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Après le fiasco de com’ ayant plombé Astra Zeneca, l’Europe est-elle en train de reproduire le même scénario avec le vaccin Sputnik V ?
©FETHI BELAID / AFP

Ne rien apprendre, ne rien retenir...?

La présidente de l’Agence européenne des médicaments, Christa Wirthumer-Hoche, n’a pas mâché ses mots à propos du vaccin produit par la Russie Sputnik V

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : La présidente de l’Agence européenne des médicaments, Christa Wirthumer-Hoche, n’a pas mâché ses mots à propos du vaccin produit par la Russie Sputnik V. Dans une interview accordée à la chaîne de télévision autrichienne, elle a comparé des autorisations en urgence du vaccin à « la roulette russe ». Pourtant, peu après elle a souligné que les données secondaires concernant les personnes vaccinées avec ce dernier n’existaient pas. Un tel parallèle avec un jeu de hasard meurtrier n’est-il pas contre-productif auprès de l’opinion ? Cela se rapproche-t-il des campagnes de dénigrement du vaccin AstraZeneca au début de sa campagne ? 

Arnaud Benedetti : Depuis l’annonce par Vladimir Poutine du développement du vaccin Sputnik V, les Occidentaux, à commencer par les Européens, ont réagi idéologiquement et non pragmatiquement, y voyant d’abord un instrument de propagande. Que la volonté propagandiste ait accompagné les annonces du Kremlin ne fait que peu de doutes mais c’est une constante que les grandes puissances ont toujours vu la science comme un levier au service de leur prestige et de leur influence. Mais encore faut-il faire la part de la science de celle de la politique: la Russie est une grande nation scientifique qui du temps de l’URSS usait souvent de ce double ressort, à savoir faire de ses prouesses technologiques, nombreuses, un facteur de légitimation de l’efficience de son régime. Les premières ne confirment certainement pas la seconde, mais elles n’en demeurent pas moins potentiellement une réalité. Or les déclarations à l’emporte-pièce de la dirigeante de l’Agence européenne du médicament traduisent d’abord une lecture idéologique qui écartent d’emblée la fiabilité du vaccin russe ; c’est non seulement faire peu de cas de prudence de langage, mais c’est surtout extrêmement méprisant, activant les clichés qui tangentent avec ce qu’il faut bien appeler une certaine " russophobie ».

Plus généralement, les autorités sanitaires, en Europe et ailleurs, sont soumises à une triple pression : celle d’une science qui va de plus en plus vite sous l’effet de la pression sanitaire, mais dont le rythme de développement est déstabilisant pour les structures certificatrices ; celle d’opinions publiques qui peuvent douter de l’efficience vaccinale et qui sont perçues comme intraitables si des effets secondaires particulièrement graves en venaient à se multiplier ; celle d’un écosystème médiatique où la confusion des contenus qui circulent ne facilitent pas les conditions d’appropriation d’un débat serein. Ce contexte explique la ligne brisée de communication de la plupart des autorités européennes qui ont montré dans ce domaine qu’elles n’étaient pas forcément en capacité de gérer l’exceptionnalité des circonstances, au contraire des israéliens et des britanniques qui sur cette question vaccinale opèrent conformément à leur habitus historique : ils ne tremblent pas, s’avérant indéniablement des acteurs organisés et déterminés lorsqu’il s’agit d’affronter le " gros temps" . 

Atlantico :  Alors que l’intervention de Mme Christa Wirthumer-Hoche se voulait préventive, elle n’a pas pris en compte la sensibilité de l’opinion à propos de tout information négative sur les vaccins. L’Union européenne est-elle en train d’alimenter, elle-même,  la défiance qu’elle reproche à l’égard de ces produits ?

Arnaud Benedetti : Parce que nous baignons tout simplement dans la culture de l’hyper-précaution ! Et celle-ci est terriblement inhibitrice. Nous vivons une crise systémique de la confiance où la méfiance alimente la méfiance, la reproduit, et la densifie en boucle. La défiance de la société nourrit celle des décideurs qui en retour renforce le doute des opinions. Tout ceci paralyse l’action et la parole qui accompagne l’action : la communication de facto est impossible parce que l’action l’est devenue ou presque. Cette situation est quasi-entropique. Ce que la crise sanitaire a révélé dans les sociétés les plus complexes c’est qu’à force de vouloir maîtriser tous les risques nous avons fini par oublier que la prise de risques est au principe du progrès. À ce phénomène se rajoute que l’Union européenne est un émetteur désincarné, abîmé aussi dans de larges segments des opinions du vieux continent , peu démocratique dans son fonctionnement, soupçonnée d’être la proie d’oligarchies peu soucieuses des intérêts collectifs des peuples, et qui par ailleurs a plutôt mal géré l’achat groupé des vaccins. Ce faisceau de traits négatifs fragilise forcément la capacité communicante d’instances européennes malmenées à la fois par l’image générale qu’elles véhiculent, les doutes qui peuvent s’exprimer dans différents points du champ des opinions quant à la validité vaccinale et les dysfonctionnements dont elles ont été à l’origine dans la stratégie d’approvisionnement des doses. 

Atlantico : L’UE a d’abord pris ses précautions sur le vaccin AstraZeneca avant de l’autoriser et de le défendre, parfois bec et ongles, et fait maintenant face au doute causés par quelques rares décès. Cette errance communicationnelle risque-t-elle de se reproduire avec Sputnik ?

Arnaud Benedetti : La communication n’est pas forcément fautive . Elle reflète l’indécision, elle sursouligne cette dernière. Elle confirme qu’il n’existe pas d’autonomie entre le registre de la décision et celui de la communication. L’UE par ailleurs ne peut être tenue seule responsable de l’installation d’un doute quant à Astra Zeneca puisque plusieurs pays ( Danemark, Bulgarie, Islande entre autres ), à titre préventif , ont pris l’initiative de suspendre son administration, le temps que soit élucidé les causes de certains effets secondaires, voire de décès. Pour ce qui concerne le Sputnik V, il ne faudrait pas, d’évidence, que des préjugés politiques alourdissent le process d’homologation. Mais cela semble déjà en quelque sorte le cas. Ce sera une autre leçon de cette crise : il y aura eu une accélération de la politisation des débats et des enjeux scientifiques. 

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