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Avancée des Talibans : vers une nouvelle crise des migrants ?
©Wakil KOHSAR / AFP

Nouvelle vague

Après le retrait des États-Unis d'Afghanistan, les Talibans reviennent en force dans le pays. Jeudi dernier ils ont repris la troisième ville du pays, le lendemain ils s'emparent de Kandahar, et aujourd'hui ils sont aux portes de Kaboul... Face à cette avancée l'occident s'attend à un retour massif d'une migration afghane à ses frontières.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Les talibans mènent actuellement une forte offensive en Afghanistan et s’emparent de plusieurs capitales régionales. Le contexte semble être propice à un déplacement massif de population. Doit-on s’attendre à un nouveau flux migratoire en provenance de ce pays ?

Emmanuel Dupuy : Le flux migratoire a déjà commencé. On estime à 20 000 le nombre de personnes qui quittent le pays chaque semaine par les postes frontières qui ne sont pas encore sous le contrôle des Talibans, à la frontière avec l'Ouzbékistan, l'Iran et le Pakistan. Il faut bien évidemment s'attendre à un déplacement massif de population. Les flux d'immigration sont dirigés vers l'Iran (où réside déjà 1,5 millions d'Afghans et vers le Pakistan). Il faut aussi s'attendre à des déplacements internes avec des populations afghanes qui fuient l'avancée inexorable des Talibans. 

Durant les deux dernières semaines, les Talibans ont repris 14 des 34 capitales provinciales. Avant, ils les contournaient. C'est là un changement de stratégie pour montrer qu'ils sont en capacité d'asphyxier Kaboul. Autre changement : en 1996 les Talibans avaient épargné le Nord-Ouest du pays alors contrôlé par les forces tadjiks du maréchal Dostom et du commandant Ahmed Chad Massoum. La reconquête était partie de ces territoires non-conquis en 1996. Cette fois, les Talibans ne comptent pas reproduire l'erreur et vont donc placer toute leur attention sur le Nord-Ouest pour éradiquer toute opposition. C'est la raison pour laquelle on voit ressurgir des milices d'autodéfense, placées sous l'autorité du fils d'Ahmed Chad Massoum.

Quelles sont les populations qui fuient ?

L'offensive des talibans s'est focalisée notamment sur la ville de Kandahar qui a été leur premier point d'ancrage au moment de l'émirat islamique d'Afghanistan entre 1996 et 2001. Les premières migrations partent donc de cette ville vers la frontière pakistanaise.

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L'autre population à émigrer est la population chiite. Toutes les organisations terroristes présentes sur le territoire et en particulier l'Etat islamique ont deux cibles : le régime d'Ashraf Ghani et les chiites. Il se trouve que Hérat, ville conquise par les Talibans, est la capitale d'une province où résident 3 à 5 millions de chiites. Il faut donc s'attendre à une évasion massive de ces populations vers l'Iran où se trouve de nombreux Afghans ayant fui les précédentes offensives talibanes. 

L’Allemagne, les Pays Bas et maintenant la France ont décidé de suspendre les expulsions vers l’Afghanistan. Au-delà de cette décision, peut-on s’attendre à une action européenne concertée ? Qu’est prêt à faire l’Union européenne pour les Afghans ?

Pas grand-chose. La réponse concertée est une vue de l’esprit. La Belgique a décidé, elle, de ne pas surseoir à l’expulsion des migrants. Son ministre chargé des questions migratoires continue à estimer que rien ne peut donner l’impression qu’il faille changer la posture, contrairement à la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France. Il y a donc une césure. Ce qui est vrai pour la Belgique l’est aussi particulièrement pour l’Autriche, la Hongrie et la Pologne. Il n’y a pas de consensus entre les 27 sur cette question. La position européenne est un peu timorée pour ne pas simplement dire fragile. Les talibans ont rencontré une délégation européenne il y a quelques jours. Même si l’UE essaie de le cacher ou de le minorer, un tweet des talibans atteste de cette prise de contact. Les Britanniques avaient été les premiers à dire que si les talibans revenaient au pouvoir ils ne rompraient pas les relations diplomatiques. La Chine a annoncé la même chose si les choses étaient faites dans les formes. Il faut garder à l’esprit que les talibans ont mené une offensive diplomatique en se rendant à Moscou, à Achgabat, à Pékin, à Téhéran et à Tachkent.

L’UE pourrait-elle reconnaitre le pouvoir des talibans ?

Josep Borrell a eu une réponse relativement elliptique en disant qu’évidemment l’Union européenne ne pouvait pas reconnaitre un régime qui s’en prenait aux droits fondamentaux et remettait en cause tout ce sur quoi l’UE s’était mobilisée. Mais de facto, c’est la realpolitik qui l’emportera. Les 27 le reconnaitront comme la Grande-Bretagne va le faire, et les Etats-Unis sans doute, même si le porte-parole ne l’a pas dit comme tel. C’est vraisemblablement déjà la realpolitik qui l’a emporté en Iran puisque Ebrahim Raïssi a dit qu’il fallait engager des discussions politiques avec les talibans. C’est également vrai avec Mirziyoyev en Ouzbékistan et bien évidemment avec le Pakistan. Imran Khan, premier ministre du Pakistan, appelle depuis de nombreux mois à reconnaitre la légitimité militaire et politique des talibans.

Doit-on craindre un risque d’instrumentalisation des flux migratoires à venir de la part de pays tiers ? Qui pourrait chercher à bénéficier d’une telle situation ?

Il y a deux pays en particulier. La Turquie d’abord qui restera un acteur majeur et l’un des seuls de l’opération Resolute Support de l’Otan qui a indiqué entendre rester pour sécuriser l’aéroport de Kaboul. Erdogan sait très bien jouer de notre impatience vis-à-vis de la question migratoire. Il a obtenu six milliards de roubles pour gérer la question migratoire lors du conflit syrien. Il n’a aucune raison de ne pas le faire avec la question migratoire afghane car une fois que les migrants auront traversé l’Iran, ils atteindront l’Europe via la Turquie. 

Le deuxième bénéficiaire sera l’Iran. Ebrahim Raïssi veut revenir à la table des négociations en position de force vis-à-vis des Etats-Unis. Ces derniers accepteront sans doute le rôle que pourrait jouer l’Iran : une forme de modération, de tempérance. Les Américains n’ont pas beaucoup d’alliés dans la région. Il parait probable que les Iraniens jouent cette carte. D’autant que les positions russe, turque et iranienne sur l’Afghanistan paraissent assez cohérentes entre elles et cohérentes avec la position chinoise.  

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