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Ce que la mort brutale de son mari a appris à Sheryl Sandberg sur la meilleure manière de parler à des amis en deuil
©AFP

A l'écoute

Parler d'un sujet grave ou réconforter une personne en deuil peut être quelque chose de délicat. Sheryl Sandberg qui travaille chez Facebook a tenu a mettre le sujet sur la table. Elle se base sur son expérience personnelle avec le décès de son mari pour pour donner des conseils.

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

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Atlantico : Sheryl Sandberg de Facebook a connu un drame personnel avec le décès de son mari. Dans la période de deuil qui a suivi, s'est ajouté l'isolement. Personne sur son lieu de travail n'a osé ou su comment lui parler. Quel est le problème qu'ajoute l'isolement à une période de souffrance comme le deuil ? 

Catherine Grangeard Sheryl Sandberg de Facebook a perdu son mari, mort d'un cancer. Elle parle de son deuil et du fait qu'avoir un cancer jette un froid (sic). La mort est une évidence qu'il faut accepter même quand c'est celle d'un riche ( ! ). Son livre qui traite de Combattre l'adversité, parfaire sa résilience et trouver la joie est co-publié avec le psychologue Adam Grant. Elle est critiquée car très riche et donc peu à même de saisir que le veuvage est plus dur dans des milieux moins aisés. Elle montre qu'on peut être femme forte et veuve. Elle cherche à permettre aux gens qui ont perdu un proche de mieux vivre leur deuil en société. Elle défait la culpabilité qu'ont les survivants. Et encourage la reconstruction (retrouver ambition, sexualité) et à lutter contre le laissez aller.  C’est dans l’air du temps… Peut-on en dire un peu plus ? Au-delà de cette personne, un deuil, c’est renoncer. Renoncer à un investissement. A une présence. A l’existence même d’une personne qui nous est chère. Désinvestir, c’est un processus. Lent la plupart du temps. Un deuil, c’est aussi une solitude. Parfois, un isolement. C’est un marasme, dont s’extraire n’est pas forcément une urgence. Tout au moins dont le rythme peut ne pas correspondre aux attentes d’un groupe. « Faire le deuil, c’est tuer le mort » nous apprend Freud. Or, la mort nous concerne tous. Cette dame semble généraliser une position, la sienne… C’est une erreur. Chaque personne a une histoire et dans toutes les phases de la vie, cela crée des différences. Heureusement !

Plus généralement, Sheryl Sandberg révèle que les gens sont mal à l'aise quand il s'agit de parler de sujets sensibles comme le cancer, la maladie ou les violences sexuelles. Les gens mettent ces sujet au placard. Pourquoi est-il si difficile de parler de ces sujet ? 

Le malheur est-il contagieux ? L’identification est toujours présente dans les rapports humains. Ainsi, se protéger de la douleur est une réaction. Or, c’est une double peine infligée à celui qui subit la perte. Que répondre ? C’est compliqué, cela dépend ! Pas d’erreur, déjà : écouter. Mais cela peut paraîte lourd à porter. Et créer un malaise. Peur et pudeur se conjuguent quand être envahi fait risquer de mauvaises réactions. Et puis, on préfère les sujets légers, joyeux plutôt que se confronter soi-même à ces thèmes… L’égoïsme de « chacun ses soucis » n’est pas trop loin parfois… Quand on sait faire, dire, on ose, pourrions-nous tout de même avancer. Avant on disait “condoléances”, maintenant ? Quand une société est de plus en plus thanatophobe (évitement de la mort comme chose et comme signifiant), il devient logiquement difficile d'en parler. On observe, par ailleurs, une disparition des rituels et des codes sociaux qui régissaient ce type d’évènement, sous la poussée d'un individualisme forcené couplé à la perte d'influence de la religion, catholique du moins. 

C'est comme ça qu'on constate de plus en plus de cérémonies laïques funéraires, mettant ainsi chacun plus ou moins à l'aise. La mort a quitté son statut d’évènement tragique, inhérent à la condition humaine, pour devenir un drame personnel. Chacun d'entre nous est sommé, soit de faire preuve d'empathie, soit de respecter le chagrin de l'autre (c'est à dire ne pas s'en emparer ou à tout le moins, ne pas le déranger).

La peur d’être mal compris, d’avoir à répéter, que de réponses banales soient à écouter est aussi présent du côté de ceux qui souffrent et peuvent préférer le rien à des situations qui ne seraient pas à la hauteur de l’enjeu. La douleur au fond de soi ne supporterait pas un tel décalage. Il faut ajouter que les situations graves qui sont énoncées dans votre question ne relèvent  pas exactement des mêmes processus, tout n’est pas sur le même plan même si on fait le deuil de toutes sortes d’objets psychiques. L’objet d’investissement fait vivre, l’énergie psychique s’y place.  Dans le processus de deuil, il faut reprendre cette énergie investie. Il va falloir se lester de cet objet perdu, irrémédiablement.

Moins la relation a été carencée, moins il y a de regrets, de remords, moins cela se fera avec pertes et fracas. Le détachement est rendu complexe lorsque c’est l’inverse. C’est pour cela que l’on entend souvent dire, « le pire, c’est que je n’ai pas pu lui parler, lui dire combien je l’aimais »…

Quelles sont les raisons qui expliquent que les gens ne parviennent pas à parler de sujets graves ? Était-ce plus facile il y a quelques années ? Dans quelles mesures les nouvelles technologies pourraient-avoir creusé ce fossé ? 

Pour la première partie de votre question, je pense y avoir déjà répondu dans les deux questions précédentes. Elaborer prend du temps. L’immédiateté des réseaux s’y oppose.
Madame Sheryl Sandberg n’est pas une philosophe, ni une penseuse. Je ne peux pas critiquer son livre, ne l’ayant pas lu. L’aperçu que les liens en donnent ne me donne d’ailleurs aucune envie de le faire ! Qu’il faille passer à autre chose, bien sûr… mais chaque chose en son temps, à son rythme. C’est très culpabilisant, au contraire, ce genre de message pour celles et ceux qui ont une douleur plus enracinée. Tout ceci me semble bien superficiel et presque faire partie d’une société du spectacle.
Là où je verrai plutôt un fossé, ce serait entre ces gens qui font un livre d’une expérience personnelle et ont les moyens d’en assurer une diffusion et la masse des gens qui vivent ces évènements sans avoir ces ressources. L’isolement semble rompu quand on peut communiquer de la sorte. Ce n’est pas le cas pour des millions de gens.
De par mon expérience de psychanalyste, vous le savez bien, j’entends plus de personnes dans ce dernier cas ! Les écrans ne sont pas une solution à tout. Ne leur en demandons pas, à ces outils, plus qu’ils ne peuvent offrir.

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