Ces choses qu’on ne devrait pas dire à des malades du cancer mais qu’ils entendent si souvent<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Ces choses qu’on ne devrait pas dire à des malades du cancer mais qu’ils entendent si souvent
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Choix des mots

Une étude menée par le McMilllian Cancer Support au Royaume-Uni sur 2000 personnes ayant eu un cancer ou en étant toujours atteint explique que les mots et les clichés largement utilisés pour décrire la réaction des malades face au cancer sont perçus comme inappropriés, ou qu'ils divisent.

Philippe Bataille

Philippe Bataille

Philippe Bataille est directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et directeur du Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS, EHESS-CNRS). Il est également membre du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin. Ses recherches ont entre autres porté sur le racisme et la discrimination, le sexisme et le féminisme, et plus récemment sur l’expérience médicale et sociale de la maladie grave. Ses travaux actuels suivent ce qu’il advient de la catégorie de sujet dans la relation médicale et de soin. Les recherches en cours suivent des situations cliniques empiriques qui suscitent de si fortes tensions éthiques qu’elles bloquent le système de la décision médicale (éthique clinique), et parfois la conduite de soin (médecine de la reproduction et en soins palliatifs). Son dernier ouvrage est "Vivre et vaincre le cancer" (2016, Editions Autrement).

Voir la bio »

Atlantico : "Victime", "atteint de cancer", sont parmi les mots les moins appréciés par les sondés selon l'étude menée par le McMilllian Cancer Support. Comment analysez-vous ce rapport négatif à ces termes ?

Philippe Bataille: Ces termes ne prennent pas en compte les évolutions récentes de la maladie. Il y a un bouleversement sur quinze, vingt ans, depuis la découverte du génome. Tout ce qui est thérapie, diagnostic, se sont considérablement améliorés. Les mots qui tuent plus plus surement que la maladie sont déplacés. Maintenant ça renvoie à l'idée d'une injustice. La maladie a beau être répandue, et la première cause de mortalité en France, le fait d'être atteint quand tant d'autres y échappent renvoie à l'idée d'une injustice, à la question: "pourquoi moi?". Si les mots sont durs ou si l'impression produite est celle d'une condamnation, cela en rajoute. Il n'empêche qu'aujourd'hui il y a un parcours de soins qui va durer très longtemps et dans lequel certains malades vont s'épuiser et en même temps se recomposer, sortir de ce temps méchant qu'était la maladie et ils ont même parfois le sentiment de sortir transformé, pas forcément abimé ou dégradé même si c'est le risque. Les mots renvoient une sentence qui renforce l'injustice et donnent une prévision ou une anticipation de ce qui va se passer qui va être difficile. Ce n'est pas parce qu'on est diminué et déstabilisé qu'on a, en plus, besoin d'être accablé.   

Cette étude montre aussi la division qu'il y a et le nombre multiples de réactions des patients. Les termes "héros", "lutter", "combattre" peuvent être pour certains un poids (parmi les termes les moins appréciés) et pour d'autres, qui témoignent, un élément qui rebooste ? La façon dont l'entourage parle d'une maladie, le cancer en l'occurrence, peut-elle influencer la façon dont la personne concernée réagit vis-à-vis de sa maladie ? 

C'est le patient qui est en première ligne. Tout ce qui est de l'entourage est important voire recherché. Pour celui qui rentre dans la maladie il y a un face à face avec le traitement, les symptômes, dont les effets pervers sont parfois plus prégnants que la maladie. Il y a une forme de respect du combat. Les combattants sont inégaux. Entre le malade et sa maladie, il y aurait un vainqueur à la fin de l'histoire. Les encouragements, les présences, les soutiens, tout ça compte surtout sur la durée. Au moment du traitement, c'est la personne qui doit se déplacer, se mettre sous des grosses machines, ingurgiter des produits qui sont du poison, s'exposer au risque de séquelles. On sait qu'il y a une forme de guerre à livrer mais ce ne sont pas forcément les mots les plus appropriés aujourd'hui car ces mots laissent penser qu'il va y avoir un gagnant et un perdant alors que ce n'est plus tout à fait la trame aujourd'hui. On parle de survie, ce qui n'est pas particulièrement élégant. On est rentrés dans une temporalité beaucoup plus longue, faisant que même dans un cas qui se termine mal, il faut quand même assurer sur la durée. Ces mots-là ne correspondent pas à la chronicité de la maladie. Le terme de guérison est tout à fait approprié aujourd'hui. Il reste un gros volume de population qui a mis en place de nouveaux termes: vivre avec, comme une lutte permanente. Ce sont des formes d'équilibres, avec une maladie qui peut rester quelque part et qui peut ou pas se réveiller. Quand on a vaincu un cancer, on l'a très souvent endormi. Nous sommes dans des situations de durée, de renouveau de son énergie. Si l'image de la guerre devrait être utilisée, ce serait une guerre de tranchées avec des stratégies performantes du côté de la médecine, mais le cancer garde son génie, qui consiste à déjouer tous les traitements. 

Comment faire pour être factuel et se débarrasser de nos représentations ? Comment parler de cette maladie de façon neutre ? 

C'est difficile de parler de manière neutre de la première cause de mortalité en France. Ce n'est pas neutre. Les représentations sociales évoluent plus lentement que la connaissance en médecine. Curieusement, c'est aussi l'espoir, la dimension collective de la lutte qui font que l'on est en capacité de penser que le cancer n'est pas fatal à tous les coups. On ne saurait avoir une vision héroïque de la situation d'un seul des malades du cancer tant qu'on n'a pas été exposé à une maladie mortelle. Quelque chose reste, de très marquant. L'incidence du cancer augmente. On est à 400 000 nouveaux cas par an en France. Il y a des progrès à tous les niveaux, des résultats qui augmentent la performance médicale, l'implication des patients qui font du sport, qui font attention à ce qu'ils mangent. Tout repose sur le malade: sa capacité à suivre ses traitements, qui ne sont pas anodins. Il peut presque suivre sur Internet la transformation des tumeurs, etc. Il y a une nouvelle lecture, modifiée au niveau sociétal du cancer, par rapport à la réponse médicale et à la manière dont les malades vivent cette expérience à travers ce parcours. En même temps il y en a de plus en plus. Il y a une réponse collective sur le cancer qui a amélioré les performances et en même temps une dégradation par l'incidence. Il y a une relative persistance d'une inquiétude, d'une image - la faucheuse - qui n'est plus vraie individuellement mais qui l'est quand même dans les chiffres.   

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !