Ces (grosses approximations) qu’on nous assène sur l’impact réel des économies d’énergie « faciles » que chacun peut réaliser <!-- --> | Atlantico.fr
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La baisse de la consommation atteint 8,3 % en France la semaine passée
La baisse de la consommation atteint 8,3 % en France la semaine passée
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Crise énergétique

Face à la crise énergétique et l'inflation, la consommation d'énergie en France a baissé considérablement. Une part importante de la part des ménages ?

Jean-François  Raux

Jean-François Raux

Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et titulaire d’un DESS de Droit Public Européen, Jean-François Raux a effectué la majeure partie de sa carrière au sein d’Electricité de France et de Gaz de France.

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Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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Atlantico : Le gouvernement félicite régulièrement les Français pour les efforts de sobriété. « La baisse de la consommation atteint 8,3 % en France la semaine passée. La consommation agrégée des secteurs résidentiel et tertiaire est aussi inférieure d'environ 7 % sur la semaine », a aussi déclaré le président de RTE, Xavier Piechaczyk. Que nous apprennent ces chiffres ?

Damien Ernst : Le chiffre important, c’est celui du passage de 8 à 10% pendant la première quinzaine de décembre. Il a fait très fois, nous avons énormément parlé du risque du délestage et cela a provoqué une conscientisation des Français. Cela nous a permis d’économiser jusqu’à 10% d’énergie par rapport à une année normale avec les mêmes températures. Cela montre que les Français sont sensibilisés mais aussi la limite de ce qu’ils sont prêts à faire. Au cœur de la médiatisation, nous avons économisé seulement 2% de plus. Les 8,3% d’économie, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Et dans ce chiffre il y a des entreprises qui ont réduit leur activité industrielle ou mis la clé sous la porte. Réaliser des grosses économies reste difficile.

Pierre Beyssac : Malheureusement le gouvernement ne donne guère de détails, mais on apprend cependant que tous les secteurs ont fait leur part : industriel, tertiaire et résidentiel.

Mais est-ce vraiment du côté des ménages que les efforts de sobriété viennent ? Dans la sobriété constatée, quelle part est effectivement due au volontarisme, et quelle part est contrainte ?

Jean-François Raux : Honnêtement, on manque d’informations précises, notamment pour faire la part des choses entre la sobriété voulue et la sobriété imposée, c’est à dire l’impact de l’effet prix. Coté Entreprises, tous les retours que j’ai en Province sont « effet prix ». Coté ménage, il y a probablement un mix des deux avec une prise de conscience de certains « gaspillages ». Il va falloir faire une étude beaucoup plus approfondie, détaillée et transparente pour savoir si on est dans l’effet de mode passager, la contrainte économique pure et dure, ou des changements de comportements durables. Pour l’instant, la patron de RTE fait les plateaux : ils essayent de faire oublier leur bévues en matière de sécurité d’approvisionnement électrique. J’en ai déjà parlé.
Comme je l’ai dit en électricité, l’essentiel c’est de limiter la puissance appelée en pointe. Sur l’énergie, il faudrait plutôt indiquer comment moins consommer de gaz et de pétrole (fioul, gaz) et les remplacer par de l’électricité : Boiteux disait a juste titre : moins d’electricité par usages, plus d’usage de l’électricité. Cela date des année 70 et c’est toujours valable.

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Damien Ernst : On ne le sait pas précisément. Il n’y a pas d’études qui existent sur le sujet pour l’instant. Beaucoup d’entreprises, malgré tout, ne savent pas faire d’économie d’énergie ou d’électricité sans diminuer leur production. Les petits gestes, ceux de bonne volonté, sont impossibles à faire pour certaines entreprises. Mais difficile de savoir quelle est la part de sobriété contrainte ou volontaire. La conscientisation a apporté 2%.

Pierre Beyssac :EDF estime la part du résidentiel à 36 % de la consommation électritque nationale, ce qui est significatif. Nos efforts ont donc un impact sensible. La plus grande partie de notre consommation électrique peut être réduite de manière volontariste, notamment celle due au chauffage et à l'eau chaude, qui représentent avec la cuisine les plus gros postes de consommation électrique.

Plusieurs écogestes sont recommandés, notamment sur Ecowatt. Si on les observe un par un, quelles sont véritablement les économies réelles que l’on peut faire avec ces différents gestes ? 

Jean-François Raux :

  • Éteindre ses appareils plutôt que les laisser en veille : Marginal (très ADEME antinumérique).
  • Remplacer les ampoules à filament par des ampoules LED : indispensable et prendre des bonnes LED : c’est cher, mais le temps de retour est rapide (P/10 pour une même qualité d’éclairage).
  • Baisser la température de chauffage à 19°C : pour la gaz, et le fioul indispensable. Pour l’électricité, ne pas faire marcher son chauffage en pointe (les maisons tout électriques sont normalement bien isolées). Ne pas faire marché de radiateur dit d’appoint aux heures de pointe (ni autrement, d’ailleurs : c’est un tue réseau !! Personne ne fait la différence, on parle de chauffage électrique en général. Cela ne veut rien dire.
  • Réduire l’utilisation de l’eau chaude et limiter la température de production d’eau chaude. L’eau chaude ou froide doit être économisée et 50° pour un ballon est une « bonne » consigne. Idem pour régler la production d’ECS en gaz ou fioul avec l’aspect CO2 en plus !)
  • Produire l’eau chaude pendant les heures creuses : indispensable si vous le faites avec un ballon électrique… Pour le gaz…pas de bonne solution CO2 !!
  • Décaler certains usages domestiques en dehors des plages 8h-13h et 18h-20h : je l’ai dit faite tourner la machines à laver, sécher etc, la nuit !! Elles ont toutes programmateurs.
  • Couvrir les casseroles et les poêles pour raccourcir le temps de cuisson : cela améliore la cuisson, c’est un réflexe de cuistot !!
  • Recharger les véhicules électriques pendant les heures creuses : indispensable.
  • Éteindre les lumières inutiles : du bon sens.
  • Pour l’électricité : penser puissance aux heures de pointes !! Qui a expliqué la différence entre puissance et énergie. C’est d’un flou volontaire

Toutes ces mesures sont connues depuis des lustres et revampé marketing comme une grande nouveauté « sobriété ». Cela permet de planquer les miettes sous le tapis.

Damien Ernst : Prendre une douche c’est 1.5 kwh, un chargeur branché, moins de 4 kwh par an, une ampoule led de 35 W allumée pendant 8h pour éclairer une cuisine, c’est 0.280 kwh. Et la charge chauffage d’une maison pendant un an, c’est environ 17500 kwh. Donc le geste qui a vraiment un impact, c’est celui de diminuer le thermostat ou de ne chauffer que quelques pièces. Les autres mesures sont bienvenues mais elles sont dérisoires.

Pierre Beyssac : Il y a dans cette liste deux types de mesures :

* celles produisant effectivement une réduction de consommation : réduction du chauffage et de la consommation d'eau chaude, extinction des appareils en veille, changement des ampoules, couvrir les casseroles...

La mesure ayant le plus d'impact, et de loin, est la réduction du chauffage. Celui-ci peut représenter plus de 80 % de la  consommation électrique moyenne d'un ménage en hiver.

La réduction de température de l'eau chaude n'a probablement guère d'effet puisque les pertes thermiques au niveau du ballon, notamment en ville, contribuent au chauffage, et que l'eau brûlante est utilisée mixée avec de l'eau froide pour abaisser sa température.

De même les ampoules à filament (de toute façon rares aujourd'hui) ou appareils en veille contribuent indirectement au chauffage.

Cependant, réchauffer une seule fois de 10 à 50° C un ballon de 250 litres consomme autant d'énergie que 2 mois d'une box Internet à 10 W ou 1000 recharges de notre téléphone mobile... Prendre un seul bain de 150 litres d'eau réchauffée de 10 à 35° C représente environ 3 semaines de box Internet. Faire bouillir 1 litre d'eau chaude équivaut à 1 heure de streaming sur télévision grand écran, ou 6 recharges de téléphone.

Il est donc bien plus impactant d'économiser l'eau chaude, et accessoirement d'utiliser des couvercles pour la cuisson, que de réduire notre consommation d'Internet.

Ne pas toucher au chauffage et se focaliser sur la réduction des autres consommations électriques mineures n'aurait guère de sens puisqu'on va avoir un effet de substitution de consommation. Pour les foyers qui utilisent du chauffage fossile plutôt qu'électrique, on pourrait même penser que le chauffage indirect par des appareils électriques situés dans les pièces de vie permet de décarboner en partie son chauffage.

Éteindre les lumières inutiles est probablement l'une des mesures les moins impactantes depuis que les ampoules basse consommation sont partout. 3 heures d'éclairage représentent environ une charge complète de téléphone mobile. Une box Internet consomme l'équivalent de 1 à 1,5 ampoule.

* celles visant à réduire les pics de consommation en heure pleine par décalage de nos consommations. Cela ne produit pas d'économie d'énergie, au plus une légère baisse de facture pour ceux qui ont un abonnement heures creuses, mais cela permet d'équilibrer le réseau électrique aux moments où il est le plus sollicité, à une époque où nous subissons une baisse de disponibilité prolongée des centrales nucléaires. Éviter de consommer au moment des pics permet aussi d'utiliser une électricité moins carbonée.

RTE a annoncé également supprimer le déclenchement automatique des ballons d'eau chaude en journée pour les abonnés heures creuses qui en bénéficiaient. Cette mesure est relativement indolore car les ballons continuent de se déclencher la nuit.

Si l'on suit tous les bons gestes, de combien peut-on espérer réalistement faire baisser sa consommation d'électricité en tant que ménages ?

Jean-François Raux : On avait fait le calcul à l’UFE  : en Puissance (effacement et bonne gestion de la puissance) on avait estimé de l’ordre de 8 à 10 GW… Mais les outils de gestion de la puissance manque faute de signal prix comme avant l’ouverture des marchés. Personne ne s’y intéressé. Ecowatt est un gentil gadget qui plaque la misère, mais ce n’est pas une politique d’économie et de maîtrise de la puissance, l’essentiel en électricité. En energie, je n’ai plus les chiffres à jour. Mais une fois le nuke remis en ordre, c’est le fioul et le gaz qu’il va falloir réduire sérieusement.

Damien Ernst :  Si l’on ne joue pas sur la charge chauffage, on ne pourra pas faire plus que 5 à 10 % grand maximum d’économie.

Pierre Beyssac : Il est probablement assez facile d'économiser de 5 à 15 % de notre consommation électrique par simple réduction du chauffage et de l'usage d'eau chaude.

D'autres gestes en liaison avec l'isolation thermique sont également utiles : couper le chauffage quand on aère la maison, mais aussi fermer les volets quand il n'y a pas de soleil : ils peuvent sensiblement réduire les pertes thermiques.

Les cas individuels étant variables, il peut être utile de surveiller l'évolution de son compteur électrique en fonction des actions que l'on entreprend, voire d'acquérir un petit wattmètre secteur à prise gigogne, qui permet de mesurer facilement la consommation des appareils usuels.

Notamment, on peut avoir des surprises avec la consommation de certains gros appareils en veille (télévision, console de jeu, chaîne hifi...). La période des mauvais chargeurs de téléphone semble, elle, derrière nous. Mais comme expliqué précédemment, la surconsommation imputable aux appareils en veille est marginale ou inexistante en période de chauffage. Il est donc surtout pertinent de les éteindre lorsqu'on coupe le chauffage en quittant le logement.

Les plus motivés pourront même effectuer un suivi fin de leur compteur et de certains appareils, ainsi que des températures, et un pilotage de leur chauffage avec une petite installation de domotique, pour évaluer l'efficacité des différentes mesures. C'est de cette manière que j'ai pu constater l'impact de la fermeture des volets.

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