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Océan Atlantique Nord.
Océan Atlantique Nord.
©HANDOUT GETTY IMAGES NORTH AMERICA Getty Images via AFP

Réchauffement climatique

Une canicule marine catégorisée "extrême" par la NOAA (catégorie 5) autour de l'Ecosse frappe actuellement l’océan Atlantique Nord.

François Sarano

François Sarano

François Sarano est docteur en océanographie, plongeur professionnel, chef d'expédition pendant treize ans à bord de la Calypso, directeur de recherche du programme Deep Ocean Odyssey et cofondateur de l'association Longitude 181. Il est l'auteur de nombreux livres sur les cachalots et les océans.

Son dernier livre, "Au nom des requins" (Actes Sud), évoque la disparition de certains espèces de requins encore mal connues.

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Atlantico : Une canicule marine catégorisée "extrême" par la NOAA (catégorie 5) autour de l'Ecosse frappe actuellement l’océan Atlantique Nord, comment décrire ce phénomène ?

François Sarano : Une canicule marine, tout comme une canicule terrestre, est une forte élévation de la température de l'eau de surface bien au-dessus des moyennes de saison qui se prolonge sur une période de temps longue. En Méditerranée, l'année dernière, il y a eu une canicule extrême, la température des eaux de surface était bien au-dessus de 30 degrés pendant plus d'un mois. Et l'année précédente, c'était la même situation. Ces canicules marines sont de plus en plus fréquentes.

Quels en seront les effets à court terme d’une part, et à moyen / long terme d’autre part ?

Vous pouvez imaginer que si elles se trouvent dans une eau anormalement chaude, certaines espèces vont dépérir, tandis que d'autres pourraient en bénéficier, mais l’équilibre des espèces est bouleversé. Cela a des conséquences sur les végétaux planctoniques qui sont à la base de toute la vie marine, mais également sur les animaux car la plupart des espèces marines (sauf les requins les raies, les cétacés…) passent une partie de leur vie sous forme d'œufs et de larves dans le plancton. Une température élevée pendant une période prolongée peut entraîner la mort de ces œufs et larves, affectant ainsi directement l’ensemble de la vie marine, même de certains poissons qui, adultes, vivent près du fond. 

De plus, la température de l'eau influence la densité de celle-ci, ce qui a un impact direct sur les courants marins, car les courants marins sont le fruit du jeu des masses d’eau dont la densité est différente. La modification de la densité des masses d’eau affecte donc la circulation océanique dans son ensemble, à la fois verticalement et horizontalement. Malheureusement ce n’est pas seulement au large de l'Écosse que on note des températures de l’eau de surface anormalement élevées, mais également dans la région arctique où la superficie de la banquise est considérablement inférieure à la moyenne des 30 dernières années. Simultanément dans l'hémisphère sud, autour de l'Antarctique, la surface de la glace de mer (la banquise) est également bien inférieure à la moyenne de l’englacement de la période de 1980 à 2010. Or, ces surfaces de glace, appelées banquises, conditionnent l'ensemble de la circulation océanique. Car lorsque la banquise se forme, l'eau de mer gèle, expulsant le sel et créant ainsi une eau sous-jacente extrêmement salée et froide ? Cette eau très dense, qui coule vers le fond, va s’écouler jusque dans l’hémisphère sud. Le déficit en eau doit être compensé par un apport d'eau de surface qui vient des régions tropicales. Ainsi l’ensemble des eaux océaniques se mettent en mouvement. Dans l’Atlantique c’est le guulf Stream qui remonte les eaux tropicales vers le nord. La formation des banquises est le moteur de la grande circulation océanique. Si la glace ne se forme pas, (et il se trouve qu’la mer gèle moins) il n’y a plus de formation d’eau très dense qui coule sur le vers le fond de l’océan. Le moteur de la circulation océanique ralentit. Ainsi, cette canicule marine que nous observons dans l'Atlantique Nord n'est qu'un des nombreux phénomènes révélateurs d'un réchauffement global anormal qui aura des conséquences majeures sur les écosystèmes marins. Ce changement climatique rebat complètement les cartes de la vie marine, et pour nous, les humains, cela engendrera des changements significatifs dont nous ne pouvons encore prévoir tous les effets.

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Une canicule marine signifie-t-elle que nous pourrions subir une canicule terrestre ? Est-ce que cette canicule marine peut entraîner des modifications climatiques ?

Je ne sais pas combien de temps cette canicule marine va durer. Elle peut avoir des conséquences localisées, mais personne ne peut prédire les conséquences. Cependant, ce qu'il est important de souligner, c'est qu'il s'agit d'un signe supplémentaire des perturbations que nous observons depuis les 30 dernières années, à savoir le réchauffement global, bien qu’inégalement réparti, de la surface de la Terre. Une canicule marine ne peut se produire que si elle est précédée d'un réchauffement qui permet soudainement l'émergence de cette canicule. Par conséquent, oui, nous allons connaître des changements climatiques majeurs. Mais il est impossible de prédire exactement ce que cela impliquera, car c'est un phénomène d'une complexité infinie. Nous pouvons imaginer que les zones que nous connaissons et qui sont actuellement humides risquent de devenir plus arides, tandis que les zones chaudes pourraient devenir plus froides et vice versa pour les zones froides. Cependant, nous ne pouvons pas dire précisément que telle région aura tel type de météo, que ce soit à Paris, dans la Drôme ou à New York. 

Si le Gulf Stream, courant chaud de l’Atlantique nord qui remonte des tropiques vers l’Arctic modifie son cours ou ralentit considérablement en raison de ce réchauffement climatique extrême, les côtes françaises pourraient devenir plus froides, car il tempère les côtes européennes. Nous observons, déjà ces modifications climatiques, mais il est impossible de prédire exactement où il fera plus chaud, plus froid, plus sec ou plus humide. Les modifications des courants marins sont encore sous-estimées.

Par effet de cascade, quelles conséquences l'impact de la canicule sur les océans (biodiversité, courant, etc.) peut-il avoir sur nous ?

Si les climats changent les zones de culture - blé et maïs – qui ont été semés dans des zones qui leur étaient favorables, vont se retrouver sous des climats défavorables, plus sec, trop humides, trop froids. Et si les cultures résistent peut-être que des parasites nouveaux favorisés par le changement climatique vont les décimer.

Autre hypothèse, les espèces marines favorisées par le changement climatique peuvent ne pas être celles que nous consommons habituellement. Nos pêcheries s'effondreront et nous serons privés des ressources auxquelles nous sommes habitués. De plus, nous aurons probablement à faire face au développement d'espèces que nous n'apprécions pas, comme les moustiques et divers virus, qui nous sont défavorables. 

Nous constatons déjà les prémices du changement. Il y a changement climatique lorsque la moyenne de températures sur 10 ans est différente de la moyenne des températures sur les 30 années qui précèdent. C’est le cas. Un changement s’opère avec des étés de plus en plus chauds en France, ce qui a des répercussions sur la santé des personnes les plus vulnérables et sur l'agriculture dans nos départements, qui subissent des restrictions d'eau dès février ou mars. Il est difficile d'imaginer que la France, un pays normalement bien arrosé, doive faire face à de telles restrictions. 

Cela ne concerne pas seulement la quantité de neige dans les stations de ski, mais cela aura des répercussions bien plus profondes, telles que la disparition des glaciers en montagne, sources des grands fleuves. Les grands fleuves d’Asie, fleuve Jaune, le Yang-Tsé-Kiang et le Gange dépendent entièrement des glaciers de la région himalayenne. Des dizaines de millions de personnes dépendent directement de ces grands fleuves. Il est essentiel de comprendre que ces modifications entraînent des changements globaux, notamment dans la circulation océanique, connue sous le nom de grande circulation thermohaline qui fait le tour de la planète. Les conséquences seront majeures sans que l’on puisse de dire précisément où et quand ces changements se produiront. 

Une chose est certaine, il est urgent de changer nos modes de consommations, en particulier d’énergie fossile, pour éviter d'accroître encore le dérèglement climatique. Il est urgent de repenser nos modes de déplacements, notre urbanisme. Il est urgent de désimperméabiliser les sols que nous avons bétonnés pour que l’eau de pluie puisse à nouveau s’infiltrer dans les sols. Il est urgent de replanter des forêts qui tempèrent le climat, de libérer certains fleuves et rivières pour qu’elles nourrissent à nouveau les nappes phréatiques. Bref, il y a beaucoup de solutions à mettre en œuvre rapidement, simplement, pour mieux se préparer aux changements qui nous attendent.

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