Big pharma, super profits : qui osera transformer (mais aussi préserver) ce qui doit l’être dans l’industrie pharmaceutique pour que renaisse la confiance dans les vaccins ?<!-- --> | Atlantico.fr
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vaccins coronavirus industrie pharmaceutique
vaccins coronavirus industrie pharmaceutique
©JOEL SAGET / AFP

Inquiétude chez les patients

La défiance des populations envers les laboratoires pharmaceutiques est apparue au grand jour dans le contexte de la crise sanitaire. Ils sont accusés de nombreux maux et leurs profits sont souvent dénoncés. L'industrie pharmaceutique ne profite-t-elle pas des trop grandes largesses des Etats ?

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico.fr : Avec la crise sanitaire, la défiance des populations envers les laboratoires pharmaceutiques est dévoilée au grand jour. Ils sont accusés de nombreux maux et les marges importantes sont souvent pointées du doigt. Comparé aux autres acteurs, l’industrie pharmaceutique bénéficie-elle de marges si importantes ? Est-ce la raison pour laquelle les populations se méfient des entreprises pharmaceutiques ?

Pierre Bentata : Cela change bien évidemment d’un laboratoire à l’autre mais quand vous regardez les moyennes annuelles des dix dernières années, leurs marges sont quand même relativement faibles. C’est moins rentable que de vendre de la nourriture packagée : il vaut mieux vendre des mars que des médicaments. En revanche, il y a trois raisons pour lesquelles on pourrait être choqué. La première c’est qu’il y a une véritable incompréhension de la manière dont fonctionne le système. Là-dessus, les gouvernements, gauche comme droite, joue à fond, alors que c’est l’Etat qui fixe les prix. Donc quand il y a des prix qui sont hallucinants pour les traitements, personne ne comprend d’où ils viennent et cela favorise le complotisme et l’idée que l’industrie pharmaceutique se fait de l’argent sur la santé des gens. Si un médicament est remboursé c’est que le prix a été fixé par le CEPS. S’il y a quelque chose qui n’est pas légitime, c’est lié à une défaillance publique mais les laboratoires eux-mêmes ne peuvent pas imposer des prix. Ils peuvent, au mieux, refuser de vendre le produit au prix imposé par l’Etat. C’est arrivé une fois en France, avec Vertex, et cela leur a fait une très mauvaise publicité. La deuxième chose, c’est que nous sommes dans une phase d’innovation médicale qui est extrêmement forte et les laboratoires ont mis en place des dépenses de recherche et développement importantes. 99% de la R&D est financée sur les marchés où ils sont en concurrence avec tous les autres secteurs. Donc pour arriver à garder des investisseurs sur 10 ou 12 ans, avec un niveau de risque assez fort puisque la règle c’est de rater le développement d’un médicament, ils sont obligés de proposer des dividendes qui sont énormes. Cela donne l’impression que l’industrie se gave lorsqu’un dividende est reversé avant qu’un médicament rentre sur le marché, mais cela s’explique par la structure sociale de l’économie du développement du médicament. Une molécule sur 10.000 criblées devient un succès. Cela est vrai en temps normal, mais dans une situation de crise, les Etats sont prêts à payer beaucoup plus cher, donc les règles changent. En France, c’est l’amélioration du service médical rendu (ASMR) qui va être un facteur clé pour savoir quel est le prix du médicament.

Dans une période de crise, sans traitement concurrent et avec un besoin immédiat pour répondre aux attentes de la société, les marges de négociations vont être très fortes. Le plus souvent pour répondre à des crises, les laboratoires vont utiliser des formules connues, et là l’argumentaire habituel ne tient plus mais les laboratoires vont pouvoir profiter de la situation.

Pour l’instant nous n’avons pas vraiment d’idée sur le réel prix auquel les vaccins vont être vendus. Selon les pays, il y a un écart énorme entre le prix facial et le prix réel. En France c’est un rabais de 30 à 50% par rapport au prix affiché. On ne sait pas exactement combien ils gagnent mais il y a une marge de manœuvre qui est plus forte. Il y a une forme de rente de situation pour les laboratoires. Ce qui terni encore plus l’image c’est lorsqu’un traitement ne marche pas et qu’on l’a acheté en avance, malgré les avertissements de plusieurs médecins. Là, les laboratoires ont surtout un avantage sur l’asymétrie d’information.  

Les médicaments ne sont pas vendus au même prix dans tous les pays. L'industrie pharmaceutique ne profite-t-elle pas des trop grandes largesses des États et de systèmes de santé trop généreux en matière d'acquisition des médicaments et de remboursement de ces derniers pour faire augmenter les coûts ? 

En effet, aucun pays ne paie le même prix pour les médicaments car les entreprises ne négocient pas toutes de la même façon avec tous les Etats. C’est un jeu de dupes que personne ne connait vraiment à part ceux qui sont dans le système. Le prix d’un médicament va se calculer en fonction des méthodes qu’on a pour analyser leur efficacité et ces méthodes diffèrent selon les pays. En France, on regarde l’ASMR, l’efficacité comparée ainsi que la population touchée, la prévalence. En Angleterre, ce qui va compter c’est combien d’années de vie seront gagnées dans le cadre d’une vraie analyse coût-bénéfice qui prend en compte la productivité des patients. En fonction de cela, vous n’arrivez pas au même prix. S’ajoute à cela que tous les pays fixent leur prix selon un panier de référence. Ils vont négocier leur prix entre le minimum et le maximum dans leurs pays référents. La logique des Etats c’est de dire que la valeur d’un médicament dépend aussi du pouvoir d’achat de la population et que si le prix suivait la valeur thérapeutique uniquement, certains pays seraient évincés. C’est une façon pour les laboratoires d’équilibrer les choses. In fine, cela exerce une pression sur les prix sauf aux Etats-Unis, où les prix sont libres. Les prix faciaux sont très élevés là-bas et on est obligé d’avoir quasiment les mêmes en Europe pour que les Américains ne se sentent pas floués alors que de fait, ce sont eux qui financent la médecine dans le monde. Le système de protection sociale français peut avoir deux effets différents. Le premier c’est que comme tout est mutualisé, l’Etat est capable d’accéder rapidement à des médicaments en acceptant de payer cher et en se disant qu’on compensera d’une autre façon. Dans le même temps, l’Etat étant un interlocuteur pour 60 millions de personnes, il peut arguer sur le volume important qu’il va acheter et donc faire varier les prix à la baisse. La France est un des pays où on ne sait pas comment évoluerait le prix des médicaments s’il était identique dans le monde entier. En Grèce il augmenterait, aux Etats-Unis, il baisserait, mais en France, c’est incertain. La France c’est le troisième marché mondial pour les thérapies géniques. Mais le Comité économique des produits de santé, chargé de négocier les prix, est en sous-effectif chronique et a passé un an sans président. Donc on a un fort pouvoir de négociation mais on ne peut pas vraiment l’exercer faute de moyens.

La peur de tomber dans le domaine public 10 ans après la découverte d’un traitement ne freine-t-elle pas les laboratoires dans leurs investissements et tend à augmenter leurs prix ? Le marché de niche est-il une manière pour les entreprises de faire des marges plus importantes ?

Plus votre brevet court sur un temps limité, plus il faut faire de la marge rapidement, car une fois qu’il y a un générique, normalement, c’est foutu. Or, en France, on a des délais d’accès aux médicaments qui sont importants, beaucoup plus qu’en Allemagne ou d’autres pays européens. C’est environ 100 à 150 jours de plus dus à des délais administratifs. C’est autant de perdu pour le brevet qui court depuis le moment où il est accepté. Cela crée une pression à la hausse. Les laboratoires veulent rentabiliser davantage. Face à cela la France a mis en place les autorisations temporaires d’utilisations (ATU) qui permettent aux laboratoires de fournir directement les hôpitaux quand ils le souhaitent et aux prix qu’ils souhaitent et rembourser la différence une fois la mise sur le marché actée. Cela ne compense pas complètement la rigidité règlementaire qui crée de l’inquiétude chez les laboratoires pour s’installer directement en France. Ils vont donc vouloir négocier à un prix plus élevé.

Par ailleurs, en France on a des prix qui sont corrélés au fait que ce soient des maladies rares. Parce que c’est sur cela que les remèdes sont les plus difficiles à développer. C’est le prix du succès. Vous avez réussi à traiter les grandes maladies mais c’est plus compliqué d’attaquer les petites. Les essais cliniques sont plus durs, les protocoles plus compliqués à respecter et dans ce cas-là, les prix vont être plus élevés. C’est également le cas quand cela touche des enfants parce que le consentement à payer, la négociation, est plus faible de la part des pouvoirs publics. C’est davantage en fonction de la population cible que du type de thérapie que l’enjeu se pose. Là où il y aura une vraie question, c’est sur les thérapies géniques à venir, la dernière s’est négociée en France à plus d’un million d’euros le traitement mais le laboratoire considère que son coût de production était de 300.000 euros par traitement plus la recherche et développement et les infrastructures à mettre en place. Sur ce secteur en pleine expansion, avec des résultats importants, il est possible que les marges soient fortes au début.

Est-ce problématique que le monde pharmaceutique soit une industrie, ce qui implique la recherche du profit, et le fait qu’elle ne soit pas uniquement tournée vers l’intérêt général ?

Non, à mon sens ça ne pose pas de problème. Si cette recherche du profit est correctement accompagnée et financée par les pouvoirs publics, elle incite à trouver les meilleurs médicaments. Mais cela suppose évidemment deux conditions : - premièrement, la responsabilisation des laboratoires, en s’assurant que les essais cliniques sont correctement réalisés sans qu’il y ait une asymétrie d’information qui joue en faveur du laboratoire ; deuxièmement, il faut que le mode de financement des traitements soit cohérent pour l’Etat. Quand vous achetez du Doliprane, vous savez comment les gens vont l’utiliser et comment les stocks vont s’écouler. Ça ne pose pas de problème de rembourser à la tablette. En revanche, lorsqu’il subsiste une incertitude sur l’efficacité d’un traitement ou que celle-ci n’apparaîtra qu’à plus long terme, le financement à l’achat n’a pas de logique économique. Car l’ensemble des risques sont alors supportés par l’Etat, donc par la population. Il faut donc trouver un nouveau moyen pour le financer. La stratégie à suivre est celle d’un paiement à la performance, en s’engageant sur un contrat de long terme avec un laboratoire. Ce qui est intéressant, c’est que les laboratoires sont pro-actifs dans ce domaine. Ils ont suffisamment confiance en leurs produits et comprennent que c’est l’unique façon de faire. Ce sont plutôt les gouvernements qui sont contre cette logique. En France, la réticence vient du fait que cette forme d’incertitude empêche de budgétiser annuellement. Il faudrait revoir la comptabilité de la santé, en ne la considérant plus comme un coût mais bien comme un investissement de long terme. Ce qui prend tout son sens d’un point de vue économique. Cela signifie que la logique comptable de l’Etat ne tient plus. La façon dont les budgets publics sont gérés doit être rationalisée. Nous allons nous retrouver dans une situation où les Etats ne pourront plus financer les thérapies innovantes à cause de cette logique court-termiste.

Responsabilisons-nous suffisamment les entreprises pharmaceutiques ?

Non, car c’est très difficile à faire. On retrouve grosso modo les mêmes problèmes dans la gestion des catastrophes environnementales. C’est facile de tenir pour pénalement responsable un laboratoire ou une entreprise polluante. Mais en réalité, on ne sait pas le faire pour une personne morale. Comme les effets négatifs arrivent plus tard, il y a une forme d’opportunisme qui peut apparaître. On peut se dire que "quand on s’apercevra que mon médicament n’est pas efficace, je serai mort". Ou du moins considérer que l’on sera dans une situation où il sera difficile d’être poursuivi pour des décisions prises il y a déjà plusieurs années de cela. De la même manière, infliger des amendes monstrueuses à ces personnes, c’est un peu comme tenir Jérôme Kerviel responsable de plusieurs milliards d’euros. Qu’est-ce que vous voulez que cela leur fasse ? L’incitation est très faible. Ici, le problème est que l’on n'est pas suffisamment menaçant avec les laboratoires. Puisque l’on n’a pas trouvé une mécanique juridique suffisamment innovante pour que les individus se sentent responsables au moment où ils prennent leurs décisions. C’est tout l’enjeu du droit lorsque l’on se retrouve face à ce genre de situation aux conséquences potentiellement énormes sur le plus long terme.

Comment peut-on faire en sorte de restaurer la confiance des citoyens envers l’industrie pharmaceutique ?

Au-delà de la population, les employés des laboratoires n’ont eux-mêmes plus confiance en leur employeur. Il y a une vraie difficulté pour les motiver à penser que leur travail sert à quelque-chose. Ils ont l’impression de travailler pour "l’industrie du diable". C’est un vrai problème puisque cela entraîne une baisse de la productivité et une hausse des coûts. Il y a aussi un effort de pédagogie à faire. Les Etats jouent sur le fait que les laboratoires s’enrichissent, sans jamais dire que ce sont eux qui fixent les prix. C’est ce qui donne l’impression que l’industrie pharmaceutique fait ce qu’elle veut. Il faudrait que les citoyens se rendent compte qu’en dernier ressort, il reste toujours l’Etat. Si on avait davantage de transparence sur les négociations et sur le fonctionnement du système de santé français, cela ouvrirait moins la voie au développement des idées complotistes. On prête beaucoup plus de pouvoir aux laboratoires qu’ils n’en ont vraiment. On crée carrément un fantasme. D’autant plus que ceux qui sont opposés aux laboratoires sont très bien organisés. Il faudrait que l’Etat assume le fait que c’est lui qui fixe les prix. On devrait enseigner le mode de financement de la santé dans notre pays. Cela montrerait que certaines décisions étranges sont prises. La Cour des Comptes a démontré que tout l’argent dépensé pour le remboursement du Doliprane, c’est autant d’argent en moins pour financer le traitement de maladies orphelines ou touchant des enfants. Mais si la population n’est pas au courant, elle a juste l’impression que l’Etat fait ce qu’il peut et que ce sont les laboratoires qui s’en mettent plein les poches. Et les laboratoires ont longtemps fait l’erreur de ne pas communiquer sur leurs marges et de renforcer cette image.

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