Après le sentiment d’insécurité, le sentiment d’immigration ? Petits éléments de réponses à Jean-Luc Mélenchon et autres tenants de la thèse du “zéro enjeu migratoire”<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon
Jean-Luc Mélenchon
©Photo AFP

Immigration

Lors d'un discours à Rennes jeudi 14 décembre, Jean-Luc Mélenchon a déclaré : " notre pays, que cela plaise ou pas, ne peut pas se passer de la contribution des travailleurs immigrés". Petits éléments de réponses

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Atlantico : Le journaliste Sylvain Bourmeau, invité dans l’émission “C ce soir” sur France 5 est revenu sur l’intervention du président de la République qui dans “C à vous”, a indiqué que la loi immigration constituait le “bouclier” qui nous manquait. Selon lui, Emmanuel Macron devrait plutôt écouter l’Institut Convergences Migrations, qui regroupe 700 chercheurs dans le cadre d’un programme d’investissement d’avenir. Ces chercheurs ont publié un communiqué pour s’alarmer du vote de la loi immigration. Comment expliquer ce déni de la “pression migratoire” et de la réalité du coût de l’immigration en France à travers le communiqué de ces chercheurs ou de la position de Sylvain Bourmeau ? En quoi leur vision est démentie dans les faits et par les statistiques ? 

Jean-Paul Gourévitch : L’Institut La Boétie, fondation insoumise créée dès 2019  s’est montrée très active pour soutenir la candidature aux présidentielles 2022 de Jean-Luc Mélenchon qui en est le co-président aux côtés de la députée NUPES-LFI Clémence Guetté.  Elle est financée par la NUPES et des dons privés, et ambitionne également d’être une think-tank conciliant élaboration intellectuelle et éducation populaire. A la manière, toutes choses égales, de ce que veut être la Fondation Jean-Jaurès pour le Parti Socialiste. On retrouve dans son programme les trois piliers de la doxa LFI : critique du capitalisme, planification écologique et humanisme arc-bouté contre l’extrême droite,  et dans son organigramme dirigeant toute la fine fleur des intellectuels d’extrême-gauche, des compagnons de route de LFI, de responsables d’ATTAC ou de militants écologiques radicaux   avec des figures connues et respectées  : Ignacio Ramonet, ancien directeur du Monde Diplomatique,  Jacques Généreux, Monique Pinçon-Charlot ou  la « décoloniale » Françoise Vergès qui a été présidente du Comité National  pour la Mémoire de l’Esclavage.

Il était donc normal que l’Institut soit en première ligne des opposants à la loi sur l’immigration votée par l’Assemblée Nationale. Que Sylvain Bourmeau, producteur de radio notamment à France Culture qui est passé par les Inrocks,  Mediapart, Libération,  s’en fasse un des  porte-parole n’étonnera personne.  Qu’en revanche il privilégie le communiqué des chercheurs de l’Institut Convergences Migrations invite à s’interroger. Cet institut a pour Président François Héran dont on connait les positions sur l’immigration et qui est un invité incontournable sur tous les plateaux de la pensée dominante. Derrière un tel drapeau, on ne peut que défiler en rang serré. Il est toujours plus simple d’agglomérer des centaines de signatures sur un communiqué de dénonciation que de s’interroger sur des statistiques qui montrent une évolution que justement ces intellectuels devraient prendre en compte. 

En quoi les tenants de la thèse du “zéro enjeu migratoire” se trompent au regard des statistiques et de la réalité de l’immigration en France ? Selon l’Institut La Boétie, la loi immigration symbolise la convergence de la macronie, de l’extrême droite et de LR sur un récit commun de l’immigration : celui selon lequel l’immigration est un poids pour notre pays, un coût pour la société française. En quoi cette analyse est éloignée de la réalité ?

Jean-Paul Gourévitch : Aucun chercheur sérieux travaillant sur la réalité des coûts de l’immigration aujourd’hui et non sur des documents remontant à 2000,  à 2011 ou même à 2018  ne peut prétendre aujourd’hui qu’ en termes financiers  l’immigration dans toutes ses dimensions, fiscales, sociales, institutionnelles, régaliennes, sécuritaires, sociétales, éducatives, humanitaires,  rapporte plus qu’elle ne coûte. Nous l’avons largement démontré dans l’étude de Contribuables Associés sur « le coût de l’immigration en France en 2023 ». Reste qu’il y a un clivage droite-gauche évident sur les estimations.
Pour les économistes « de gauche » travaillant isolément ou dans le cadre d’Institutions comme le CEPII, le déficit est minime et se situerait dans une fourchette de 4 à 15 milliards d’euros. Pour les organismes de recherche comme Fondapol ou l’OCDE, il serait plutôt de l’ordre de 20 à 33 Mds d’euros (hors immigration irrégulière). Pour les économistes de droite il se situerait selon des estimations peu récentes entre 70 et 86 Mds d’euros.  Quant au chercheur André Posokhow dans ses deux ouvrages Immigration : l’épreuve des chiffres (mai 2021) et Immigration l’heure des comptes  (février 2022) tous deux publiés aux éditions Synthèse Nationale donc ignorés par les medias de grand chemin, il conclut  à « un bilan négatif à l’intérieur d’une fourchette comprise entre 256 et 298 milliards d’euros dont 193 milliards d’euros pour la population immigrée tiers ».

Rappelons que notre étude aboutissait à un déficit de 53,9 Mds d’euros hors de ce qui relève de « la pénombre de l’immigration », donc non comptabilisable faute de pouvoir mettre en regard sur plusieurs chapitres les coûts et les bénéfices. C’en était encore trop pour les tenants de « l’immigration tout bénéfice pour la France », puisque dès la publication de notre document, comme Atlantico l’a d’ailleurs souligné,  ma page Wikipedia a été décapitée par une militante répondant au pseudonyme Chouette Bougonne et transformée en procès à charge avec refus de toute intervention dans le cadre de la discussion, et exclusion des contributeurs qui s’étonnaient de ce manquement à la déontologie de leur plate-forme. 

En quoi le discours de Jean-Luc Mélenchon et la note de l’Institut la Boétie sur l’immigration (le fait que le pays ne puisse pas se passer de la contribution des travailleurs immigrés qui s’y trouvent parce que ce sont eux qui maintiennent à flot les caisses sociales auxquelles ils contribuent, y compris lorsqu’ils n’ont pas de papier) s’éloignent des réalités statistiques en matière d’immigration ?

Michèle Tribalat : Une précision s’impose. Il me semble que personne ne demande à ce que l’on renvoie les 7 millions d’immigrés présents en France pour voir comment on pourrait se débrouiller sans eux. La demande est plutôt de ralentir le rythme d’arrivée des étrangers et de décider qui peut entrer sur le territoire. La hausse de l’immigration régulière et l’anarchie amenée par l’immigration illégale qui embolise le traitement des demandes d’asile, sans parler de l’aide sociale à l’enfance avec l’arrivée de mineurs non accompagnés, donnent le sentiment aux Français que l’État n’a aucune prise sur l’immigration étrangère. La tentation est donc grande d’expliquer en quoi tout ceci est formidable. Ce à quoi s’efforcent l’Institut La Boétie et M. Mélenchon. Ce dernier prétend qu’ « un Français sur quatre a dorénavant un grand-parent étranger » et que lorsqu’il était « minot » c’était un sur dix ! En fait, d’après l’Insee, en 2019-2020, un habitant de moins de 60 ans sur dix est « descendant d’immigré » de troisième génération, c’est-à-dire qu’il a un ou deux parents nés en France de parent(s) immigré(s). Sur trois générations, un tiers des habitants de moins de 60 ans sont d’origine étrangère. M. Mélenchon se fiche absolument des réalités statistiques.

Quels sont les éléments concrets qui permettent d’établir un contre argumentaire du discours de Jean-Luc Mélenchon sur l’immigration ?

Michèle Tribalat :M. Mélenchon part du constat du déclin démographique. Je suppose qu’il entend par là la chute de la fécondité, la perspective d’un accroissement naturel négatif et le vieillissement : « Nous ne pouvons pas construire une grande nation si nous sommes en déclin démographique ». Il soulève là un problème réel dont la solution serait le recours à l’immigration étrangère. C’est un problème qui touche l’UE et pour lequel la Commission incite fortement à recourir à l’immigration de travail notamment avec son projet « réservoir de talents ». Rares sont ceux qui cherchent les voies d’un redressement démographique endogène. C’est plus difficile et il n’est pas sûr qu’une politique familiale volontariste suffise. Comment réussir à responsabiliser les Européens pour qu’ils se préoccupent de leur destin collectif à l’échelle de leur nation ? Donc, sur ce terrain, M. Mélenchon joue sur du velours, réintroduisant malicieusement la question sociale : ceux qui ont les moyens s’en tireront toujours et « c’est nous qui allons être broyés » ! Mais c’est un raisonnement à courte vue. Très conscient du problème, le Conseil consultatif sur la migration des Pays-Bas a étudié ce qui pourrait être fait pour que la charge du vieillissement reste constante d’ici 2040. Accueillir 3 millions d’immigrés supplémentaires lui a semblé infaisable car ceux-ci pourraient devenir (avec leurs enfants) une charge, une fois le pic de la charge du vieillissement passé. Un allongement du temps de travail et un report du départ à la retraite lui ont paru plus appropriés. Par ailleurs, avec une fécondité basse, tout apport migratoire massif finit par reposer les mêmes problèmes quelques décennies plus tard. 

M. Mélenchon voit dans l’immigration une chose normale et naturelle : La France restera peuplée d’êtres humains et c’est très bien comme cela. Restera-t-elle la France et « une grande nation » après la créolisation qu’il appelle de ses vœux ?


Selon Sylvain Bourmeau, “il y a une fabrique de la question migratoire par le complexe médiatico-sondagier. L'immigration n'est pas une préoccupation des Français. C'est un déni de réalité”. En quoi ce constat est erroné ? Les instituts indépendants ou fiables comme l’Insee ne permettent-ils pas de voir la réalité de l’immigration en France et de son importance aux yeux des Français ?  La France, et même l’Europe sont-ils globalement très peu concernées par le phénomène migratoire mondial comme le pense la note de l’Institut La Boétie selon laquelle la cause principal, de l’immigration serait le réchauffement climatique ?

Jean-Paul Gourévitch : L’argument polémique et maintes fois rebattu du complexe médiatico-sondagier mérite peu qu’on s’y arrête. Si le peuple vote contre le gouvernement, c’est qu’il se trompe et comme aurait dit Bertold Brecht, « il faut dissoudre le peuple ». Et quand il ne pense pas comme ceux qui veulent son bien, il faut « le ramener à la raison ». C’est toute l’infirmité d’une pensée fossilisée qui, au mépris de toute réalité, s’arc-boute sur des idéologies respectables mais qui ont fait leur temps.

Que les medias surexploitent le sujet de l’immigration qui s’est invité en première ligne dans le débat politique et sur son rejet majoritaire par la population est une réalité qu’on ne peut nier. Ce serait justement l’honneur d’une pensée résolument « à gauche », de relever le défi. Ce n’est pas parce que l’immigration a un coût pour les finances publiques et les contribuables qu’elle doit être combattue ou niée. La Sécurité Sociale aussi est déficitaire. En revanche quand on peut faire des économies intelligentes et qui en même temps retissent du lien social, pourquoi s’en priver ? Le rapport parlementaire publié par Contribuables Associés en 2023 et diffusé auprès de tous les députés comporte une série de propositions concrètes et chiffrées. Je crains qu’au bout du compte il n’en reste rien.

Qu’on me permette ici une anecdote. Il y a quelques années Terra Nova m’avait demandé de produire une note pour leurs adhérents afin d’élaborer un discours « de gauche » sur le coût de l’immigration. Au final cette note « extrêmement documentée…et très riche » selon le think tank n’a « pas pu être diffusée » car elle laissait entendre que ses coûts seraient supérieurs à ses bénéfices. Et, pour se défendre, Terra Nova expliquait qu’ « un groupe de travail animé par le professeur d’économie El Mouhoub Mouloud », va produire un rapport sur ce même thème. 10 ans après on l’attend toujours.
En revanche l’Institut a raison de souligner les connexions entre climat et immigration. Nul ne peut dire aujourd’hui quel impact auront les bouleversements climatiques sur les flux migratoires à venir. C’est pourquoi aussi les projections à plusieurs dizaines d’années ne relèvent que du discours de futurologues dont on peut aujourd’hui constater qu’ils se sont presque toujours très largement trompés. 

Le sociologue, anthropologue et démographe français François Héran a estimé dans le cadre d’un débat sur Mediapart que si la France « devait accueillir selon nos capacités, il faudrait multiplier par trois ou quatre le nombre d’immigré(e)s ». En quoi ce constat est erroné au regard de la situation actuelle en France, du marché du travail et des chiffres sur le chômage ou des difficultés sur les métiers en tension ?

Michèle Tribalat :François Héran a décidé que nos capacités d’accueil dépendaient strictement du poids relatif de notre population ou de notre richesse (PIB par habitant) dans l’UE. C’est une vision très technocratique des choses. Cela implique que si nos voisins choisissent d’accueillir une grande quantité de migrants, pour des raisons qui leur appartiennent, nous devons faire pareil pour tenir notre rang et, comme il dit, « prendre notre part ». Lorsque Mme Merkel a incité les Syriens à s’installer en Allemagne lors de la crise migratoire de 2015-2016, nous aurions dû suivre au prorata de notre population ! C’est tout à fait déraisonnable. Lorsqu’en 2005-2009, notre proportion d’immigrés s’est accrue d’un taux moyen annuel de 1,95 % alors que celle de l’Allemagne n’augmentait que de 0,29 %, il n’est venu à l’idée de personne de dire que l’Allemagne ne prenait pas sa part ! C’est absolument ridicule. La démographie de l’Allemagne est dans une situation bien plus difficile que celle de la France. Les Suédois se mordent aujourd’hui les doigts d’avoir été si généreux pendant cette crise migratoire. 

François Héran nous dit que, pour prendre notre part, nous devrions « mutiplier par trois ou quatre le nombre d’immigrés qu’on accueille ». Prenons, comme mesure des entrées le nombre de premiers titres de séjour, encore provisoire (le chiffre définitf de janvier lui sera légèrement supérieur), délivrés en 2022 en France métropolitaine : 307 263. Pour « prendre notre part », le ministère de l’Intérieur aurait donc dû en délivrer entre 922 000 et 1,2 million pour la seule année 2022 ! Ce maniement approximatif des chiffres, qui est sa marque de fabrique, est désolant.


Selon François Héran, « le parti LR est dans la surenchère en permanence sur l'immigration. Éric Ciotti dénature les faits ». La réalité des chiffres en matière d’immigration donne-t-elle plutôt raison au parti Les Républicains ?

Michèle Tribalat :Je n’ai pas suivi les déclarations d’Eric Ciotti sur les chiffres mais je sais que le chiffre favori à droite est : « 500 000 entrées par an ». Une première remarque porte sur la manie de faire d’un chiffre une vérité générale comme si tous les ans, il entrait le même nombre d’étrangers. Une seconde remarque porte sur le chiffre « 500 000 ». François Héran est mal placé pour faire la leçon tant il s’est régulièrement trompé (voir mon site à ce sujet : https://micheletribalat.fr/439299792/44628189). C’est lui qui a lancé, dans une tribune du Monde du 27 avril 2020, les bricolages statistiques qu’il condamne aujourd’hui : « chaque année en France, 540 000 entrées environ relèvent de la migration, ce qui est très peu sur l’ensemble des 90 millions d’entrées provisoires ou durables : 0,6 % ». 

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