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Ce qui se cache vraiment derrière "l'inégal sens des responsabilités" évoqué par Emmanuel Macron à propos des failles françaises face au Covid
©Thomas COEX / AFP

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Lors de son allocution du 24 novembre, Emmanuel Macron a esquissé un mea culpa sur la gestion de la crise sanitaire. Il évoque, sans préciser, “une organisation imparfaite, trop de bureaucratie, parfois un sens des responsabilités inégal”.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Lors de son allocution du 24 novembre, Emmanuel Macron a esquissé un mea culpa sur la gestion de la crise sanitaire. Il évoque, sans préciser, “une organisation imparfaite, trop de bureaucratie, parfois un sens des responsabilités inégal”. Que se cache-t-il derrière ces mots ? Est-ce une réelle prise de conscience des dysfonctionnements de son administration ?

Charles Reviens : Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron mentionne des faiblesses dans la gestion de la pandémie covid-19. Son allocution du 13 avril dernier, à mi-parcours du premier confinement, incluait les termes suivants : « Comme vous, j'ai vu des ratés, encore trop de lenteur, de procédures inutiles, des faiblesses aussi de notre logistique. Nous en tirerons toutes les conséquences, en temps voulu, quand il s'agira de nous réorganiser. ». Ces propos ne sont pas très différents de ceux de l’allocution du 24 novembre : « Nous avons aussi identifié certaines de nos faiblesses : une organisation imparfaite, trop de bureaucratie, parfois un sens des responsabilité inégale ».

La relative similitude entre ces propos tenus à sept mois d’intervalle conduit à un double constat. Le premier est que rien ne semble avoir beaucoup changé sous le soleil alors que la France comme tous les pays du monde connait des circonstances exceptionnelle et dramatique qui constituent des opportunités majeures de transformation rapide. Le second constat renvoie à la dominance de la communication dans l’action publique française contemporaine : comme l’indique Arnaud Benedetti dans sa contribution Atlantico d’hier, « il fallait bien discursivement payer son écot à la grogne anti-administrative qui monte. On calme par les paroles mais dans les faits c’est toujours l’administration qui continue de contrôler et de piloter. » Seule la réalité des actions future permettra de juger la dimension exclusivement communicationnelle ou la réalité de la prise de conscience des dysfonctionnements évoqué par Emmanuel Macron.

Atlantico.fr : Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans l’administration dans la gestion de la crise ? Est-ce justement la faute à “trop de bureaucratie” ?

La crise sanitaire covid constitue une occasion exceptionnelle de benchmark de la performance comparée de la gouvernance et des systèmes publics partout dans le monde. Il faut donc partir des résultats obtenus sur le double critère de la performance sanitaire et de la limitation de la destruction économique occasionnée par la pandémie. D’emblée il faut admettre le caractère multifactoriel et évolutif de cette analyse : des facteurs autres que la performance publique pèsent (facteurs climatiques, anthropologique, sectorisation de l’économie, mémoire collective d’épidémies récentes) mais bien entendu l’action des pouvoirs publics et de l’administration contribue massivement à la performance sanitaire et économique.

Si l’on limite ainsi l’analyse aux dix principales économies du monde représentant 60 % du PIB mondial (Allemagne, Brésil, Chine, Etats-Unis, France, Inde, Indonésie, Japon, Royaume-Uni, Russie), la France appartient au groupe des 4 pays autour de 80 morts covid pour 100 000 habitants (77 juste derrière le Royaume-Uni, le Brésil et les Etats-Unis). La moyenne mondiale se situe à 18 décès covid, chiffre de l’Allemagne, alors que le Japon en a 2. Concernant la situation économique, la France est à la 2ème place de la récession la plus sévère selon la dernière reprévision du FMI : -9.76 %, comme le Royaume-Uni. Seule l’Inde fait pire (-10,3 %) mais l’économie indienne était tout simplement la plus dynamique du monde avant la pandémie et possède d’importantes capacités de rebond.

Donc la performance française est médiocre et est à date et en analyse macro très proche de celle du Royaume-Uni, ce qui légitime clairement les faiblesses signalées dans les propos d’Emmanuel Macron. La France est au mieux « le meilleur des pire ».

Si l’on essaye d’expliquer cet écart de performance et en dépit de l’extraordinaire variété des réponses publiques de par le monde, on constate plusieurs stabilités : le niveau limité des ressources immédiatement disponibles au début de la crise (lits de réanimation ou tests par rapport à l’Allemagne), le recours massif notamment en Asie à la fermeture immédiate des frontières, la politique de test/traçage/isolement des personnes contaminées et contaminantes, la reconnaissance de l’importance des sujets logistiques souvent négligés en France (« l’intendance suivra »).

La France a pu amèrement constater que l’efficience et la performance plutôt autoproclamée de son système de santé était loin d’être évidente en dépit du dévouement et du sens du devoir des soignants. On note aussi l’extrême lenteur de mise en place de solutions largement déployées ailleurs : le Japon a compris dès mars 2020 l’importance de l’identification des super-contaminateurs et la restriction des interactions sociales aux seules circonstances massivement génératrices de contamination, la Corée du Sud disposait d’un test PCR agréé par les autorités sanitaires dès le 4 février 2020, l’importance de l’isolement vient seulement d’être rappelée par Emmanuel Macron cette semaine (dix mois après les pays d’Asie) et le débat n’est pas clair sur la question de la ventilation et de la purification de l’air dans les espaces publics et partagés, thématique très fortes en Allemagne.

Atlantico.fr : Pourquoi et comment l’Etat français est devenu aussi imposant et inefficace ?

Charles Reviens : On dit souvent que l’Etat est la matrice de la nation français et il a incontestablement connu un âge d’or après 1945 avec la mise en place de la sécurité sociale, les années glorieuses du commissariat général au plan, la politique industrielle couronnée de succès des présidents de Gaulle et Pompidou.

Beaucoup de choses ont donc changé. C’est d’abord le cas en matière de finances publiques. La France a certes les dépenses publiques et les impôts les plus élevés du monde (sans pourtant d’ailleurs réussir à équilibrer ses comptes depuis près d’un demi-siècle) mais ces dépenses concernent massivement les prestations sociales et le paiement des agents publics au détriment des fonctions régaliennes et de l’investissement public.

Il y a probablement un enjeu majeur de gouvernance publique avec une centralisation tant politique qu’administrative qui n’a aucun équivalent dans le monde démocratique et développé. Le niveau de détail dans lequel est rentré Emmanuel Macron lors de son allocution du 24 novembre en est une démonstration flagrante. Cette gouvernance ultra centralisée n’est pas incompatible en France avec un nombre tout aussi colossal de structures intermédiaires de toute sorte dans tous les domaines de l’action publique, sources de contrôles et de besoins de coordination en tous sens.

Il y a également l’enjeu culturel voire anthropologique avec le poids du juridisme (production normative colossale que l’administration n’a pas le temps de mettre en place), la faiblesse structurelle des études d’impacts et de l’évaluation des politiques publiques, couplée d’ailleurs à une connaissance médiocre de qui se passe à l’étranger.

Atlantico.fr : Cette crise est-elle justement l’occasion de régler ce problème ? En prend-on le chemin ?

Charles Reviens : Selon Winston Churchill, il ne faut jamais gâcher une crise (« never let a good crisis go to waste »). La crise sanitaire constitue donc une occasion unique de faire des changements du fait justement des ajustements rendus acceptables ou logique par nécessité.

A date toutefois les transformations ne sont pas évidentes dans les réalisations même si c’est sans doute différent au niveau de la prise de conscience. A un premier confinement brutal a succédé un déconfinement trop peu sélectif conduisant à un nouveau reconfinement général. Les propos d’Emmanuel Macron laissent toutefois enfin espérer la mise en place rapide d’une stratégie d’isolement des personnes contaminée et contaminante pouvant également être mise au service du plan de vaccination.

Sur le plan des transformations structurelle de l’administration, on constate beaucoup de désillusions dans le champ de la réforme de l’Etat qui a plus de trente ans depuis la circulaire Rocard du 23 février 1989 sur le renouveau du service public.

Si l’on se limite au seul champ de la santé publique, l’initiative récente principale a été le « Ségur de la Santé » ouvert par Edouard Philippe le 25 mai 2020 avec la promesse de « rénover en profondeur le système de santé » face aux difficultés constatées lors du confinement. Toutefois les conclusions du Ségur rendues le 13 juillet indiquent que les enjeux d’organisation et de bureaucratie ont été rapidement éludés et mis sous le tapis pour restreindre le débat quasiment à la seule question des augmentations de salaires et de moyens, le Ségur de la réforme systémique de la santé se transformant en sept semaines en un Grenelle express des salaires à hôpital.

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