cours de la présidence d’Emmanuel Macron? Et est-il étranger à la montée continue du Rassemblement national ? De même qu’aux Pays-Bas, c’est le parti d’extrême-droite, le PVV de Geert Wilders qui a finalement raflé la mise aux élections générales et qui est désormais en pole position pour former une nouvelle coalition, même si rien n’est encore fait.

Nul doute en tout cas que ces précédents français et néerlandais sont dans tous les esprits en Allemagne, où l’Afd est clairement en embuscade pour recueillir le bénéfice politique de la protestation: d’où la reculade partielle et rapide du gouvernement. Cela suffira-t-il ?

Quel impact possible sur les européennes ?

Tout va dépendre justement, comme en Allemagne, de la prise de conscience rapide au niveau européen des enjeux et des risques politiques. L’on constate que les choses commencent à bouger à Bruxelles où le chef du PPE, Manfred Weber, a exprimé la nécessité d’en rabattre sur le « Pacte vert ». Et l’on connaît le combat inlassable de François-Xavier Bellamy pour alerter contre le maximalisme écologique de la Commission. Inversement, les Verts, Renew Europe (où siègent les députés macronistes) et la plupart des socialistes continuent à se concentrer sur l’enjeu idéologique de « la lutte contre l’extrême droite », sans jamais analyser les causes de sa montée. Et l’on ne voit pas encore venir au niveau de la Commission de signal d’une révision rapide de ses grandes options programmatiques. Le politologue Dominique Reynié soulignait récemment la lenteur de toutes ces évolutions, tant au plan national qu’européen. Or il y a urgence. Car, et c’est là encore un enseignement du précédent néerlandais, si la protestation contre l’écologie punitive se joint à celle contre l’immigration de masse, la martingale du succès populiste aux Pays-Bas sera en place, cette fois-ci au niveau de l’Union tout entière, pour les élections de juin prochain. Le fait que le ministre allemand de l’écologie, Cem Ôzdemir, soit aussi d’origine turque prête ainsi à bien des amalgames – qui vont jusqu’aux injures racistes– dans l’expression protestataire outre-Rhin. 

A quoi s’ajoute le rejet populaire de l’idéologie woke, dont les ravages aux Pays-Bas ont été l’un des grands thèmes de Wilders : ce rejet pourrait bien s’exercer aussi contre les institutions bruxelloises qui semblent avoir remplacé dans les grands programmes communautaires la devise « Unie dans la diversité » par « Diversité, Egalité, Inclusion ».

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