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Le chef du groupe parlementaire "Les Républicains", le sénateur Bruno Retailleau, lors d'un débat au Sénat, le 7 novembre 2023
Le chef du groupe parlementaire "Les Républicains", le sénateur Bruno Retailleau, lors d'un débat au Sénat, le 7 novembre 2023
©LUDOVIC MARIN / AFP

CETA

Les sénateurs de gauche - socialistes et communistes - ainsi que la majeure partie des sénateurs LR vont voter ce jeudi contre la ratification du CETA, déjà mis en oeuvre depuis 2017.

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem, analyste en politique publique diplômé du département de droit public de la Sorbonne. Rafaël Amselem est également chargé d'études chez GenerationLibre.

 

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Nathalie Janson

Nathalie Janson

Nathalie Janson est professeur associé d'économie au sein du département Finance à NEOMA Business School. Elle a obtenu son Doctorat en Economie à l'Université Paris I-La Sorbonne en collaboration avec le programme ESSEC PhD.

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Atlantico : Alors que le Sénat doit se prononcer jeudi sur l'accord de libre-échange avec le Canada (CETA), une partie des élus LR au Palais du Luxembourg souhaitent voter contre. Comment expliquer cette prise de position ? 

Nathalie Janson : Cette prise de position s’explique par la faible culture économique libérale de la droite française. Si le siècle de Lumières a produit des grands penseurs du libéralisme comme Tocqueville et plus tard d’illustres intellectuels comme Frédéric Bastiat, le libéralisme n’a pas pris en France. La culture ingénieure a sans doute favorisé l’attirance pour la planification, l’idée de l’économie comme un mécano, conception totalement erronée. Le protectionnisme fait plus recettes auprès des électeurs que le libre-échange. Vous défendez à la fois les entreprises et les salariés, c’est nettement plus vendeur que dire que les uns et les autres doivent s’adapter, non ?

Rafaël Amselem : Cette prise de position est due à un cycle des idées qui est en train de s’achever. Les représentants de la droite dite « traditionnelle » sont en train de se coucher face à un bloc plus majoritaire, représenté par le Rassemblement National. Or le RN prône une vision très centralisée, très proche de certaines propositions socialistes sur le plan économique. Dans une course ou Les Républicains souhaitent rester dans un ancrage populaire, ils se vendent à une rhétorique prétendument en faveur des plus démunis ou des petites entreprises face au grand commerce international mondialisé qui ne se préoccupe pas de la Nation et des débats économiques qui peuvent être posés. C’est dans cette optique que la droite est en train de se trahir. 

Les Républicains et plus largement la droite française se condamne-t-elle aux oubliettes en zappant le libéralisme ?

Rafaël Amselem : Tout à fait. De façon générale, on préfère toujours l’original à la copie : il ne sert donc à rien de vouloir singer le RN sur ces questions car on préféra toujours ceux qui ont longuement porté ce discours que ceux qui changent soudainement. D’autre part, Les Républicains abandonnent ce qui a constitué pour un temps l’ADN d’une partie de la droite française, d’autant plus que cela leur permettrait pourtant d’avoir un réel espace d’existence. Aujourd’hui, personne ne représente le libéralisme, et certainement pas le groupe Renaissance, du fait d’une pratique très centralisée du pouvoir, une vision très technocratique de la société, de l’organisation de l’économie … Face à cela, Les Républicains feraient bien de choisir une voie qui permette de prôner la décentralisation, la liberté économique, la concurrence … En ce sens, Les Républicains se condamnent à devenir de plus en plus marginaux : je ne vois pas quelle peut être la représentativité électorale de LR, ni même sa cohérence. 

Nathalie Janson : Les républicains ne se condamnent pas aux oubliettes en zappant le libéralisme parce que le libéralisme ne fait pas recette en France. Rappelons-nous les échecs de Madelin à la Présidentielle qui a été sans doute le candidat libéral qui a été le plus loin, plus tard Edouard Filias et afin François Fillon. Les français ne comprennent pas l’économie et n’aiment pas l’incertitude, deux bonnes raisons pour ne pas embrasser le libéralisme. Le libéralisme n’est pas un projet constructiviste, il n’a pas un projet de société défini par avance. Il propose la liberté - et son corollaire la responsabilité  - comme moteur de l’épanouissement des individus et du développement économique. Les fausses représentations de l’économie de marché introduites le cadre d’analyse néoclassique a été très préjudiciable à la compréhension de ce qu’est le marché. En réalité, c’est un processus dans lequel les entrepreneurs et les entreprises résolvent des problèmes économiques. Par définition, il est difficile de savoir ex-ante quelles seront les solutions qui émergeront. C’est toute la critique de la planification. Pourtant c’est bien le capitalisme qui explique notre niveau de développement aujourd’hui.

« LR se réfugie dans une forme de protectionnisme après avoir été le principal avocat des traités de libre-échange », constate Les Échos. Peut-on y voir une des raisons de la perte de crédibilité économique de LR ? 

Nathalie Janson : LR défendant le protectionnisme n’aide pas à comprendre leur positionnement. En fait, ils vont piocher dans le libéralisme ce qui les arrangent : moins de fiscalité pour les entreprises mais protectionnisme qui avantage certaines entreprises. En fait, c’est du clientélisme. Il est difficile d’articuler une vision autour de positionnements contradictoires.

Rafaël Amselem : Je ne sais pas s’il faut parler de « perte de crédibilité ». En revanche, on peut parler, pour un parti politique, d’ancrage en termes d’idées. Aujourd’hui, les positions de LR ne sont pas historiques au sein de la droite républicaine. Lorsqu’ils étaient au gouvernement, LR a toujours défendu, négocié et appliqué des traités de libre-échange. Nous assistons donc à la soumission d’un parti à un cadre idéologique qui ne lui serait pas favorable. En effet, défendre le libre échange n’est pas sexy, c’est prétendument défendre les riches, les plus forts … Les Républicains préfèrent abandonner ce qui fait la puissance économique du pays, puisqu’on parle ici de la capacité de la France à se maintenir sur un espace international avec beaucoup de concurrence. Nous sommes donc dans un discours de défaite, en arrêtant de croire à notre capacité à résister à l’adversité. Pour conclure, l’idée selon laquelle il faut se protéger du libre-échange n’est ni tenable sur le plan idéologique, en plus d’être fausse sur le plan pratique.

Est-ce une énième preuve du renoncement de toutes les valeurs économiques de la droite ? A-t-elle oublié que c’est globalement le libre échange international - mais aussi européen - qui a permis des gains de pouvoir d’achat pendant les 30 dernières années malgré une croissance faible ?

Rafaël Amselem : Cette soumission résulte d’une absence de doctrine pensée de façon sérieuse. Quelques efforts ont été faits depuis la présidence d’Eric Ciotti. Mais de façon générale, la droite ne pense plus depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Sans grands principes forts, on va chercher ce qui semble le mieux marcher électoralement. 

Sans changement profond de matrice, Les Républicains sont voués à disparaître. L’adhésion à un véritable libéralisme serait un moyen d’offrir une troisième voie entre Emmanuel Macron et le RN. Économiquement, cette voie devrait promouvoir la fin des rentes, la lutte contre les corporatistes, la diminution de la dette publique, une baisse de la taxation … Politiquement, elle devrait promouvoir une autre pratique du pouvoir. Moins centralisatrice, jacobine et à la faveur de la décentralisation.

Nathalie Janson : C’est malheureusement la situation de LR aujourd’hui. Il suffit de regarder les projets soutenus dernièrement : ne pas signer le CETA au Sénat et faire voter la loi Fast Fashion. Il est clair que les députés LR n’ont aucun ancrage libéral. Les vertus de l’échange international au-delà de la pacification des relations entre pays nous permet de développer les activités dont le coût d’opportunité est le plus faible. Ce concept est totalement incompris. Pourtant, il suffit de regarder l’économie d’une famille pour le comprendre. Nous externalisons les tâches et nous ne sommes pas auto-suffisants ce qui nous permet de valoriser nos talents ailleurs. Oui nous sommes dépendants les uns des autres et lorsque ceux qui nous fournissent cessent nous sommes en difficultés pour substituer : ce qui s’est passé avec la COVID. Ce sont des situations transitoires et bien sûr, nous devons nous adapter, c’est la clef. C’est un discours qui devrait être défendu par LR. Il faut s’adapter et de ne pas maintenir des activités qui n’ont pas d’avenir – comme certaines activités agricoles ! Bref, LR n’a toujours pas compris les avantages comparatifs ! Les pays à forte souveraineté ne sont aps les plus développés voire la Chine, la Russie ou même la Corée du Nord…

Les Républicains ont choisi Christophe Gomart, général 2e section, ancien directeur du renseignement militaire, comme numéro trois sur la liste du parti Les Républicains conduite par François-Xavier Bellamy. Ce dernier s’est notamment interrogé sur la pertinence d’infliger des sanctions à la Russie, ou encore de donner des armes à l’Ukraine lors de l’émission « C ce soir », en avril 2022. Dans quelle mesure une telle rhétorique, sensible aux intérêts de la Russie, est-elle une nouvelle trahison des valeurs du libéralisme ?

Nathalie Janson : Choisir comme numéro 3 une personnalité qui a eu des propos critiques envers le soutien à l’Ukraine interroge même s’il est vrai que l’utilisation de sanctions économiques a une efficacité relative dans un monde globalisé. C’est davantage la critique du soutien à l’Ukraine par l’envoi d’armes qui pose problème dans le combat pour la liberté. Ce choix relève sans doute d’une volonté des LR de mettre en avant le régalien.

Rafaël Amselem : Nous sommes en 1939. Au moment où lEurope sapprête à sengouffrer dans la vallée de la mort, Raymond Aron intervient devant la Société française de philosophie sur le thème « Etats démocratiques et Etats totalitaires », qui a trait l’étude de ces deux types de régime, session durant laquelle il énonce le principe suivant :

 « Quand on parle à des gens qui font profession de mépriser la paix, il faut dire que, si l'on aime la paix, ce n'est pas par lâcheté. »

Raymond Aron dajouter plus loin : "Il est grotesque de croire qu'on résiste aux canons par le beurre ou à l'effort par le repos." Le point en présence n'est pas d'entrer en guerre contre Poutine, mais de rappeler le besoin pour les démocraties libérales, tout en maintenant leurs principes et en visant toujours la primauté du droit, de ne pas se soustraire à lhistoire belliqueuse qui se déroule sous nos yeux, daccepter le caractère hobbésien des relations internationales, davoir le courage de leurs convictions. Dès lors, les démocraties doivent sorganiser pour se maintenir dans un espace international où les régimes autoritaires sont par nature animés par des intentions irrédentistes voire impériales ; car là réside l’essence des régimes autoritaires : un primat évident pour la politique extérieure.

A ce titre, se joindre aux voix qui cherchent à éviter toute conflictualité avec Poutine, par l'entremise de candidats ayant des déclarations tièdes à l'égard de la Russie ou par la critique explicite de la volonté présidentielle d'envisager l'organisation du soutien de la France à la défense ukrainienne, c'est ne pas prendre au sérieux la défense du libéralisme sur la scène internationale.

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