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Un site de l'entreprise Amazon.
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©CHRIS J RATCLIFFE / AFP

Livrez-moi, livrez-moi, livrez-moi

Les consommateurs ont de plus en plus recours aux plateformes de e-commerce, selon les chiffres de l'OCDE ou de Goldman Sachs.

Danielle Rapoport

Danielle Rapoport

Danielle Rapoport est psychosociologue et dirige le Cabinet d’études DRC, spécialisé dans l’évolution des modes de vie et de la consommation, via une approche ethno-qualitative, auprès des consommateurs et d’équipes managériales en entreprises.

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Atlantico : L'héritage de la pandémie persiste, à en croire la presse anglo-saxonne. The Economist observe en effet, sur la base de chiffres provenant de l'OCDE ou de Goldman Sachs par exemple, que les consommateurs se font de plus en plus casaniers. Ils préfèrent, ainsi, des loisirs à domicile plutôt que de sortir profiter d'un restaurant... Comment expliquer ce bouleversement des habitudes de consommation ?

Danielle Rapoport : La pandémie a effectivement eu un effet majeur sur le changement de comportements des consommateurs. Plus important, peut-être, je pense que ce changement est pérenne. Et pour cause : ces changements sont renforcés par d’autres problématiques, parmi lesquelles celles de la livraison, de plus en plus courrante, qui touche de nombreux domaines. Elle touche aussi à la qualité de vie et à la gestion de son temps, entre autres.

Commençons par dresser le portrait des trois types de consommateurs concernés. Il y a ceux qui sont de plus en plus favorables à la livraison, parmi lesquels on retrouve les jeunes actifs ainsi que les actifs habitués à consommer et. naviguer de manière fluide sur Internet, qui exigent de leurs livraisons qu’elles soient personnalisées.

Il y a aussi la catégorie des CSP+, généralement plus mobiles… mais qui ne font pas usage de cette mobilité pour se déplacer dans les magasins et notamment les supermarchés qu’ils considèrent comme du temps perdu. Très occupés, avec parfois des distances travail domicile importantes, ils préfèrent passer eux aussi par internet pour leurs achats et se faire livrer.

Enfin, il y a aussi les personnes âgées qui sont moins en mesure de quitter leur domicile, pour des raisons de santé ou de fatigue et qui se feront livrer pour des raisons de confort et de praticité. 

La question de la livraison est plus importante qu’il n’y paraît, parce qu’elle contribue à changer notre rapport à la consommation. Les achats que l’on fait sur Internet ont de spécial qu’ils sont la majorité du temps anticipés. Il n’y a pas la même spontanéité que celle observée dans les supermarchés, par exemple. La consommation s’intègre davantage dans une réflexion globale, qui prend en compte le rythme de vie, notamment, les promotions, les offres spéciales etc.

Du reste, si les consommateurs profitent davantage de loisirs à domicile, c’est aussi parce que c’est désormais une possibilité. Là encore, par des offres plus qualitatives, ou ne nécessitant pas de préparation, la livraison peut se substituer à une sortie de « restaurant  cher soi » tout en s’assurant de manger au moins aussi bon. Pour les loisirs,  la possibilité de remplacer la séance de cinéma, chère et surtout si l’on est en famille, par des plateformes de streaming, est bénéfique pour des raisons économiques et de confort.

Autre raison qui explique, peut-être, la baisse des modes de consommation habituels : ils obligent, d’une certaine façon, le client à « travailler » au lieu même du supermarché : scanner, faire la queue y compris aux caisses automatiques. Celui-ci doit investir du temps et parfois s’acquitter d’une dépense émotionnelle. Or, avec les systèmes de livraison optimisés, il est possible de se soustraire à cet état de fait. 

D'une façon générale, une partie conséquente des dépenses de loisirs ont été rapatriées sur l'achat de nourriture, de vêtements ou de matériel pour la maison par exemple. D'après The Economist, on peut même parler de consommateurs hermites… Qu’en est-il exactement ?

A certains égards, c’est aussi un problème de prix. Il ne faut pas perdre de vue que les loisirs à domicile ont pu devenir plus intéressants, au moins au plan financier, que ne peuvent l’être les alternatives traditionnelles. Un abonnement à Netflix ou autres plateformes par exemple, s’avère souvent plus rentable qu’une sortie au cinéma qui peut coûter très cher. Or, les crises actuelles – qu’il s’agisse des effets induits de la pandémie ou de la montée de l’inflation – ont pu contraindre un certain nombre d’actifs à se "serrer la ceinture". Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de préférer manger chez soi plutôt que d’inviter ses proches au restaurant.

Mais certains loisirs coûtent de plus en plus cher. Si l’alimentation reprend le dessus, reste-t-elle toujours une variable d’ajustement ce qui a été le cas auparavant ? Bien sûr, ce n’est pas tout à fait révolu. On constate sur ce plan des inégalités : tous ne sont pas capables de s’offrir des produits qualitatifs, et  l’offre est riche de produits moins chers de moins bonne qualité.

L’achat de vêtements en plus grande quantité s’explique aussi par la montée du numérique, qui a permis à différentes plateformes de proposer des offres défiant toute  concurrence, ainsi que  l’émergence d’un marché de seconde main plus important. 

Ceci étant dit, je ne sais pas s’il est tout à fait juste de parler de consommateurs hermites. Indéniablement, et si le consommateur s'est replié, c’est au profit de nouveaux cercles notamment ceux de sa sphère privée. 

Quels sont-ils ? Comment qualifier le repli du consommateur et que dit-il de notre rapport à la consommation comme à la société ?

Le consommateur va davantage, me semble-t-il, vers des produits et des services qui l’intéressent au plan plus personnel, de valorisation de soi , notamment pour des raisons d’amélioration de sa qualité de vie, de simplification, de facilité. Mais tout dépend des cibles car les choix sont devenus complexes. Il exige de son achat un bénéfice secondaire perceptible et celui-ci correspond à une optimisation de sa santé, de son plaisir, du bien qu’il s’accorde ou qu’il fait autour de lui. Cela peut aussi être la compensation des effets de confusion et de dramatisation de son  environnement, comme peut l'être en milieu urbain. Or, beaucoup d’offres ces (produits, services, loisirs) peuvent s’utiliser ou se pratiquer à la maison, sans s’extraire de son cercle social, familial ou d’amis proches. 

Nous assistons au développement d’une  forme de sociabilité qui se recentre sur la famille, les sphères privées connues et qui rassurent. Ce n’est pas la première fois que nous observons ce phénomène : la situation n’est pas sans rappeler ce qui a pu se passer dans les années 1990.

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