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Casques bleus de l’eau : les protecteurs des infrastructures vitales. Franck Galland - Guerre et eau
Casques bleus de l’eau : les protecteurs des infrastructures vitales. Franck Galland - Guerre et eau
©ASHRAF SHAZLY / AFP

Bonnes feuilles

Franck Galland publie « Guerre et eau » aux éditions Robert Laffont. Aujourd'hui, sur fond de bouleversement climatique, de pression démographique et d'explosion de la demande, certaines régions du monde sont confrontées à une rareté grandissante des ressources disponibles. Cela pose des questions essentielles en matière de sécurité hydrique, alimentaire, énergétique et environnementale. Extrait 2/2.

Franck Galland

Franck Galland

Franck Galland est l'un des meilleurs spécialistes français des questions liées à la géopolitique de l'eau. Il a publié L'eau : géopolitique, enjeux, stratégies, aux éditions du CNRS (2008). Il a créé en 2011 Environmental Emergency & Security Services, cabinet d’ingénierie-conseil dont la vocation est d’accompagner les opérateurs d'infrastructures critiques eau & énergie dans l’anticipation et la gestion de situations de crises dues à des catastrophes naturelles.

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Comme nous l’avons montré, l’eau étant devenue un enjeu de sécurité collective dans certaines parties du monde, il devient également nécessaire de mieux protéger les infrastructures hydrauliques contre toute atteinte à leur intégrité.

Les ouvrages essentiels à l’alimentation en eau des populations et des établissements hospitaliers ont en effet une valeur bien trop stratégique pour les laisser devenir otages de groupes armés ou cibles de destructions ciblées ou collatérales.

De ce point de vue, la Convention de Genève du 12 août 1949, relative à la protection des populations en temps de guerre, est très stricte sur l’interdiction de destruction d’installations civiles (article 53), sur la nécessité de permettre aux populations de continuer à se nourrir et à se soigner durant les conflits (article 55), sur le devoir de laisser les hôpitaux et les centres de soins fonctionner, ainsi que de tout mettre en œuvre pour empêcher le développement d’épidémies (article 56).

L’International Law Association a également édicté en 1976 des règles strictes en vue de protéger les infrastructures hydrauliques, avec notamment l’interdiction de cibler et de détruire les ouvrages, de détourner les fleuves ou encore de provoquer des inondations à des fins militaires.

Dans le cas de conflits armés non internationaux, les protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1977 stipulent enfin un besoin de protection absolu de ces ouvrages, selon l’article 54 concernant la protection des installations indispensables à la survie des populations, et l’article 56 concernant l’interdiction de cibler des installations qui présentent un risque pour les populations comme les barrages, les digues ou les centrales nucléaires.

Une signalétique bien spécifique a même été pensée afin de signifier l’importance de ces ouvrages pour la survie des populations et le besoin qu’ils soient absolument épargnés par les bombardements.

Dans l’annexe 1 du premier Protocole additionnel des Conventions de Genève (« regulations concerning identification », amendé le 30 novembre 1993 en pleine guerre de Bosnie), est ainsi spécifiée, dans le paragraphe 7 de l’article 56, l’existence d’un signe distinctif censé rendre les lieux qui l’arborent inviolables et protégés des bombes.

Il s’agit de trois cercles orange horizontaux, comme un feu tricolore, mais à l’envers. Toutefois, qui exactement en a connaissance sur les théâtres de guerre ? Combien de fois, quand il était apposé, ce signe a-t-il été concrètement respecté ?

Cet état de fait inacceptable doit absolument changer afin d’assurer aux ouvrages qui arborent ce signe distinctif la neutralité et la protection complètes que requiert ce statut. Le cas échéant, le mandat donné à une force d’interposition doit prévoir que ces installations seront en priorité occupées militairement pour être protégées, en permettant à des Casques bleus (couleur symbolique de l’eau) d’y stationner pour empêcher les belligérants de les prendre pour cible ou de les occuper.

Cette stratégie d’occupation préventive est valable dans des zones en conflits, mais doit également pou‑ voir s’appliquer pour des ouvrages hydrauliques de pays en paix, qui sont cependant désormais sous la menace diffuse et permanente du terrorisme.

Avant l’attaque de Pearl Harbour, en 1941, J. Edgar Hoover, écrivait qu’« il a longtemps été reconnu que l’alimentation en eau représente un point de vulnérabilité particulier, offrant des opportunités d’attaque à un agent étranger  ». Le directeur du FBI parlait à l’époque des menaces japonaises ou allemandes.

Cependant, la situation n’a guère changé depuis. Comme le soulignait en 2010 un rapport du Congressional Research Service dépendant du Congrès des États-Unis, les ouvrages hydrauliques sont vulnérables et le resteront tant que des mesures spécifiques n’auront pas été mises en place pour leur protection.

Les forces de police et de gendarmerie, ainsi que les forces armées, ne pouvant veiller physiquement en permanence à la sûreté d’ouvrages hydrauliques, il apparaît aujourd’hui nécessaire de penser à la création d’unités de protection dédiées.

C’est ce que font les États-Unis depuis 1931 avec le Bureau of Reclamation Police, également appelé Hoover Dam Police, mis sur pied pour la protection de ce barrage stratégique situé dans le Nevada, à 37 kilomètres de Las Vegas.

Depuis les années 1930, les fonctions de cette unité de surveillance et d’intervention n’ont guère varié, mais se sont vues renforcées au lendemain du 11-Septembre 2001.

Le barrage Hoover, ainsi que d’autres ouvrages hydrauliques essentiels à l’Arizona et au Nevada, sont ainsi protégés par des agents assermentés, dotés d’outils à même de contrôler en temps réel véhicules et individus qui s’y rendent. Avant d’entrer en fonction, les personnels du Bureau of Reclamation Police passent douze mois en formation spécialisée sur les ouvrages qu’ils ont à protéger, ce qui leur permet de savoir précisément ce qu’ils ont à surveiller et à sécuriser en priorité.

Car c’est bien là le sujet.

Un ouvrage hydraulique, ou un site classé Seveso, ne doit pas être protégé comme un simple site indus‑ triel ou un vulgaire entrepôt. La sécurisation de ces ouvrages critiques, potentiellement dangereux pour les populations si un acte malveillant était commis à leur encontre, réclame fiabilité, compétence et rigueur sur le « quoi protéger ? » et le « comment ? ».

D’où la nécessité de créer, là où cela apparaît nécessaire, un corps de sécurité spécialisé sur le modèle du Bureau of Reclamation Police américain, ou d’adapter aux ouvrages hydrauliques et à d’autres sites critiques français l’exemple du fonctionnement de la Civil Nuclear Constabulary britannique.

Cette entité créée en avril 2005 a pour fonction d’assurer la sécurité des sites nucléaires civils britanniques, au sein de leur périmètre immédiat, mais également dans un rayon de 5 kilomètres autour d’eux. Les membres de cette unité spécialisée ont, comme la police des transports du Royaume-Uni, les mêmes pouvoirs d’anticipation (capacité de renseignement) et de réponse (usage des armes) pour neutraliser tout adversaire déclaré.

Une force de protection et d’intervention pourrait ainsi en France comme ailleurs en Europe concourir spécifiquement à la sûreté des infrastructures vitales, dont font partie les ouvrages hydrauliques qu’ils soient barrages, stations de production d’eau potable, réservoirs de distribution ou usines de traitement des eaux usées de grande capacité.

En France, la réserve opérationnelle des armées et de la gendarmerie pourrait de ce point de vue être utile, permettant à des réservistes civils entraînés, qui sont du reste pour certains des professionnels du secteur de l’eau, d’assurer des fonctions de surveillance et d’intervention sur les ouvrages, en liaison avec leurs exploitants et les structures de gardiennage que ceux-ci peuvent déjà utiliser.

A lire aussi : La guerre pour l’eau, enjeu du monde de demain 

Extrait du livre de Franck Galland, « Guerre et eau. L'eau, enjeu stratégique des conflits modernes », publié aux éditions Robert Laffont.

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