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Ces choix et expériences qui ont façonné l'œuvre d'André Malraux
©AFP

Bonnes feuilles

Avant de devenir l'écrivain de génie qu'il était, André Malraux s'est construit un vécu, une expérience. Extraits du livre "Malraux. Apocalypse de la fraternité" de Jérôme Michel, publié chez Michalon, collection Le bien commun (2/2).

Jérôme Michel

Jérôme Michel

Jérôme Michel est conseiller d'État. Il enseigne le droit public à l'université Paris-Descartes, à Sciences-Po Paris et à l'université du Caire. Il est l'auteur de Malraux. Apocalypse de la fraternité, François Mauriac: La justice des Béatitudes et Blum: Un juriste en politique.

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De même que, comme l’écrivait Paul Ricoeur, « notre première entrée dans la région du droit a été marquée par le cri : C’est injuste ! », de même la quête de la fraternité commence par sa négation absolue. Si la fraternité est d’abord un mot aux usages souvent galvaudés et sur lequel il est tentant d’ironiser à la manière d’un Paul Valéry, rien de tel chez Malraux ; elle n’est jamais définie dans l’abstrait, mais éprouvée à partir d’une expérience inaugurale : celle de l’humiliation. Malraux faisait sienne la réponse de Nietzsche à la question de savoir ce qui est le plus humain : « Épargner à tout homme la honte ». Ce n’est dès lors pas un hasard si l’une des définitions les plus importantes qu’il donne de la fraternité est celle exprimée, avec des mots simples et hésitants, par le vigneron catalan Barca, dans L’Espoir, s’adressant aux deux intellectuels Manuel et Garcia : « Écoute, Manuel ; je vais te dire une bonne chose, que vous ne connaissez pas, tous les deux parce que vous êtes trop…enfin, trop…vous avez eu trop de chance, disons. Un homme comme lui, Garcia, sait pas trop bien ce que c’est, que d’être vexé. Et voilà ce que je veux te dire : le contraire de ça, l’humiliation, comme il dit, c’est pas l’égalité. Ils ont compris quand même quelque chose, les Français, avec leur connerie d’inscription sur les mairies : parce que, le contraire d’être vexé, c’est la fraternité. »

L’humiliation est l’exact contraire de la fraternité et cette dernière ne serait qu’une vague et trompeuse rhétorique si l’humiliation n’était pas l’expérience première et cruciale. D’emblée, chez Malraux, la fraternité appartient au domaine des sentiments davantage qu’à celui de la théorie. Elle s’éprouve, avant de se penser. Seuls ceux qui ont connu dans leur chair l’humiliation, le mépris ou le dédain peuvent comprendre ce que signifie réellement la fraternité comme sentiment et comme valeur.

Pour sa part, c’est à l’âge de vingt-trois ans que Malraux, en qualité de prévenu, a subi l’épreuve de l’humiliation individuelle dans les enceintes du tribunal correctionnel de Phnom-Penh et de la Cour d’appel de Saïgon, épreuve qui fut le prélude à la révélation de l’injustice d’une société tout entière et, plus profondément encore, de l’absurdité de la condition d’homme. 

Qui est alors André Malraux ? Il est né avec le siècle, à Paris, le 3 novembre 1901. Après le divorce de ses parents, il est élevé par sa mère, Berthe Lamy, sa grand-mère et sa tante à Bondy où les trois femmes tiennent une épicerie. « Presque tous les grands écrivains que je connais aiment leur enfance, je déteste la mienne », écrira-t-il au début des Antimémoires. Adolescent, Malraux s’émancipe de cet univers féminin par d’innombrables et précoces lectures. Un temps élève à l’école primaire supérieure de la rue Turbigo, Malraux abandonne ses études secondaires pendant la première guerre mondiale pour devenir « chineur » dans le milieu des bibliophiles. Son père sert dans l’une des premières unités blindées de l’armée française. En 1919, Malraux devient un collaborateur de René-Louis Doyon qui dirige une petite revue, La Connaissance. C’est à cette même époque qu’il découvre Nietzsche et fait la connaissance de Max Jacob. Il se lie d’amitié avec Marcel Arland et Pascal Pia, fréquente les milieux cubistes, rencontre Pierre Reverdy, André Salmon, François Mauriac, Jean Cocteau et Raymond Radiguet, devient éditeur d’ouvrages rares à tirage limité et écrit ses premiers textes sous le signe du « farfelu » dont Lunes en papier, (1921) dans une édition de luxe illustrée de gravure de Fernand Léger. Il rencontre Clara Goldschmidt qu’il épouse le 21 octobre 1921. Cette dernière lui fait découvrir, notamment, l’expressionnisme allemand et les grands musées européens. La fortune que Clara a apportée en dot s’évapore à la suite de placements hasardeux décidés par son mari. Le couple est ruiné. C’est alors que Malraux eut l’idée de se rendre au Cambodge. C’est le début de « l’aventure indochinoise », période essentielle de sa vie où sa conscience politique s’est forgée en se heurtant à la résistance obstinée de la justice et de l’administration coloniale et sans laquelle, selon Walter G. Langlois, il est impossible de vraiment comprendre Malraux. Cette épreuve cependant, loin de le broyer, va en quelque sorte le faire naître à lui-même. Cette expérience inaugurale fraie la voie de sa première apocalypse de la fraternité.

Extraits de "Malraux. Apocalypse de la fraternité" de Jérôme Michel, publié chez Michalon, collection Le bien commun.

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