Ces plans de l’Otan pour contrer une guerre russe en 2024<!-- --> | Atlantico.fr
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Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'Otan.
Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'Otan.
©JOHN THYS / AFP

Guerre à venir ?

Après avoir publié les plans russes contre l’Ukraine 2022, le magazine Bild publie un document secret du ministère allemand de la Défense.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Le magazine Bild vient de publier un document secret du ministère allemand de la Défense. Celui-ci prévoit le début d’une “guerre chaude” entre la Russie et l’OTAN dès février 2024. Que peut-on dire de ce document, pour commencer ?

Viatcheslav Avioutskii : La Russie, en l’état actuel des choses, n’a pas les moyens et les ressources nécessaires pour engager une opération de si grande échelle. Ceci étant dit, cela ne signifie pas que la carte publiée par le magazine Bild est erronée, au contraire. Elle décrit assez bien les objectifs finaux de la Russie dans cette région. Si la guerre en Ukraine se termine en faveur du Kremlin, cela reflète assez honnêtement ce que celui-ci pourrait vouloir faire ensuite.

Dès lors, il apparaît évident que l’inquiétude allemande est très fondée. Depuis l’annexion de la Crimée, de nombreux chercheurs se sont interrogés sur qui serait la prochaine cible pour le Kremlin. Les Pays Baltes constituent, assez naturellement, la prochaine étape pour Vladimir Poutine. C’est tout particulièrement le cas pour l’Estonie et la Lettonie, qui accueillent chacune une partie considérable de citoyens d’origines russes (environ 40% de leurs populations, peu ou prou). Dans certaines villes, comme cela peut-être le cas à Riga, c’est d’ailleurs la  population majoritaire.

Le document envisage un certain nombre d’étapes allant d’une victoire de la Russie sur l’armée ukrainienne dès juin 2024, avec pour objectif final la conquête du corridor Suwalki. De quoi s’agit-il ? Dans quelle mesure s’agit-il d’un enjeu capital pour le contrôle de l’Europe de l’Est ?

Cette hypothèse m’apparaît assez peu crédible pour le moment. Le magazine Bild ne publie, en l’état, qu’un seul des scénarii établis par le ministère allemand de la Défense. Dans ce genre de cas, il est de coutume de réfléchir à plusieurs options et celle-ci semble correspondre à l’option catastrophe. Ce n’est pas nécessairement le déroulé des évènements le plus crédible, mais il reflète bien l’ambition russe. Ce scénario repose sur la perte, pour l’Ukraine, de la totalité de l’aide occidentale, qu’elle soit fournie sous forme de munitions ou de soutien financier. Faute d’être épaulée, l’Ukraine s’effondre face à l’armée russe, qui est alors libre de poursuivre son opération de conquête ainsi qu’expliqué par le magazine Bild.

Pour l’heure, un effondrement du front ukrainien semble peu probable. Cela fait quelques jours, peut-être une semaine et demi, que des signaux forts laissent à penser que le conflit va se poursuivre. La Grande-Bretagne et l’Ukraine viennent de signer un traité de sécurité qui garantit à Kiev l’aide du Royaume-Uni et notre nouveau ministre des Affaires étrangères doit justement, dans le cadre d’un voyage dans l’Est de l’Europe, passer par Kiev, Berlin et par la Pologne. Il est question de rétablir les liens avec nos amis polonais, lesquels ont été assez malmenés avant l’élection de Donald Tusk sous le gouvernement conservateur précédent.

Notons également qu’une forme de compromis semble se profiler avec la Hongrie et Viktor Orban. Longtemps, il s’est opposé au déblocage de 50 milliards d’euros annuels pour l’Ukraine, avant de finalement faire marche arrière, au moins pour l’année 2024, mais semble vouloir accepter le deal, moyennant une contrepartie financière assez importante. Certains des fonds qui avaient été bloqués et ne parvenaient pas jusqu’à Budapest seront réouverts. Or, avec 50 milliards d’euros en provenance des pays européens, l’Ukraine pourrait tenir même sans soutien américain.

Ce préambule étant posé, nous pouvons revenir sur le fameux “corridor Suwalki”. Pour comprendre de quoi il s’agit exactement, il faut regarder une carte de la région. On peut y voir l’enclave de Kaliningrad, limitrophe de la Pologne comme de la Lituanie. A 80 kilomètres au Russe, près de là où se trouve la Biélorussie, on retrouve le corridor de Suwalki. C’est une localité polonaise, située à mi-chemin entre Kaliningrad et le territoire biélorusse. Il n’est pas nécessaire d’être un grand stratège pour comprendre l’importance capital de cet endroit sur le plan de la stratégie militaire : il s’agit d’un goulot d’étranglement , qui permet de couper l’accès des armées de l’OTAN aux Pays-Baltes, en passant par la Pologne. 

Ceci étant dit, il importe aussi de rappeler que l’OTAN a prévu diverses manœuvres pour répondre à une potentielle conquête du couloir de Suwalki et à son éventuelle coupure par les forces russes. D’après ces plans, il faudrait 90 jours aux troupes de l’OTAN pour en récupérer le contrôle.

Les forces militaires de la Lettonie et de l’Estonie, qui constituent des cibles privilégiées pour Vladimir Poutine, font aujourd’hui l’objet d’un accroissement impressionnant auxquels participent notamment les Etats-Unis d’Amérique et la France. Il s’agit de territoires vulnérables, d’autant plus maintenant que l’on sait ce que Vladimir Poutine est prêt à faire en Ukraine, puisqu’il appliquerait probablement les mêmes méthodes. Concrètement, cela veut dire que s’il arrive à entrer dans ces pays et à prendre le contrôle, il expulserait très probablement les populations qui ne sont pas russes ; ce qui peut évidemment conduire à des effets irréversibles ensuite.

Face à de tels éléments, l’OTAN a donc changé son plan stratégique de défense de l’Europe de l’Est. De tels changements ont été rendus possibles, ne l’oublions pas, par l’intégration de la Finlande à l’organisation, qui n’est donc plus un pays neutre, et qui est en mesure de bloquer l’accès de la flotte russe par le nord et par la mer Baltique. La Finlande, rappelons-le, doit accueillir des bases américaines tandis que la Suède est actuellement en train d’augmenter le nombre de sous-marins disponibles afin de mieux bloquer toute tentative d’attaque russe émanant de Saint-Pétersbourg.

D’après le ministère de la Défense allemand, Poutine serait tenté de profiter de la paralysie des Etats-Unis, induite par la période électorale. Cela vous paraît-il plausible ?

C’est une option très crédible pour Vladimir Poutine. Rappelons toutefois que celui-ci a beaucoup de mal à comprendre le fonctionnement des démocraties occidentales et qu’il a tendance à projeter son propre modèle de fonctionnement sur celles-ci. C’est pourquoi il a complètement ignoré le facteur Trump dans la politique des Etats-Unis, en 2016, et qu’il a du mal à comprendre que certains des choix personnels du président américain puissent être corrigés par son équipe, par la Maison Blanche ou par l’administration des Etats-Unis. Ces derniers, ne l’oublions pas, sont chargés de réaliser les intérêts nationaux et ne changent pas nécessairement à chaque nouvelle arrivée au sein du Bureau ovale.

Quelles sont les éventuelles précautions à prendre en analysant ce document ? Que dire, par exemple, de la tendance à l’irrationalité de Vladimir Poutine ?

Vladimir Poutine, c’est un fait, est assez fortement coupé de la réalité. Il ne lit que les rapports – souvent très optimistes – que lui produisent ces généraux et il fait souvent preuve d’une irrationalité dont il est important de tenir compte quand on cherche à le comprendre. En 2007, l’exemple du soldat de bronze de Tallinn l’illustre bien. L’Estonie, où est installée la statue qui représente un soldat russe en bronze, avait voulu la démanteler mais a fait face à des manifestations importantes et à la mobilisation de sa population d’origine russe, qui a vécu le projet de déplacement de l'œuvre vers un cimetière non loin comme une provocation. De ces mobilisations a failli naître une forme de conflit, du genre que Vladimir Poutine pourrait essayer d’alimenter pour créer du désordre. D’autant plus quand on sait qu’il est très soutenu par une partie non négligeable de ces populations russophones, qui ont tendance à se radicaliser.

C’est pour cela qu’il est important de bien comprendre que le document du Bild n’est pas une fake news. Ils n’ont, certes, présenté que le scénario catastrophe, mais il faut bien réaliser que celui-ci est envisageable sur le long terme et que le danger est réel. Władysław Sikorski, un ancien ministre des Affaires étrangères polonaises, disait autrefois que la seule chose capable d’arrêter Vladimir Poutine, c’est le char Abrams. La seule façon de nous protéger contre lui, ce n’est pas la recherche de concession, ou la négociation : c'est l’accroissement du potentiel militaire, ce qui demande du temps et beaucoup d’argent, puisque c’est la seule chose qu’il comprend et qui le dissuade.

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