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Burn Out : pourquoi Muriel Pénicaud n’est pas un monstre froid en refusant de le considérer comme une maladie professionnelle
©Pixabay

Logique

Sur BFMTV, la ministre du Travail a rappelé que le burn out n'était pas une maladie professionnelle, malgré les critiques de l'opposition.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Ce 12 février, Muriel Pénicaud, ministre du travail indiquait lors d'une interview que le burn-out ne pouvait être reconnu comme maladie professionnelle. Quelles sont les causes médicales qui peuvent s'opposer à une telle reconnaissance ? En quoi les problèmes liés au diagnostic peuvent-ils empêcher cette reconnaissance ?

Stéphane Gayet : Pourquoi parle-t-on autant du burn-out aujourd’hui ? Le burn-out est à la mode. L’expression est sur beaucoup de lèvres. Pourquoi ? Les raisons de l'effet de mode qui porte le burn-out ne manquent pas. Premièrement, c’est un anglicisme et les Français en raffolent, car leur emploi donne l’impression d’être ouvert et moderne (cool, speed, look, fun, lunch, brunch, mail, meeting, fast food, top, speech, manager, brainstorming, debriefing, benchmarking, winner, looser, starting blocks, shoot, on, off… : on les compte par dizaines). Deuxièmement, il concerne les risques psychosociaux (RPS) liés au travail et il s'agit d'un domaine particulièrement actuel et sensible, car il est question de la qualité de vie au travail (QVT) qui est sur la sellette depuis plusieurs années (charge de travail, pénibilité, harcèlement, manque de reconnaissance…). Troisièmement, ce terme n’a pas la connotation péjorative qu’a la dépression et, bien que ces deux états soient tout à fait distincts, ils sont hélas fréquemment confondus et employés l’un pour l’autre, tant par méconnaissance que par effet de mode linguistique. On observe du reste le même type de confusion entre résilience et résistance, habitus et habitude, hygiène et propreté, mystique et mythique, etc.
En quoi consiste le burn-out ? Le mieux est de partir de l’étymologie. Le verbe anglais "to burn" est synonyme de : "brûler, flamber" ; l'expression verbale "to burn out" signifie : "se griller, s'éteindre, s'épuiser". C'est l'image d'une bougie qui se consume jusqu'au bout. L’expression française la plus proche de l’expression « burn out » est : « un état d’épuisement professionnel. » Une personne qui est en état de burn-out est quelqu’un qui s’est épuisé professionnellement, tant sur le plan physique que psychique. En français populaire, on dirait que ses batteries sont complètement à plat. Elle n’a plus de ressort, plus d’énergie. Imaginons un instant un coureur de fond performant et habitué aux compétitions, mais qui ne s’est jamais entraîné au marathon. Il se lance néanmoins – oh combien imprudemment - dans une compétition de marathon. Partant de l’hypothèse qu’il est volontaire, motivé, énergique et désireux de donner le meilleur de lui-même, il va aller jusqu’au bout de ses forces et même plus, se surpasser, faisant fi de ses souffrances et de sa fréquence cardiaque trop élevée. Pendant son épreuve, personne pour l’encourager. Il va finir par franchir la ligne d’arrivée, mais personne pour le féliciter. Il va ensuite s’écrouler quelques mètres plus loin : en vie, mais totalement épuisé, vidé de toute son énergie, en grande souffrance et presque sans réaction. L’état qui est alors le sien est comparable à un burn-out : il est complètement exténué et incapable de réagir, il s’est entièrement consumé. Si son état est vraiment inquiétant, il sera hospitalisé. Il va mettre du temps à s’en remettre. Il est plus que probable qu’il ne fasse plus jamais de marathon, et on peut même s’attendre à ce qu’il abandonne les compétitions de course de fond.
Pourquoi le burn-out n’est-il pas une maladie et donc pas une maladie professionnelle ? Cet état d’épuisement extrême qui caractérise le burn-out est à la limite entre la physiologie et la pathologie. C’est l’aboutissement d’un surmenage, d’un excès d’activité, de labeur. Ce n’est pas une maladie, dans la mesure où cet état ne s’accompagne d’aucun trouble pathologique durable. Car le fait de ne plus avoir d’énergie n’est pas un état pathologique : c’est un symptôme qui pourrait être en lien avec une maladie, certes, mais qui peut également résulter plus simplement d’un surmenage poussé au paroxysme, au maximum de ce que peut endurer l’organisme. Pour compléter l’exemple du coureur téméraire de marathon, prenons celui d’un arbre fruitier. Imaginons un pommier qui, pour diverses raisons, dont un apport inhabituel d’engrais ainsi qu’une merveilleuse conjugaison de chaleur et de pluie, produit cette année-là une quantité phénoménale de fruits, comme on ne l’a jamais vue. La récolte est prodigieuse. Mais l’arbre en est épuisé. Il est possible que ses feuilles tombent plus tôt que d’habitude, comme si l’automne commençait en avance pour lui. Il semble même malade. Il a besoin de beaucoup de repos. Il est probable que l’année suivante, sa production soit bien faible. Mais il n’est pas malade : il est épuisé durablement.
Pourquoi le burn-out est-il souvent confondu avec la dépression ? La dépression est une maladie ou plutôt un syndrome, car sa cause n’est pas unique. Une dépression peut être réactionnelle, par exemple à la suite d’un deuil ou de la perte d’un emploi. Elle peut être également endogène, soit unipolaire, soit bipolaire (psycho maniaco-dépressive ou PMD). La dépression est une maladie, car elle est bien caractérisée en médecine par un ensemble de symptômes (ce que la personne ressent) et de signes (ce que le médecin perçoit). Une personne dépressive est fatiguée (asthénique), a des troubles du sommeil, n’a plus d’élan vital, présente des troubles de la mémoire et de la concentration, éprouve une autodépréciation, n’a plus confiance en elle, n’entreprend plus rien, ne désire plus rien, se replie sur elle-même et peut présenter une sorte d’indifférence affective et émotionnelle ; en un mot, elle n’a plus goût à la vie. Son faciès exprime la tristesse, le laisser-aller. On parle même de douleur morale. Alors que le burn-out ne correspond pas à cela. Mais la difficulté provient en partie du fait qu’un burn-out peut entraîner une dépression et donc peut s’associer à un état dépressif. Dans ce cas, la pathologie psychiatrique associée (la dépression) requiert une prise en charge spécialisée. La confusion entre le burn-out et la dépression vient de ce que, dans les deux états, il existe une fatigue (asthénie) et une perte de l’élan vital. De plus, ce qui vient encore compliquer le diagnostic, le burn-out peut se présenter sous la forme d’un état proche de la dépression, quand il comporte en plus une autodépréciation et une indifférence affective et émotionnelle, ce qui arrive effectivement.
Il faut savoir qu’actuellement, l’académie de médecine ne reconnaît pas le burn-out comme une maladie. Du reste, il n’existe pas de définition officielle ni consensuelle du burn-out.

Quelles sont les causes du burn-out qui pourraient ne pas être d'origine professionnelle, et ainsi justifier la non-reconnaissance du mal comme étant d’origine professionnelle ?

Le burn-out est avant tout un état d’épuisement professionnel. Mais d’autres circonstances sont possibles : une personne qui s’épuise à aider un conjoint ou un proche parent atteint de la maladie d’Alzheimer ; une personne qui achète une habitation d’occasion en très mauvais état et qui s’épuise presque jour et nuit et pendant des mois à la rénover ; ou encore une personne qui, en plus de son activité professionnelle régulière, s’épuise pendant ses heures libres à exercer une activité irrégulière et exténuante.
Existe-t-il un terrain favorisant qui puisse permettre la survenue d’un burn-out ? Il faut bien avoir à l’esprit le fait qu’un burn-out ne s’installe pas en quinze jours. C’est un état d’épuisement physique et psychique qui met au minimum des mois et souvent des années à se constituer. Il survient généralement sur un terrain particulier. Typiquement, il s’agit d’une personne compétente professionnellement, consciencieuse, très investie dans son travail et parfois dépendante psychiquement de lui, surmenée, effectuant des horaires de travail déraisonnables, sous pression permanente et de surcroît non ou très peu valorisée dans son activité et malgré ses résultats. La personne à risque de burn-out est tout sauf une personne dont le travail lui est indifférent. Son activité professionnelle occupe une grande place dans sa vie. Elle donne souvent le meilleur d’elle-même et a l’impression de manquer de temps pour faire tout ce qui lui incombe. Ce sont typiquement des personnes perfectionnistes et parfois plus lentes que les autres, ce qui explique leur nécessité d’allonger les temps de travail.
On le voit, le burn-out est autant une question de contexte professionnel que de personnalité favorisante. Car, dans un même contexte professionnel de pression permanente, certaines personnes vont résister et conserver une sorte d’équilibre, tandis que d’autres vont évoluer vers un surmenage croissant qui va les conduire tôt ou tard au burn-out. L’absence de reconnaissance, de valorisation, est un facteur non négligeable de burn-out : car le fait d’être complimenté et encouragé dans son travail est un dopant efficace qui aide à accepter la charge de travail et à se maintenir en forme. Revenons à notre coureur de marathon : s’il avait eu quelqu’un pour l’encourager pendant son épreuve, quelqu’un pour l’acclamer à son arrivée, il aurait peut-être tenu bon.

Quelles seraient les conditions nécessaires à une telle reconnaissance ? Un tel résultat peut-il être imaginable ?

La nosologie est la science de la classification des maladies. On parle d’entités nosographiques à propos des maladies. Il existe des centaines et des centaines de maladies définies et répertoriées. Elles sont classées par spécialités : la maladie de Lyme est une maladie infectieuse, la schizophrénie une maladie psychiatrique, la lombo-sciatique une maladie rhumatologique, l’épilepsie une maladie neurologique, l’ulcère duodénal  une maladie hépatogastroentérologique comme la cirrhose du foie, et l’asthme bronchique une maladie pulmonaire, etc.
Mais un état d’épuisement professionnel est-il vraiment une maladie ? C’est de toute évidence un état de trouble sérieux, un état de mal-être, de souffrance psychique, un état d’incapacité temporaire… Mais un burn-out isolé, c’est-à-dire non compliqué de troubles psychiatriques ou autres, est un état que l’organisme est capable de réparer seul, grâce à un repos physique et psychique. L’extraction de la personne hors de son contexte professionnel est indispensable. Le problème provient du fait qu’une personne en état de burn-out se trouve dans l’incapacité de travailler, car son moteur n’a plus de carburant. C’est pourquoi, étant donné que le burn-out n’est pas considéré comme une maladie, les médecins sont conduits à trouver un diagnostic proche et plausible pouvant justifier un arrêt prolongé de travail : un état dépressif.
Il n’est pas du tout certain que l’on en arrive à considérer officiellement le burn-out comme une maladie, pour toutes les raisons que nous avons vues. En revanche, l’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT) devrait parvenir à prévenir un grand nombre de burn-out. Il s’agit de lutter contre le harcèlement moral au travail, la déshumanisation du travail, la non-valorisation et pire la déconsidération des personnes qui travaillent, la pression hiérarchique étouffante qui peut parfois s’apparenter à un néo esclavage, etc. Nous sommes ici dans le domaine de la médecine du travail et des comités d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT). Mais, à la tête de tous ces dysfonctionnements, car il faut bien les appeler par leur nom, il y a ce sempiternel productivisme. Le transhumanisme va-t-il nous libérer du productivisme manuel - ou plutôt humain -  par le moyen d’une ultra robotisation de nos entreprises ? Mais des humains ne seront-ils pas toujours indispensables pour piloter et surveiller les robots ? Une chose est certaine : une machine ne connaît pas le burn-out, mais uniquement la panne, la réparation et la mise au rebus. On n’a pas fini de parler du burn-out.

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