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L'incroyable trésor
amassé par Ben Ali
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La soif de l'or

Une fortune qui pourrait être équivalente à la dette de la Tunisie! Le dirigeant tunisien déchu, accumulant jusqu'à l'absurdité, avait caché dans son palais les richesses dont il privait son peuple. Comment expliquer une cupidité aussi folle? Parce qu'il avait négligé la valeur puissance symbolique du don, connue par les anciens sous le terme de "potlatch".

Philippe Franceschi

Philippe Franceschi

Philippe Franceschi est l’un des trois fondateurs de La Tête qui Manque, communauté de recherche et recherche de communauté, située à mi-chemin entre Southpark et la revue Documents.

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La fortune amassée par Ben Ali pourrait être équivalente à la dette de la Tunisie. Le pays tente de faire le tri entre ses nombreux comptes en banque et le trésor qu’il cachait dans son palais. Cette incroyable affaire est l’occasion de dépoussiérer la notion de potlatch, terme que l’anthropologie naissante avait analysé au début du XXème siècle.

10 milliards de dollars. C’est la valeur que pourrait atteindre le trésor du couple Ben Ali-Trabelsi. Somme accumulée durant leurs 23 années de règne sur la Tunisie. Liasses de billets, bijoux, louis d’or, collection de pièces anciennes en or, etc., le tout dissimulé dans le palais de Sidi Bousaïd comme dans la caverne d’Ali Baba. "Une telle accumulation, ça dépasse l’entendement ! ", a déclaré Abdelfattah Amor, président de la Commission nationale d’établissement des faits sur les affaires de corruption.

Qu’est-ce que le potlatch ? L’accumulation des richesses, quand elle est poussée à ce degré extrême d’absurdité, suscite presque l’incompréhension. Quand on possède un tel trésor, pourquoi ne pas le dépenser, ne serait-ce qu’en partie ? Molière nous a laissé la figure de l’Avare en guise de repère, mais il existe un terme qui donne des raisons d’espérer et de respirer. Ce terme, c’est le potlatch. Marcel Mauss en explique la signification dans son "Essai sur le don : Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques". Le potlatch est un moyen de circulation des richesses, sans marchandage (rien à voir avec le troc), et considéré comme fondamental par les tribus indiennes d’Amérique du Nord qui le pratiquaient.

Au cours d’une cérémonie, les participants s’offrent des objets. Par enchaînement, celui qui offre un présent appelle, de la part de celui à qui il l’offre, un don de rivalité ou contre don, qui portera sur un objet de valeur égale ou supérieure. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’un des participants, exsangue, dise stop. Au cours du potlatch, celui qui donne le plus acquiert un pouvoir, par la présence de l’autre, dans la consumation pour autrui. Le chef de la tribu est celui qui, comme il est le plus généreux, sort vainqueur du potlatch.

Dépenser ou accumuler ?

Dans le potlatch, la production et l’acquisition sont déclarées secondes par rapport à la dépense, surtout quand celle-ci est inutile. Les objets donnés perdent leur valeur de marchandise et s’imprègnent de la magie du don. C’est une contestation radicale du primat de l’utilité et de l’accumulation : se perdre en prodigalité plutôt que réserver son excédent à la croissance et accumuler, accumuler, accumuler… Le don est un signe de gloire, et l’objet qu’on donne a lui-même le rayonnement de la gloire. Il tend vers le sacré. Mais est-ce encore compréhensible dans un monde réduit au poids des relations commerciales et de l’utilité ?

Le potlatch met à l’envers notre conception de l’échange et place la valeur, le prestige et la vérité de la vie dans la négation de l’emploi servile des biens. A quand, donc, si notre planète est devenue un village ou une grande tribu, à quand une cérémonie de potlatch qui serait diffusée dans le monde entier par MTV, où l’on verrait les plus grandes fortunes de la planète maintenir leur rang et leur prestige à l’aide de la pratique effrénée du don ? A bon entendeur, salut.

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