Canicule 2023 : vers une catastrophe agricole ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
L'agriculture face à la canicule. Image d'illustration.
L'agriculture face à la canicule. Image d'illustration.
©Antoine Jeandey - WikiAgri

Chaleur extrême

Pour l'agroclimatologue Serge Zaka, les motifs d’inquiétude sont sérieux, mais certains éléments manquent pour faire un diagnostic définitif.

Serge Zaka

Serge Zaka

Docteur en agroclimatologie chez ITK, administrateur d’Infoclimat et chercheur-modélisateur, Serge Zaka étudie l’impact du changement climatique sur l’agriculture.

Voir la bio »

Atlantico : A quel point la canicule actuelle est-elle importante ?

Serge Zaka : Nous sommes actuellement confrontés à une canicule tardive, c'est à dire se manifestant après le 15 août. La plus intense canicule tardive observée jusqu'à présent remontait à 2012. Il est remarquable de noter que sur les neuf occurrences de canicules tardives enregistrées en France depuis le début des relevés météorologiques, toutes sont survenues après l'année 2000. Ainsi, les canicules tardives sont un phénomène relativement récent dans la climatologie française. L'actuelle vague de chaleur dépasse largement celle de 2012, se situant en tête de tous les critères, notamment en intensité. En effet, certaines stations météo en France enregistrent déjà des températures dépassant les 43°C pour un 23 août, ce qui est véritablement extraordinaire.

Concernant la durée, dans des régions telles que la vallée du Rhône, cette canicule pourrait perdurer jusqu'à deux semaines, ce qui est tout aussi remarquable. La canicule en 2003 avait également duré deux semaines. En termes de surface, dix-neuf départements sont en vigilance rouge, tandis que le nombre de départements en vigilance orange dépasse cinquante. Ces alertes touchent une vaste portion du territoire et concernent environ 25 millions de personnes, soit une part significative de la population française, sans intégrer Paris.

Cette canicule est déjà la plus intense de sa catégorie et l'indicateur thermique national, représentant la température moyenne à l'échelle du pays, pourrait dépasser les trois canicules de 2022 combinées au cours de ces deux jours.

Parmi les faits saillants de cette canicule, il est important de noter l'expansion de la période à risque, qui s'étend désormais aussi du 15 août au 31 août. Cette évolution contraste avec la période du 1er juillet au 15 août par le passé. Cette extension significative de la période à risque est directement attribuable au changement climatique, et c'est précisément ce qui justifie l'appellation de "canicule tardive".

Quelles sont les conséquences agricoles de cette situation ?

Serge Zaka : A partir du 15 août, on s'attend normalement à un retour de la pluie et à des températures légèrement plus modérées. Cela marque normalement la fin des périodes de stress estival. Cette période correspond également à la maturation des fruits dans nos vergers et des raisins dans les vignobles. Habituellement, nous ne sommes pas habitués à subir des températures supérieures à 40 degrés pendant plusieurs jours consécutifs.

Cela soulève des problèmes spécifiques pour l'agriculture, notamment en ce qui concerne les vendanges. Les températures élevées exigent que les vendanges soient effectuées de nuit pour éviter les conditions de chaleur extrême. De plus, cela affecte la maturation des fruits. Des stress thermiques peuvent surgir, affectant par exemple les raisins, provoquant leur flétrissement et réduisant ainsi la quantité de jus pour la production de vin.

Mais ces problèmes touchent surtout les arbres fruitiers, notamment les pommes, les poires et éventuellement les pêches. Lorsque les fruits ne sont pas récoltés à temps, des brûlures peuvent apparaître, entraînant un aspect bruni et peu attrayant. Cela rend les fruits invendables pour la vente directe, car ils ne sont pas beau, affectant les revenus des agriculteurs. Dans le pire des cas, les arbres réagissent physiologiquement à la chaleur en laissant tomber certains fruits, car il leur manque l'eau nécessaire pour tous les maintenir en croissance.

Cela a des conséquences économiques car les fruits tombés au sol peuvent présenter des risques sanitaires donc ne peuvent être récolté. En termes d'agriculture et de viticulture, La canicule de 2023 a peut-être causé des dégâts majeurs, mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Les données terrain devront être analysées dans les semaines à venir.

La canicule actuelle est source de préoccupations en raison des températures dépassant les seuils de risque, fixés à partir de 35°C. Cela pourrait entraîner des stress thermiques difficiles à gérer, contrairement au stress hydrique qui peut être atténué par l'irrigation. Les animaux d'élevage, notamment les vaches laitières, souffrent d'une fatigue corporelle importante, pouvant entraîner une baisse de production de lait. Les prairies subissent également les effets de la chaleur estivale, entraînant un jaunissement prolongé. Cela pourrait retarder la disponibilité de nourriture pour les animaux en pâturage. Fort heureusement, le printemps a été correct et c’est encore rattrapable avec un bon automne.

En ce qui concerne les grandes cultures telles que le maïs et le tournesol, les rendements pourraient être légèrement impactés, mais cela va surtout rendre la récolte plus précoce en raison du séchage plus rapide des plantes sur pied. Toutefois, ces préoccupations concernent principalement les départements en vigilance orange ou rouge, laissant le nord-ouest de la France relativement épargné.

A quel point cela change-t-il aussi le goût et la qualité ?

Serge Zaka : Les fruits peuvent être utilisés pour la fabrication de compotes, donc cette problématique ne s'applique pas nécessairement à eux. Cependant, la situation diffère pour la production de vin, où une vraie question de goût se pose. Plus précisément, la qualité organoleptique. À cette période de l'année, le vin est particulièrement sensible aux sécheresses et aux canicules. Le risque est que le sucre se concentre davantage dans les baies, ce qui influe sur le taux d'alcool et le pH du vin au cours du processus de vinification. Cela pourrait faire des vins plus alcoolisés. Cette tendance s'observe depuis environ 50 ans, avec des taux d'alcool en augmentation due aux conditions de plus en plus sèches et chaudes durant l'été, lors de la maturation des raisins. Cette évolution pourrait être particulièrement marquée pour l'année 2023.

De plus, le mois de juin a été exceptionnel avec des pluies orageuses abondantes dans de nombreuses régions viticoles du sud de la France. Cela a favorisé le développement de champignons tels que le mildiou. Ainsi, cette année, le mildiou pourrait avoir un impact plus important sur le rendement viticole que la canicule. En comparaison, pour l'année en cours, l'arboriculture, en particulier pour les pommes et les poires, semble davantage impactée.

A quel point les agriculteurs peuvent s’adapter ?

Serge Zaka : Alors malheureusement, il y a très peu de marge d'adaptation pour la culture, parce que on ne peut pas changer d'espèce du jour au lendemain. On doit faire avec le matériel génétique qu'on a sur le terrain pendant parfois plusieurs dizaines d'années. En revanche, quand on replante il faut réfléchir à ce qu’on veut mettre, ne pas remettre la même espèce et prendre en considération les évolutions du climat, etc.

Quid des conséquences économiques de cette canicule pour l’agroalimentaire ?

Serge Zaka : Alors que les premiers bilans ne sont pas encore disponibles, il est un peu prématuré d'affirmer qu'il y aura un impact sur les prix, mais cela reste une possibilité. Nous sommes en fin de saison, plusieurs produits comme les courgettes, les aubergines et les tomates pourraient être sujets à des impacts. Mais pour les fruits comme les pêches et les abricots, il y a déjà eu des récoltes. Donc il est un peu tôt pour déterminer avec certitude l'impact précis sur les prix. Les retours des dégâts sur le terrain sont nécessaires pour évaluer la situation de manière plus concrète. L'ampleur des dégâts constatés jouera évidemment un rôle déterminant dans la détermination des futurs prix.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !