Ce risque aigu que prend Éric Zemmour à ne pas se démarquer de certains de ses soutiens<!-- --> | Atlantico.fr
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Un supporter tient une pancarte indiquant "Impossible n'est pas français" lors du premier meeting de campagne d'Eric Zemmour à Villepinte, près de Paris, le 5 décembre 2021.
Un supporter tient une pancarte indiquant "Impossible n'est pas français" lors du premier meeting de campagne d'Eric Zemmour à Villepinte, près de Paris, le 5 décembre 2021.
©STEFANO RELLANDINI / AFP

Calimero à Fort Alamo ?

Si le candidat ne saurait être responsable des excès commis ou prononcés par d’autres, certaines clarifications lui permettaient probablement de gagner plus d’électeurs qu’il n’y perdrait

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Arnaud Stephan

Arnaud Stephan

Arnaud Stephan est fondateur de lanotedecom.com et chroniqueur sur LCI.

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Atlantico : Plusieurs groupuscules d’extrême droite étaient présents lors de la réunion d’Éric Zemmour à Villepinte. L’un d’entre eux a commis des actes violents contre les militants de SOS Racisme. Si le candidat a dit condamner « évidemment toutes les violences ». Il a estimé que les militants de SOS racisme venaient faire de la provocation. Il a même affirmé sur BFMTV que cette opération servait à « montrer aux médias » que ses soutiens « sont méchants » ... « Ces gens-là n’avaient pas à être là, je ne me sens en rien responsable », a-t-il ainsi résumé. Comment expliquer le choix d’Éric Zemmour de se détacher de ce type d’actes ? Peut-on y voir une stratégie électorale pour ne pas froisser cette partie de l’électorat ? Est-ce la stratégie qu'il applique depuis le début de sa pré-campagne ?  

Jean Petaux : La séquence de dimanche soir que l’on pourrait titrer « bagarres à OK Corral Zemmour » est confondante de stupidité partagée. Premier élément à avoir en tête : des bagarres dans des réunions publiques, aux alentours de l’enceinte où celles-ci se tiennent ou aux abords immédiats sont quasiment des figures imposées des campagnes électorales. Au moins quand il existait encore des partis politiques et des militants sinon en masse du moins motivés. Avec un trait d’humour on pourrait dire que la nostalgie d’Eric Zemmour pour les années 50 ou 60, pour une France du « formica et du ciné » a connu avec cet épisode dominical « bataille de préau d’école » un « temps de jeu » raccord avec cette époque identifiée à un « âge d’or ». Cela se déroulait ainsi en effet entre ligues et mouvements fascistes ou protofascistes contre tous les militants de gauche voire d’extrême-gauche,  dans les années 50-60 (et même, encore plus dans les années 30). On se souvient des manifestations violentes, au Quartier latin parisien, pro ou anti-Négus en 1936-37. Une légende veut que Jean-Marie Le Pen, leader de la fraction minoritaire de l’UNEF aurait perdu son œil lors d’une bagarre avec les « rouges » de la « Majo » du syndicat étudiant qui était surpuissant dans les années 50. Jusqu’aux années 70, ce genre de situation était monnaie courante et les SO (comprendre « Services d’Ordre ») « nettoyaient », selon la terminologie de l’époque, les « bordures », exfiltrant manu militari les perturbateurs de salles ou tous ceux qui venaient porter la contradiction. Au point que ceux-ci, telle une équipe de rugby, mettaient les « gros » (le paquet d’ « avants ») en protection des plus petits, les intellos, qui savaient manier la parole et qui, eux, contestaient la parole du leader sur scène. En ces temps pas si reculés, un groupe qui venait « mettre le bazar » dans une réunion publique savait qu’il pouvait s’en prendre plein la tête par les militants du parti qu’ils venaient chahuter. Un meeting électoral n’est pas une enceinte démocratique, c’est un tout autre exercice. Il ne faut confondre ni les scènes, ni les acteurs, ni leurs configurations. Se soustraire à ce constat c’est, effectivement, s’exposer à un « vidage en bonne et due forme » et il est pour le moins étonnant que les perturbateurs passent pour des victimes alors qu’ils sont venus « jouer » sur un terrain qui leur est hostile.  

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Il y a donc eu une bonne dose de provocation de la part des militants de SOS Racisme. Et s’étonner que l’on se prenne des coups quand on vient dans une telle salle surchauffée, pour « manifester » même « pacifiquement » c’est soit faire preuve d’une hypocrisie vaguement cynique soit pêcher par une insondable naïveté. Ou alors il s’agissait vraiment de se faire taper dessus pour faire de « belles images ». Il n’en demeure pas moins que la responsabilité politique finale (juridique c’est autre chose, et n’étant pas juriste je ne me prononcerai aucunement sur cet aspect), dans ce genre de situation, revient aux organisateurs et, au bout de la chaine, au candidat lui-même. Un service d’ordre se doit d’être professionnel et doit maitriser tous les événements qui se déroulent, à tout le moins, dans l’enceinte du meeting. Autrement dit : le « nettoyage » doit se faire selon un protocole précis, fondé sur la dissuasion et, en dernière instance, si les différents mécanismes n’ont pas fonctionné, sur l’usage de la force, dans le respect de la proportionnalité des moyens. Car dans le cas contraire les images peuvent être ravageuses. C’est d’autant plus indispensable aujourd’hui que toutes les équipes de campagne ont désormais leurs propres équipes de production d’images, afin que celles-ci soient « propres », « télégéniques » et « léchées » quand elles sont diffusées sur le net,  sur les chaines d’infos en continue ou les grandes chaines généralistes. Au point que ce processus devient scandaleux et devrait susciter une protestation collective de tous les médias audiovisuels. Donc, à quoi cela sert-il de fournir des « images » certifiées par le staff communication du candidat si, « back stage » ou en fond de salle, se superposent les images de têtes ensanglantées ? Une fois encore Eric Zemmour et son entourage ont montré qu’ils ne sont pas totalement des « pros ». Ou, plus prosaïquement, ils n’ont pas eu les moyens de mettre  en place un SO efficace et compétent. Quant à savoir si Eric Zemmour peut ou doit se détacher des actes violents, et s’il ne le fait pas serait guidé ainsi par des considérations électorales, cette question me semble sans objet.

Arnaud Stéphan : La violence est aussi vieille que la politique et vice versa. Il existe de manière intrinsèque une violence en politique. Ce sont des rapports anormaux dans un contexte anormal. Il est question de quelque chose d’irrationnel pour laquelle des enjeux d’égo, de croyance, de vision du monde sont en jeu. Ce sont de puissants combustibles pour de la violence. Il n’est pas question de relativiser ou de justifier tel ou tel acte, en revanche il faut regarder les choses de manière purement factuelle. 

Toute pratique politique implique un rapport de force, à partir de ce moment-là toutes les options sont ouvertes, c’est au politique de savoir ce qu’il est prêt à mettre en œuvre et jusqu’où il est capable de ne pas aller. 

Dans le cas présent ce n’est pas une volonté d’Éric Zemmour d’attaquer des militants d’une autre formation ou de donner des ordres directs de viser x ou y. 

Nous sommes dans un environnement propice à ce genre de débordements avec des provocations et une riposte. Il question d’opposants avec des sacs avec des cocktails Molotov, de boulons. Je ne pense sincèrement pas que c’était pour faire un atelier de la citoyenneté en marge de la réunion de Reconquête.  

Il faut être d’une grande mauvaise foi ou faire preuve de coupables trous de mémoire pour ne pas se souvenir que Monsieur Benalla n’a pas utilisé les arguments de la raison place de la Contre-Escarpe, ni que le service d’ordre (SO) de la CGT n’était pas venu avec des battes de baseball pour faire une partie avec les antifas en mai dernier. 

Il est question d’un groupe, les Zouaves, qui est par nature gazeux car presque spontané. Il rassemble des militants de différents groupes qui agissent de manière autonome sans en référer à leur hiérarchie. Il est donc impossible de désigner un responsable car il n’y a pas de structure.  

En revanche, cela implique de la part de l’état-major de la campagne Zemmour de renforcer leur SO et de prévenir ce type d’action avec par exemple des messages avant le début de la réunion : n’intervenez pas, adressez-vous au service d’ordre.

Pour autant, s’il entend reconquérir du terrain dans l’opinion, Éric Zemmour ne gagnerait-il pas plus d’électeurs qu’il n’en perdrait en dénonçant ces actes ? 

Jean Petaux : Zemmour va sans doute exposer de plus en plus ses fréquentations ultra-droitières, au fur et à mesure d’ailleurs qu’il va baisser dans les sondages et qu’il va chercher à faire venir à lui la frange la plus radicale de l’électorat RN ou les électeurs des groupuscules de la droite radicale qui détestent d’ailleurs Marine Le Pen et le RN considérés désormais comme des « mollassons » (sachant que ce n’est pas le vocabulaire employé pour dénoncer la pratique politique de la leader de l’extrême-droite). Ce durcissement de la campagne de Zemmour, à la droite du RN, ne lui apportera rien en nombre de suffrages et l’enfermera dans le rôle d’un « Mégret » marginalisé par le « menhir breton » Jean-Marie Le Pen, au tournant des années 2000 ou dans celui d’un « Philippot », opposant de rancune et rancœur à Marine Le Pen.

Arnaud Stéphan : Dans son esprit, il n’a aucune responsabilité, ce qui est factuellement vrai. Il y a en revanche une faiblesse structurel de ce nouveau parti dont on ne peut pas demander qu’il ait l’expérience de Parti Socialiste ou de RN. Je ne crois pas que les soutiens d’Éric Zemmour attendent qu’il dénonce ces actes. Je crois même le contraire et que certains voient d’un bon œil le vitalisme de certains jeunes. Encore une fois personne ne demande de compte à LR et avant à l’UMP ou le RPR sur les actes du MIL, structure héritière du SAC, qui ne faisait pas dans la dentelle comme SO. Cela dépend à qui on s’adresse. Les cadres de l’UDI seront choqués moins ceux de l’UNI, des conservateurs ou du RN. En revanche il faut se garder de tomber dans une spirale de violence systématique.

Les groupes violents ne constituent-ils pas une ligne rouge et un marqueur trop fort de l’extrême droite pour l’électorat de droite pourtant prêt à voter pour lui, alors même que Zemmour a besoin de rassembler ? 

Jean Petaux : Plus Eric Zemmour va montrer ses limites et rendre visible son « seuil de Peter » (plafond qui fait que l’on a atteint son seuil d’incompétence dans n’importe quelle activité, organisation ou institution) plus il va avoir tendance à surenchérir non seulement sur Marine Le Pen mais aussi sur le discours de Valérie Pécresse. Il s’agit-là de ce que l’on peut qualifier de fuite en avant dont l’issue est envisageable sans surprise : la radicalité du discours va fonctionner plus comme un répulsif que comme un aimant. Si la violence devient un « marqueur » du « camp Zemmour », celle-ci soudera les plus extrêmes de ses soutiens qui viendront « casser du gauchiste » à chaque meeting mais il en sera terminé des « familles de type Sens Commun » (« un papa, une maman, deux Pater et trois Ave ») dans ses réunions publiques d’abord, dans son électorat ensuite. Ces parangons d’une droite inquiète de l’immigration, en quête d’identité et en (re)conquête de la France, trouveront que, décidément, ce Zemmour exagère et qu’il porte en lui les germes d’une guerre civile qu’il est sans doute trop tôt de déclencher.

Arnaud Stéphan : De quoi parle-t-on ? Les groupes en question sont intervenus sur des gens venus faire de la provocation et d’autres venus en découdre avec des cocktails Molotov. 

Faisons le test, si vous voulez, d’aller perturber un rassemblement de LFI. Poser la question de cette manière change la perspective et donne une vision différente. 

Sur les groupes violents spécifiquement, tant qu’ils ne sont pas instrumentalisés par la campagne, qu’ils ne sont pas intégrés au dispositif de celle-ci, je ne vois pas ce qu’on peut reprocher. Sur leur présence dans les réunions publiques, on sait très bien que les membres de ces groupes ont l’expérience des stades et connaissent les moyens de s’anonymiser dans une foule et de passer les contrôles. Ils n’arrivent pas en groupe constitué et se reforment plus tard. 

La Ligne rouge serait un incident qui dégénère. Là, le polémiste pourrait voir une partie de son électorat se détourner de lui.

Éric Zemmour ne saurait être tenu pour responsable des violences commises par certains individus lors de son meeting à Villepinte ou de la présence des manifestants, de la même manière que Trump ne l’était pas pour sa campagne en 2020. Néanmoins, à ne pas vouloir choisir ses soutiens, Zemmour ne risque-t-il pas de subir le même sort que Trump ? 

Jean Petaux : Permettez-moi d’apporter une nuance à votre proposition. Eric Zemmour, à mes yeux, est politiquement « responsable » des violences commises dans son premier meeting de lancement de campagne, dimanche 5 décembre dernier. J’ai bien parlé plus haut de responsabilité politique et non juridique ou judiciaire. Il est vrai que Trump a passé son temps à nier sa responsabilité politique dans les outrances de ses supporters les plus ultras (y compris lors de l’assaut contre le Capitole qui s’apparentait à une tentative d’insurrection contre un des symboles de la démocratie états-unienne). Pour autant elle était attestée. Il ne s’agit absolument pas de comparer Donald Trump et Eric Zemmour. Ne serait-ce que parce que Trump était le président sortant, élu démocratiquement quatre ans plus tôt, alors que Zemmour est loin d’être qualifié au second tour de la présidentielle, sans parler-même d’une victoire dans la course à l’Elysée. En revanche ce qui menace Zemmour c’est sa disqualification dans la compétition  présidentielle. Celle-ci serait ainsi due au fait de refuser de faire le tri dans ses soutiens entre démocrates et non-démocrates ; de ne pas surveiller ses « fréquentations politiques » et, in fine, de ne pas être à la hauteur de l’enjeu en n’étant, pas encore, une fois « professionnel » dans la compétition. Dans cette configuration Zemmour va droit dans le mur. Pas certain qu’il soit nécessaire que celle-ci se présente pour qu’il y aille directement d’ailleurs…

Arnaud Stéphan : La politique c’est aussi de la pratique. Personne ne peut choisir qui met le bulletin dans l’urne. Je ne crois pas qu’il y ait une volonté d’utiliser ces groupes de manière actée et structurelle. Maintenant pour faire campagne vous avez besoin de militants pour coller, tracter et tenir le terrain. Je ne connais pas un parti qui n'a pas ou qui n’a pas eu ses gros bras. Même le Président Giscard utilisait des militants du PFN et les services de KO international, célèbre entreprise de sécurité de l’époque. Le Parti Socialiste a récupéré les militants trotskystes du courant lambertiste qui n’étaient pas réputés pour être de doux éphèbes. 

Il est très difficile de parler de groupes qui n’ont pas d’existence propre. Ces groupes de jeunes nationalistes ont adopté les méthodes de réseaux plutôt que de structures de leurs adversaires antifas et avant eux des autonomes. Cela créé un doute et il très difficile monter des contre-mesures. Initiatives qui pourraient finir par créer des conflits entre ces groupes et le SO de Reconquête. C’est une situation très bancale. 

Si Éric Zemmour à une réelle influence sur ces derniers, il temps pour lui de lancer son « stand back and stand by ». 

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