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Arabie saoudite : ce que l’on peut déduire des fragments de nouvelles du prince héritier "disparu"
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Prince caché

Toujours aucune réaction dans la sphère médiatique. Pourtant, et malgré les rares "preuves" qui concernent le Prince Mohammed ben Salman, il y a de quoi se poser quelques questions.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Une "disparition" obnubile la média-sphère : celle de Melania Trump, épouse du président américain. Chaque jour, à la une, presse et sites d'information s'angoissent à son sujet. Or ces grands médias - dont Le Figaro, Paris-Match, Le Parisien, l'Associated Press, le New York Times, le Chicago Tribune, The Guardian, The Independent, Time, Newsweek, etc,. Or mis en transe par l'effacement de Melania, ces mêmes médias gardent sur l'occultation du prince héritier saoudien - et régent de fait - Mohammed bin Salman (MbS) un écrasant silence et - parfois au-delà du déontologique - s'obstinent à regarder ailleurs et à parler d'autre chose.

D'abord, ce rappel d'indéniables faits : 

- dans la nuit du 21 au 22 avril passé à Riyad, capitale du royaume d'Arabie saoudite, éclate près d'un palais royal une violente et longue fusillade, sur laquelle existent d'authentiques vidéos. Or dans ces tirs aisément identifiables, ceux de fusils d'assaut dont ni l'armée, ni la garde nationale, ni la police du royaumes ne sont dotées. Sûrement pas un "tir sur un drone" comme dit la presse locale : de longs échanges de tirs entre deux entités.

- respect à la first lady - mais le dirigeant de l'Arabie saoudite pèse d'un autre poids : géant de l'énergie, poids lourd de la géopolitique pétrolière et tuteur, comme "Gardien des deux lieux saints" de La Mecque et Médine - de la fort sensible Organisation de la coopération islamique, forum planétaire d'un milliard et demi de musulmans. 

- depuis le 22 avril, l'important MbS disparaît de la scène médiatique où jusqu'alors il était omniprésent, avec l'aide intéressée des plus grandes agences de publicité et relations publiques du monde, pour cela payées à prix d'or. Depuis lors, vérification faite aux meilleures sources, MbS a parlé au téléphone avec le président Macron le 22 mai (un mois après sa "disparition") et avec Theresa May le 3 juin. Sinon, de rares vidéos sans date "montrent" MbS, avec des proches (son oncle Muqrin bin Abdallah) ou des domestiques (le président yéménite pro-saoudien), voilà tout.

- depuis le 21 avril, nulle présence objective et datable de MbS aux côtés d'une personnalité mondiale, insoupçonnable de jouer un jeu tordu avec le régent de l'Arabie.

Tout cela ne mériterait-il pas un tantinet d'attention médiatique ? Pourquoi ce "tout pour Melania - rien pour Mohammed" ? La crainte des fake news bien sûr - mais alors, si bidonnage il y a dans l'affaire MbS, pourquoi ne pas crier au truquage, comme ces médias le font constamment ? Pourquoi ne pas dénoncer (comme d'usage) les trolls de Poutine ou les pirates de Téhéran ? Pourquoi cette occultation, limite consigne de silence ?

Venons-en au fond de l'affaire. 

- clairement, vers le 21-22 avril, MbS échappe de peu - ou survit s'il a été atteint - à une attaque. Depuis, quel que soit le cas, il se cache - on entend d'ailleurs dire à Riyad que sa garde personnelle serait désormais assurée par des "étrangers".

- les "expatriés invisibles", tenus à une totale discrétion, ces étrangers vivant durablement au contact direct des princes saoudiens et participant à leurs majlis (conciliabules où tout se décide dans la culture bédouine) excluent tout putsch familial - trop dangereux en plein Ramadan, disent-ils tous. Certes, l'oligarchie saoudienne a récemment été secouée par Mbs de milliards de dollars - au-delà encore de ce qu'ont dit les médias, les "détenus du Ritz-Carlton de Riyad" étant ceux qui ont d'abord refusé de cracher au bassinet ; certes, colère et rancune sont grandes chez divers princes - mais lors du Ramadan, non, ça ne se fait pas.

Quelle piste alors ? A quoi MbS cherche-t-il à échapper depuis désormais quarante-cinq jours ? Une question stratégique pour tout le Moyen-Orient et l'Europe, au plan énergétique comme a celui de la lutte contre le terrorisme.

On se souvient que jadis, le Royaume d'Arabie Saoudite a joué de complexes jeux avec des salafistes-djihadistes - dont Oussama bin Laden - utilisés comme pittbulls contre des ennemis régionaux - délaissant ensuite ces périlleuses stratégies indirectes. Mânes des Mille et Une Nuits : un génie oublié serait-il récemment sorti de quelque bouteille ?

Concluons par une note taquine, cette réflexion sur l'urgence de suivre de près le cas MbS : légitimiste comme il se doit, l'actuel ambassadeur de France en Arabie saoudite affirme ces temps-ci à qui veut l'entendre que MbS est en pleine forme et que ces rumeurs sont idiotes. Quand on sait que, trois mois avant le coup d'Etat de d'Omar al-Bachir au Soudan, notre ambassade de Khartoum écartait tout péril islamiste ; et qu'à la veille du renversement de ben Ali, celle de Tunis disait ce dernier solide comme un roc, on ne peut se déprendre d'une sourde inquiétude.

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