Cambriolages en présence des occupants des lieux : ce mal pernicieux qui plombe la vie des Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Les cambriolages sont en hausse de 11 % en France en 2022
Les cambriolages sont en hausse de 11 % en France en 2022
©SABAH ARAR / AFP

Home jacking, violence et peur

Une tentative de cambriolage a tourné au drame samedi 25 novembre à Pau. Roué de coups par deux agresseurs, un homme de 86 ans n'a pas survécu à ses blessures.

Maurice Signolet

Maurice Signolet

Maurice Signolet est un ancien commissaire divisionnaire. Il a notamment exercé à Aulnay-sous-Bois.

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Atlantico : Un homme de 86 ans a récemment été frappé mortellement par un cambrioleur mineur à Pau. Les cambriolages ayant visé l’animateur Bruno Guillon ou Bernard Tapie avaient aussi mis en lumière la recrudescence en France des cambriolages en présence des occupants des lieux. Comment expliquer ce phénomène et quelle est son ampleur en termes de chiffres ?

Maurice Signolet : Il est difficile de citer des chiffres précis en ce qui concerne ce type d’infraction. En effet, selon le SSMI , le service statistiques du Ministère de l’Intérieur qui centralise tous les faits constatés sur l’ensemble du territoire, c’est dans deux rubriques distinctes, celle des vols avec effraction et celle des vols commis avec violences ou avec arme que l’on pourrait retrouver une certaine traçabilité. La spécificité pénale de « home jacking » n’existe pas et incite donc à un glissement qualificatif interprétatif lors de la prise de plaintes. Un chiffre cependant est à retenir pour Paris et sa petite couronne, où la Préfecture de Police, en amont de la transmission de ses chiffres au SSMI, procède à une appréciation plus affinée. En 2022, près de 350 faits de ce type avaient été recensés. A l’inverse de cette nébuleuse des chiffres, la médiatisation des faits  touchant principalement des personnalités connues, leur donne une forme d’exemplarité grossissante dont il faut relativiser la réalité. Néanmoins, il faut distinguer dans ce type d’agression, celles qui relèvent du spectaculaire médiatique et qui pourraient présenter une certaine élaboration, une préméditation orchestrée, et celles qui relèvent de l’impulsif comportemental au regard de la vulnérabilité de fait des victimes. Je pense que l’agression de Pau relève de cette dernière catégorie, celles de Tapie et Guillon de la première. Il faut donc bien distinguer les deux approches délinquantes, un peu comme si on le faisait pour les vols à main armée d’un fourgon blindé et ceux commis dans une supérette. La qualification est la même, mais ne relève pas de la même densité dans les actes préparatoires, dans l’expression de la violence déployée qui, aussi paradoxal que cela puisse apparaître, s’exprime avec plus d’intensité lorsque la cible ou le butin se révèlent totalement disproportionnés.           

Comment expliquer cette évolution dans le mode opératoire des cambriolages qui s’effectuaient auparavant en toute discrétion ? Qu’est ce que cela traduit sur le profil des délinquants concernés ? Les cambrioleurs en question sont ils prêts à tout et de plus en plus jeunes ? Qu’est ce que cela traduit sur la gradation et le niveau de la violence au sein de notre pays ?

Maurice Signolet : A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle la délinquance d’appropriation était marginale dans le sens où la grande partie de la population ne disposait que de peu de biens matériels. Dans les Misérables de Victor Hugo, Jean Valjan dérobe de l’argenterie et des chandeliers en argent car, dans nombre de foyers, souvent les objets « domestiques » étaient les seules valeurs. Au fur et a mesure de l’enrichissement dans la première moitié du 20ème siècle , de l’embourgeoisement, la détention de biens mobiliers, de valeurs mobilières, allait s’élargir, suscitant dans le même temps la convoitise des malfaiteurs. On allait donc « s’attaquer au bourgeois », les cambrioleurs suggérant d’ailleurs dans la littérature, des fantasmes d’élégance à la Arsène Lupin ! Les fameux « balluchonneurs » allaient naître, dénommés ainsi car il emportaient leur butin dans un balluchon, ce qui, parfois les rendait vulnérables aux yeux des policiers, de « la rousse » tant ils étaient repérables. Bien sur, les objectifs étaient ciblés, repérés, les habitudes des occupants y compris de la domesticité étant minutieusement relevés pour éviter toute confrontation. Le glissement dans l’appropriation se faisait au gré de l’enrichissement mobilier des victimes potentiellement toujours plus nombreuses, sans pour autant négliger les bijoux ou les numéraires. C’est en fin de compte l’encombrement du butin qui obligeait les cambrioleurs à la discrétion. Des périodes estivales propices à la vacance des lieux de résidence habituelle privilégiant les lieux de villégiatures, et dans une même logique de réciprocité, l’inverse, jusqu’à « l’heure des mamans » lorsqu’elles se rendaient à 11 h 30 chercher leur progéniture à l’école pour le déjeuner, une adaptation continue des modes opératoires pour au contraire éviter tout contact avec les victimes allait s’orchestrer. 

Nous sommes désormais très loin de ces démarches que la littérature et le cinéma avaient voulu présenter comme des démarches un peu « romantiques » ou « romanesques » puisque ce sont près de 230 000 cambriolages que l’on recense annuellement désormais. Dans le jargon policier, on appelle cela « des casses grille pain » pour montrer à quel point les butins sont dérisoires. 

Aussi contradictoire que cela puisse paraître, c’est justement cette massification des cambriolages et leurs réponses défensives qui ont conduit au recours à la violence et à la recherche du « contact » avec la victime. Pour se prémunir des vols avec effraction pendant l’absence des occupants, la généralisation des digicodes, des portes blindées, des alarmes, des liaisons avec des centres de surveillances, à amener l’adaptabilité des délinquants à la commission de leurs exactions. Puisqu’il allait être de plus en plus difficile de pénétrer dans les lieux en l’absence des occupants, on allait justement y pénétrer surtout lorsqu’ils étaient présents. Pour déjouer la préservation des biens, on allait substituer à la fragilité des moyens d’accès, la fragilité de ceux qui en avaient les clés… Là encore, selon la cible convoitée, il y aurait une préparation, une orchestration, une élaboration concertée, préméditée, ou à l’inverse, une précipitation, une impréparation hors celle de l’opportunité. La première hypothèse peut se révéler seulement spectaculaire, la seconde plus dramatique car seule la violence immédiate, disproportionnée, va être utilisée.                       

Comment se prémunir face à ce fléau en tant que particulier ? Comment réagir face à de telles situations et confrontations ?

Je vais vous paraître extrêmement cynique. Hormis privilégier à tout instant son intégrité physique au détriment de tout ce que les malfaiteurs convoitent, semble la meilleure attitude, tant, tout autre moyen, y compris « la légitime défense » dont certains exemples ont été interprétés dans les cours de Justice comme irrecevables, se révèlent incertains. C’est dans la repression qu’il faut chercher la solution en se référant à ce que le philosophe Joseph de Maistres déclarait : « le glaive de la Justice n’a pas de fourreau. Toujours il doit menacer ou frapper » ! Les délinquants font un calcul simple en déterminant le ratio risque – bénéfice. Dans ce cas particulier des vols violences à domicile, comme dans bien d’autres d’ailleurs, seule une peine exemplaire, forte, dissuasive permettra de modifier la balance de ce ratio et donc de limiter à l’extrême la commission de tels faits. Nous en sommes très loin, la philosophie de l’excuse des années soixantehuitardes n’amorçant que très timidement son déclin. Cette fois c’est le ratio excuse – fait ou plus exactement idéologie – réalité qui est encore largement en faveur de l’éthéré et non du palpable. L’implication de mineurs « isolés », en clair étrangers ou d’agrégat récent, ne disposant pas des critères d’appréciation civilisationnelle que leur terre d’accueil s’est employée à édifier en mille ans, fait qu’un phénomène de réification prononcée, de déconsidération totale de « l’autre », s’exprime lors de ces exactions d’opportunité avec une violence dont ils ne perçoivent nullement les conséquences. Chacun aujourd’hui, à la litanie des faits divers, peut mesurer la réalité de cette inversion civilisationnelle. La justice, quant à elle utilise encore comme bréviaire de décryptage de ces phénomènes  le « Minitel pénal des années 80 » ! La déconnexion est telle que seul un choc culturel profond pourrait en augurer un réajustement en phase.               

Les forces de l’ordre ont elles les moyens de lutter contre ces cambriolages violents ? Quelles sont les données concernant le taux d’élucidation de ces délits et contre les criminels ou les réseaux qui décident d’agir ainsi et avec autant de violence ? 

En ce qui concerne les home jacking orchestrés, ciblant des personnalités ou tout du moins des personnes à l’aisance financière connue ou supposée, des enquêtes de police judiciaire classiques, mobilisant un personnel rodé aux enquêtes longues et fouillées, permet dans la grande majorité des cas d’identifier les auteurs. Très souvent ce sont les actes préparatoires, repérages, démarches de localisation, indices de préparation, qui permettront, en remontant un fil d’Ariane, les identifications. Les faits eux mêmes, lors des échanges verbaux par exemple, permettront d’orienter les recherches, tout comme les traces génétiques que la durée de l’exaction aura permis d’ancrer plus aisément que lors d’une agression furtive, voire même les coups portés qui, par le jeu du contact est propice à l’essaimage de résidus génétiques. Le renseignement également jouera un rôle important, surtout lorsque des enquêteurs spécialisés pourront faire appel au tissu relationnel avec « le milieu » qu’ils auront su entretenir. A cet égard, relevons que la disparition de la Police Judiciaire qui vient d’être actée, va se révéler très préjudiciable, pour ne pas dire catastrophique. Rappelons en effet, que, c’est justement à cause de ce type d’exactions que Clémenceau avait créer les célèbres Brigades du Tigre, ancêtres de la Police Judiciaire. Les « chauffeurs », ces criminels qui, de façon itinérante, agressaient les gens à leur domicile en leur brûlant les pieds, faisaient avouer aux malheureuses victimes où ils cachaient leurs économies, sévissaient sur l’ensemble du territoire national. Pour la première fois au monde, des policiers allaient utiliser des fichiers et l’anthropométrie pour étayer des procédures construites. Le monde entier s’est inspiré de ces méthodes. Aujourd’hui, nous sommes le premier pays au monde à les abandonner… La technique, fut elle la plus sophistiquée possible, ne pourra jamais remplacer l’investissement humain.

La grande difficulté va se révéler dans le traitement des agressions d’opportunité, comme celle de Pau. Leur multiplication, leur réitération, s’apparentant dans beaucoup de cas a un mode de subsistance quasi journalier, va révéler des cohortes de prédateurs. Les personnes fragiles, comme les personnes âgées ou handicapées vont se transformer en cibles potentielles d’errants aux aguets. Non seulement la réponse pénale ne saura en l’état être dissuasive, mais les difficultés d’identification, hors le flagrant délit ou sa concomitance avec un signalement périphérique d’une autre nature, seront extrêmes. Rappelons qu’à Pau, c’est parce que l’auteur a commis la maladresse immature « de revenir sur les lieux de son crime », avec dans sa poche la montre dérobée à la victime, qu’il a pu être interpellé ! Cette déferlante migratoire incontrôlée de prédateurs du fait de leur errance, ne trouvera pas sa résolution dans un investissement policier. 

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