Ces foudroyants résultats obtenus par Taïwan en introduisant le Machine Learning dans ses hôpitaux<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme brandit un drapeau de Taïwan (illustration)
Une femme brandit un drapeau de Taïwan (illustration)
©Philip FONG / AFP

Prometteur

En moins d’un an, les expérimentations menées ont permis de réduire la mortalité de 25% et les coûts des antibiotiques de 30%

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico : Le machine learning ce n'est pas nouveau. Mais désormais, c'est couplé avec l'Intelligence Artificielle. C'est ce qui rend le machine learning plus performant ?

Guy-André Pelouze : La transformation de la société par l’intelligence est tout simplement l’histoire de l’humanité, depuis le premier jour. Que cette intelligence ait été sacralisée comme l’apanage de l’homme ou réputée indépassable pour invalider le concept d’Intelligence Artificielle (IA) ne résulte que d’une vision anthropocentrée génératrice de deux hypothèses qu’il suffisait de falsifier. D’une part les animaux ont un cerveau et survivent grâce à des stratagèmes intelligents. Les primates simiens et notamment les chimpanzés, les bonobos ont une intelligence mesurable, les sauts de l’évolution ne sont pas des césures mais des continuums disruptifs. Et à l’autre bout du spectre, le cerveau humain invente des machines pour apprendre à répondre à des questions et beaucoup plus. Depuis le transistor c’est là aussi un continuum disruptif.

L’IA est déjà un monde : c'est un concept large qui fait référence au développement de systèmes informatiques ou de machines capables d'effectuer des tâches qui requièrent généralement l'intelligence humaine. L'IA englobe un large éventail de techniques, d'approches et d'applications et vise à créer des systèmes capables d'imiter ou de simuler les fonctions cognitives humaines telles que l'apprentissage, la résolution de problèmes, la perception et la compréhension du langage.

L'apprentissage automatique (machine learning) est un sous-ensemble de l'IA qui se concentre sur le développement d'algorithmes, de modèles statistiques et probabilistes permettant aux ordinateurs d'apprendre à partir de données.  Les ordinateurs améliorent leurs performances dans une tâche spécifique au fil du temps, sans être explicitement programmés. En d'autres termes, l'apprentissage automatique permet aux systèmes d'apprendre automatiquement des modèles, d’établir des probabilités (prédictions) ou de prendre des décisions sur la base de données.

Bref, l'IA est l’ensemble qui englobe le développement de systèmes intelligents, tandis que l'apprentissage automatique est une approche spécifique de l'IA qui consiste à former des modèles pour apprendre à partir de données. L'apprentissage automatique est un élément clé de nombreuses applications de l'IA, particulièrement étudié en médecine où l’expertise vient entre autres de l’agrégation de données issues de populations les plus nombreuses possibles. C’est le cas des données morphologiques de l'imagerie (Scanner, IRM) mais aussi des données de la biologie (analyse de sang et d’autres tissus). 

Taiwan est très précurseur dans l'utilisation de l'Intelligence Artificielle. l'IA dans un hôpital aujourd'hui, on en trouve partout ? du secrétariat jusqu'au bloc opératoire? C'est devenu un atout ?

Nous parlons là d’un grand hôpital de Taiwan le China Medical University Hospital qui a noué un partenariat avec Microsoft et sa filiale Azure de gestion de données dans des serveurs à distance (Cloud computing). Il est possible que ce contrat ait une dimension plus grande si d’autres hôpitaux sont en réseau avec cet hôpital. Plusieurs essais cliniques ont été conduits avec cet outil de l’IA développé par Azure. Pour répondre plus précisément l’IA n’est pas un ordinateur de bureau qui essaime partout. Il s’agit de développer un assistant médical artificiel pour aider les médecins à soigner.

En France la situation est différente. Nous sommes en train de digitaliser l’activité dans des bases de données capables d’échanger. Il y a encore des logiciels propriétaires différents et ne communiquant pas ou simplement par des interfaces à goulot étroit. Pour l’utilisation massive des données il faut ensuite avoir des projets de recherche et des investissements. La coopération entre un nombre élevé d’établissements est un atout car la valeur d’usage de l’IA dépend beaucoup de la base de données. Enfin des contraintes réglementaires ont été dressées pour limiter l’utilisation de l’IA. Si bien que la plupart du temps l’IA est encore absente du cœur du système numérique des hôpitaux. 

Les expérimentations menées à Taïwan donnent des résultats considérables, y compris pour réduire le coût des antibiotiques. Est-ce que la France doit s'en inspirer ?

Le coût de fonctionnement, la bureaucratie et l’administration prescriptrice d’emplois

Il faut avant tout rappeler que notre système de soins peut être amélioré sans de complexes réglages du fonctionnement médical des soins. Non que ce soit là un réflexe corporatiste mais parce que c’est le bon sens. La dépense de soins et de biens médicaux est tellement élevée en France que dans le débat public la question des coûts est omniprésente. Mais quand il s’agit de réduire intelligemment les coûts, c'est-à-dire d’améliorer l'efficience, les avis sont divergents et pour la plupart non fondés sur des preuves. Or nous connaissons bien les dépenses inutiles dans le système de soins des pays développés depuis l’étude “To Err is Human” (https://nap.nationalacademies.org/download/9728) sur les complications et les erreurs en médecine (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25077248/ ), et celle de l’OCDE (https://www.lenouveleconomiste.fr/20-a-30-de-depenses-inutiles-sante-62439/) qui compare différents pays. 

Un fonctionnement très coûteux du système lui même

En France il y a plusieurs gaspillages coûteux dont le coût de fonctionnement du système. Il est toujours intéressant de noter que ceux-là mêmes qui fustigent les caractéristiques supposées de tel ou tel système et en particulier le leitmotiv de l’inégalité, sont les premiers à passer sous silence les coûts de fonctionnement élevés qui ne servent en rien à soigner. Or la maîtrise de ces coûts de fonctionnement est difficile dans tous les monopoles ou oligopoles. Plusieurs administrations s’y sont essayées. Dans son discours de Bordeaux N. Sarkozy avait appelé à la responsabilité des directeurs d’hôpitaux devant les déficits chroniques de certains établissements. En réalité la situation est grosso modo restée la même. Il y a en effet des causes structurelles, l’hôpital est une administration, la technostructure des ARS est prescriptrice de plus de bureaucratisation avec un coût assumé par les établissements et surtout la culture du déficit et de l’endettement public est toujours ancrée dans le fonctionnement de la sphère publique. Face à cette situation où le nombre de non soignants (emplois administratifs et techniques) est insoutenable des décisions politiques s’imposent. Il est peu probable que l’IA puisse faire le job en lieu et place des politiques. 

Toutefois l’IA peut préciser le diagnostic de cette gabegie. En effet, les établissements sont très différents les uns des autres. Certains sont bien gérés et depuis longtemps d’autres sont à vau-l’eau. Les analyses de la Cour des comptes sont le plus souvent ramenées au résumé de leurs investigations en tête de chapitre, c'est-à-dire une régression à la moyenne qui cache la variance (mesure de la dispersion de toutes les valeurs d'un ensemble de données) des situations.



Figure N°1: Les coûts de fonctionnement des systèmes de soins sont extrêmement dispersés et varient de 1,5 à plus de 8% de la dépense de soins et services médicaux. C’est un gisement d’économies négligé. En France les assurances complémentaires (“mutuelles”) ont un coût de fonctionnement égal en volume à celui de la sécu (https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/tackling-wasteful-spending-on-health_9789264266414-en#page44). Le doublon du traitement des dossiers par les assurances complémentaires n’explique pas tout, une faible concurrence, des pratiques contractuelles opaques et la récente obligation de cotisations dans certaines entreprises renchérissent le coût pour les assurés.



L’IA et l’amélioration de la qualité des soins : 

Le but de la médecine est de diminuer les risques et d’améliorer les bénéfices des traitements. Il va être très intéressant de suivre la publication revue par des pairs de ces expériences cliniques en vie réelle à Taiwan. Les dépenses inutiles sont très importantes dans le système de soins. Probablement entre 20 et 30%. Les essais prospectifs randomisés sont indispensables pour évaluer les solutions efficaces. Bien évidemment gaspiller n'est plus tolérable quand les ressources sont aussi rares en particulier pour certains médicaments, les places d’imagerie scanner ou IRM ou bien les places opératoires dans un contexte de pénurie de personnel. Il est fréquent à ce sujet d’évoquer les dépenses de "précaution" notamment imposées par des normes excessives ou celles qui résultent de la crainte de poursuites médico-légales. En réalité, il y a la partie immergée de l’iceberg qui est constituée de prescriptions de qualité médiocre, qui proviennent de différents prescripteurs qui ne considèrent pas les recommandations, le rapport bénéfice/risque ou bien sont insuffisamment formés ou informés. C’est à cette partie immergée de l’iceberg que s’adresse l’IA. Pour ce qui est des médicaments les prescriptions inutiles (donc dangereuses car il n’y a pas d’effet neutre des médicaments quels qu’ils soient) sont une cible qui semble avoir été atteinte lors des essais cliniques conduits à Taiwan. 

Prescription d’anti-infectieux (antibiotiques, antiviraux et autres) : 

S’agissant du traitement des infections, les prescriptions probabilistes établies en urgence sont souvent erronées par manque d’information, routine ou raisonnement biaisé. Le recours à l’IA n’est pas une baguette magique. Il accroît la probabilité de prédire le traitement le plus efficace. Mais il faut pour cela une base de données riche et accessible en particulier le dossier médical électronique dans une version exhaustive et non chaotique, l’ensemble des résultats microbiologiques de la zone d’hospitalisation et bien d’autres données. 

Les contraintes réglementaires en France : 

Cet exemple met en évidence les enjeux en particulier au regard des contraintes légales existant en France sur ce qu'il est convenu d’appeler la protection des données. En résumé les Français font confiance à leur application pour payer des achats, font confiance à l’encryption des données pour sécuriser ce qui leur permet de vivre à savoir l’argent qui leur reste après toutes les taxes mais ils sont empêchés de bénéficier de ces technologies s’ils arrivent en urgence dans un hôpital. Et pourquoi? Parce que ces mêmes techniques de sécurité sont jugées par une commission, la CNIL, insuffisantes pour assurer l’anonymat. Dans des articles de vulgarisation de l’IA ces risques sont surestimés: “Un autre défi est le besoin de confidentialité et de sécurité des données. L’utilisation de l’IA s’accompagne de la collecte de grandes quantités de données sur les patients, qui doivent être protégées pour garantir la confidentialité et la confidentialité des patients”. Bien évidemment et cela est déjà le cas, l’anonymisation des données est très sure, 

Les résultats en infectiologie : 

Le China Medical University Hospital aurait vu la mortalité des patients diminuer de 25 %, les coûts des antibiotiques de 30 % et l'utilisation des antibiotiques de 50 %. Ces statistiques descriptives ont été établies sur des milliers de patients traités depuis un an. Il s’agit de résultats considérables qui demandent une analyse précise des conditions de l'essai clinique. Ces conditions ne seront accessibles que dans la publication évaluée par des pairs mais ils envoient un signal. Les médecins savent que le potentiel est de cet ordre. Mais comment l'atteindre? L'assistant médical que constitue l’IA présente plusieurs avantages. Il contribue et change les conditions de prescription de manière subsidiaire c'est-à-dire au niveau des soins primaires, à l’étape du premier diagnostic et de la première prescription. Il est complémentaire puisqu'il prend en compte des données inaccessibles dans le temps et l’espace au médecin qui est devant le patient. Il est quasi-instantané et capable de revenir sur ses recommandations dès que des données supplémentaires sont accessibles et alors même que le médecin est occupé à d’autres tâches. Le critère de la mortalité qui est avancé par les médecins Taiwanais est très important car il est le plus fiable et aussi le plus difficile à diminuer avec des changements d’utilisation des antibiotiques et non de nouvelles molécules.

Perspectives : 

Tout d’abord il faut souligner que c’est une initiative qui s’inscrit dans le temps long. Le China Medical University Hospital de Taiwan  a établi les bases de cet hôpital de l'IA depuis des années. En 2015, l’établissement a créé un centre pour le big data, qui assure la confidentialité des données des patients tout en fournissant des protodata d'entraînement des algorithmes d'IA. Le Centre d'IA pour le diagnostic médical a été lancé deux ans plus tard.
Ensuite le futur de l’IA en médecine est comparable à une révolution que nous ne pouvons pas imaginer. Les bénéfices prévisibles de l’utilisation de l’IA dans les soins sont très importants. La précision des diagnostics, la personnalisation des traitements et l’efficacité de la prévention en dépendent. L’IA va améliorer la qualité des soins aux patients tant en médecine ambulatoire qu’en hospitalisation ou bien en prévention. Il est probable que plus d’intelligence produise plus de confiance et plus d’humanisme contrairement à ce que les Cassandre clament pour s'opposer à tout changement et en particulier ceux qui changent la donne. En fait comme pour l’iPhone c’est une révolution tranquille qui s'impose grâce à sa valeur d'usage et non par ses oukases.

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