Ce rebond de l’inflation qui n’en était pas un (et la catastrophe économique à laquelle nous mènent ceux qui y croient)<!-- --> | Atlantico.fr
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Après plusieurs mois consécutifs de baisse, le taux d'inflation a augmenté en France au mois d'août. D'après les calculs de l'INSEE, la hausse des prix atteint, en effet, 4,8 % en rythme annuel, contre 4,3 % en juillet.
Après plusieurs mois consécutifs de baisse, le taux d'inflation a augmenté en France au mois d'août. D'après les calculs de l'INSEE, la hausse des prix atteint, en effet, 4,8 % en rythme annuel, contre 4,3 % en juillet.
©DANIEL ROLAND / AFP

Inquiétant ?

Au début de cette année-là, l’inflation était avec nous pour longtemps, un soft landing allait advenir, la cherté de l’euro était une vue de l’esprit, et en cas de problème le banquier central allait nous protéger. L’histoire monétaire se répète, parce que nous n’apprenons pratiquement rien de leurs erreurs.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Beaucoup de gens gagnent de l’argent ou du pouvoir si l’inflation est perçue comme forte et persistante. En particulier tous ceux qui ont un intérêt dans des taux d’intérêt plus hauts plus longtemps. Il se trouve qu’ils contrôlent les banques centrales et le gros des banques commerciales, soit 90% de la communication dans ce domaine. Leur argument est simple : de nombreuses forces « structurelles » (comprendre : inexorables & durables) vont se liguer pour empêcher une normalisation des prix ; de sorte qu’il faut rester vigilant pour ne pas dire restrictif sur la politique monétaire, pour longtemps. Ils sont rejoints paradoxalement par les gauchistes qui voient des profits « inflationnistes » partout, et par les écologistes qui reconnaissent que la transition énergétique va coûter un bras : tout ce beau monde structuralise l’inflation, vue comme une agrégation de coûts. Expliquons pourquoi ces positions en apparence sages sont vides de sens :

1/ l’inflation ne peut pas être structurelle puisque c’est un phénomène nominal

La société place l’inflation là où elle souhaite la placer. Notre société vieillotte et averse au risque souhaite depuis 1983 un peu partout en Occident la placer basse : certes, elle ne décide pas du prix du baril de pétrole ou du prix des semi-conducteurs si elle n’en produit pas, mais elle décide du rythme de hausse du niveau GENERAL des prix ; c’est bien pour cela que nous avons des banquiers centraux indépendants dotés d’une cible d’inflation (le fait que cette cible à 2%/an sur un indice de prix à la consommation soit idiote, vue qu’elle nous place à la merci de 2 ou 3 mollahs du Golfe Persique, n’est pas le sujet ici). L’inflation est monétaire, il n’y a donc pas d’inflation par les coûts : si un bien ou un service coûte soudainement plus cher, les gens auront moins d’argent pour se payer un autre service ou un autre bien, donc leur demande baissera, donc les prix s’ajusteront, donc on aura juste obtenu au total un changement dans les prix relatifs, pas une hausse du niveau général des prix. Il y a inflation quand l’offre de monnaie dépasse la demande de monnaie, et quand cela se fait dans des proportions telles que les anticipations s’en mêlent. Il n’y a pas d’inflation par le pétrole, par les salaires, par l’immobilier, a fortiori dans une ère d’anticipations ancrées. Ceux qui raisonnaient à partir d’une inflation non-monétaire, les keynésiens des années 70, ont été ridiculisé autant par les progrès de la théorie que par les faits, mais ils reviennent après un relooking de leurs analyses (au fond, de vulgaires courbes de Phillips, l’idée que les salaires causent l’inflation alors que c’est l’inverse) ; et de nos jours l’œuvre de Milton Friedman est violée tous les jours par tout le monde, ce qui nous coûte très cher, nous y reviendrons.

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Pourquoi l’inflation « structurelle » est-elle une fâcheuse régression ? Car elle autorise tous les propos de café du commerce. Prenez par exemple l’intelligence artificielle : pour les uns, c’est évident elle va stimuler la croissance, occasionner des profits considérables, d’où une plus forte demande agrégée, des surchauffes, peut-être de l’inflation, à calmer par des taux d’intérêt plus hauts. Pour les autres, elle va réduire les pressions salariales (voire les emplois), et il est donc évident qu’elle est d’essence désinflationniste, ce qui milite pour des taux plus bas. Qui a raison ? Allez savoir ! Les deux partis discutent en fait des coûts ou des prix relatifs, pas du niveau général des prix. Idem avec la démographie, dont on nous expliquait hier qu’elle était désinflationniste et japonisante (vieillissement = moins de croissance = moins d’inflation), et dont on nous dit aujourd’hui qu’elle est inflationniste (peu de qualifications au bon endroit = pricing power de certains salariés = inflation).

On est ici hors-sujet, faute de maitriser les concepts de base, un peu comme dans un livre de Nicolas Bouzou.     

2/ Empiriquement, tous les indicateurs pointent dans une autre direction

Que vous soyez sérieux (l’inflation véritable est monétaire donc il faut regarder la croissance nominale, les agrégats et les taux de changes) ou que vous soyez un amateur pas très éclairé (l’inflation par les coûts, les enquêtes de conjoncture, les prix des matières premières…), reconnaissez que tout part vers le Sud dans les graphiques, depuis des trimestres entiers, et à l’horizon de la prévision. Le dossier de « l’inflation persistante » est vide, et il sera ridicule dans quelques mois :

-        Le commerce international est dans les très basses eaux. On dit que c’est la faute des chinois, cela n’a rien à voir bien entendu avec les perspectives de consommation en Occident,

-        La pente de la courbe des taux US est inversée depuis 15 mois : le compte à rebours est bien enclenché,

-        Les agrégats monétaires sont en chute libre. Les chiffres de lundi dernier pour la zone euro étaient épouvantables, les pires depuis la création de la zone euro. Personne n’a fait de commentaires,

-        En lien, les chiffres du crédit aux entreprises sont au plus bas depuis 20 ans. Cela vient de la demande, pas de l’offre. L’investissement qui n’était déjà pas brillant va chuter,

-        Les enquêtes (PMI, ISM…) indiquent toutes une récession à venir. Les prix des matières premières s’ajustent depuis plus de 18 mois. Les prix industriels sont déjà en déflation,

-        Les hausses de taux n’ayant pas encore produit le gros de leurs effets, les variables en retard (emploi, salaires, immobilier) sont en risque, surtout l’emploi, vu que les gains de productivité sont négatifs depuis 5 ans en zone euro, ce qui implique 5 à 8 millions de personnes « en trop »,

-        Pourquoi des hausses de salaires désormais en zone euro quand il n’y en a pas eu vers 2021-2022 en période archi-favorable ? Idem pour les anticipations d’inflation : pourquoi se désancrerait-elles quand elles ne l’ont pas fait au pic de l’inflation statistique à 8% ?

-        Il n’y a pas assez de marges de manœuvre budgétaires (surtout facturées à 4%) pour compenser quoi que ce soit d’important en 2024. On va sentir le choc.

Pourquoi personne ne mise sur un scénario de déflation intense alors qu’on y va tout schuss ? Facteur aggravant chez nous, l’euro est à son plus haut et de loin depuis sa création (ce dessous, en termes réels, contre un panier large de monnaies pondérées des échanges), ce qui en dit long sur la violence de nos hausses de taux d’intérêt, et ce qui va renforcer les tendances déflationnistes en 2024 & 2025 :

3/ Pour se rendre compte à quel point nos décideurs vivent dans un monde parallèle, rien de mieux qu’un extrait du discours de Christine Lagarde à Jackson Hole il y a quelques jours : tenez-vous bien : tout ce qui précède est de peu de valeur car nous sommes à la veille d’un décollage de l’investissement productif en zone euro !

« Plus important encore, il est probable que nous assistions à une phase d'investissements concentrés en début de période et largement insensibles au cycle économique, à la fois parce que les besoins d'investissement auxquels nous sommes confrontés sont pressants et parce que le secteur public jouera un rôle central dans leur réalisation.

Par exemple, la transition énergétique nécessitera des investissements massifs dans un délai relativement court - environ 600 milliards d'euros en moyenne par an dans l'UE jusqu'en 2030. Les investissements mondiaux dans la transformation numérique devraient plus que doubler d'ici à 2026. Le nouveau paysage international nécessitera également une augmentation significative des dépenses de défense : dans l'UE, environ 60 milliards d'euros seront nécessaires chaque année pour atteindre l'objectif de 2 % du PIB fixé par l'OTAN en matière de dépenses militaires. Même si le capital à forte intensité de carbone est amorti plus rapidement, tout cela devrait conduire à une augmentation des investissements nets.

Une telle phase d'augmentation des besoins en investissements structurels rendra les perspectives économiques plus difficiles à lire. Dans la zone euro, par exemple, l'investissement a augmenté au cours du premier trimestre de cette année dans un contexte de stagnation de la production, en partie en raison des dépenses d'investissement préprogrammées dans le cadre du programme européen "Next Generation" ».

Madame rêve…

a/ n’avons-nous pas entendu ce genre de discours 50 fois au cours des 20 dernières années ? combien de méga-plans européens devaient faire de nous l’économie du futur ?

b/ ne serait-ce pas logiquement un argument pour baisser les taux, plutôt que de les faire monter ?

c/ en regardant les indicateurs avancés, qu’est-ce qui nous permet de penser qu’une vague d’investissements additionnels se prépare en zone euro ? Et quelqu’un se décidera-t-il un jour à calculer les désinvestissements en cours et à venir, notamment en Allemagne où une notable partie du parc industriel est en train de devenir has been ?  NB : si le sur-investissement se prépare (vert, digital, militaire, autre, peu importe), il doit y avoir un risque de sous-épargne. Donc une réduction des surplus allemands. C’est le contraire que l’on observe depuis des mois, et à l’horizon de la prévision

d/ quel rapport de toute façon avec l’inflation, phénomène nominal ? quel rapport du coup avec la responsabilité de la BCE, avec sa cible ? Ne s’agit-il pas en creux d’une répétition de la faute de la Bundesbank vers 1992, quand elle arguait que sa politique de durcissement monétaire se justifiait par les investissements nécessaires vers l’ex-RDA (susceptibles de créer un climat de « surchauffe ») ?

Les besoins digitaux sont inflationnistes ? L’ont-ils été dans les années 80, 90, 2000 et 2010 ? les besoins de rééquipement militaire sont inflationnistes ? seront-ils vraiment effectués ? et seraient-ils suffisants même avec 1 point de PIB en plus de dépenses pour faire monter l’inflation ? Sérieusement ? Le télétravail est inflationniste ? Peut-être à large échelle, sauf qu’on nous avait dit le contraire il y a peu avec une généralisation du télétravail qui était censée doper les gains de productivité…

De façon générale, c’est toujours une mauvaise idée de raisonner par les « besoins ». J’ai besoin de venir au bureau en Ferrari depuis des années, pourtant j’arrive toujours en métro. Ce qui compte n’est pas le « besoin » exprimé par des apparatchiks selon les modes du moment mais la rencontre entre une offre véritable et une demande solvable. La France en particulier aurait besoin d’investissements pour son école en faillite et son hôpital embouteillé, mais elle n’a pas le budget des Etats-Unis. Et si ces investissements arrivaient un jour, ils réduiraient les contrainte d’offre, ce qui ne serait pas inflationniste. 

4/ Nos gauchistes et leur chef Bruno Lemaire sont, eux, complètement à côté de la plaque :

Il n’y a aucune « greedflation » aux USA, fortiori en zone euro, a fortiori en France où les marges n’ont rien d’extraordinaire (à l’exception de deux boites qui font tous leurs chiffres à l’extérieur et dont l’une a perdu de l’argent pendant une décennie avant d’en faire) : pas d’inflation par les profits, en bonne théorie comme dans les faits ; que ce soit par les industriels ou les distributeurs, peu importe, mais j’imagine qu’il est politiquement plus rentable de faire le mariole à Bercy avec du « name & shame » autour de quelques firmes étrangères émettrices de Co2 que de regarder les données :   

Concluons : 

Quand le chef de la FED ose l’autre jour un "nous naviguons à la lumière des étoiles sous un ciel nuageux (we are navigating by the stars under cloudy skies)", il se moque du monde, car les nuages c’est lui qui les a créés avec sa politique de terreur monétaire depuis 18 mois. Quand la cheffe de la BCE parle de la transparence en politique monétaire, alors qu’elle refuse mordicus les quelques réformes très simples qui permettraient un peu plus de transparence (comme la publication des transcripts de son comité au bout de 3 ans au lieu de 50), elle se moque de nous. Quand tous affirment qu’un soft landing va arriver, ils n’en savent rien : on n’a jamais vu une hausse de plus de 400 points de base des taux d’intérêt (dans des économies où les anticipations sont ancrées) se terminer ainsi. Quand tous affirment que l’inflation va devenir plus volatile dans le futur, sur des bases « structurelles » bien entendu, après un autodafé des œuvres de Friedman dans une forêt près de Francfort j’imagine, on a envie de rétorquer : pourquoi refusent-ils alors d’élargir la marge de leur cible d’inflation, ou mieux, de sortir du CPI officiel qui n’est qu’une façon de traquer le prix des hydrocarbures sur 12 mois glissants ?

La réalité en ce bas monde c’est une politique monétaire de l’intuition, du doigt mouillé, hors modèles, hors marchés, dans un contexte de stabilité des anticipations, sans preuve aucune d’inflation persistante. Cette dernière est agitée pour des raisons de communication politique, pour justifier la plus extraordinaire expérience de destruction monétaire depuis 2008. Au début de cette année-là, l’inflation était avec nous pour longtemps, un soft landing allait advenir, la cherté de l’euro était une vue de l’esprit, et en cas de problème le banquier central allait nous protéger. L’histoire monétaire se répète, parce que nous n’apprenons pratiquement rien de leurs erreurs.   

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