Après le crash Germanwings, le casse-tête de la prévention des maladies mentales dans les métiers à fortes responsabilités<!-- --> | Atlantico.fr
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L'état dépressif du copilote de la Germanwings a précipité son avion contre une montagne.
L'état dépressif du copilote de la Germanwings  a précipité son avion contre une montagne.
©Reuters

A double tranchant

L'état dépressif du copilote de la Germanwings qui a précipité son avion contre une montagne a fait naître bien des débats sur la nécessité ou non de mieux contrôler les personnes qui ont sous leur responsabilité des vies humaines. Un questionnement légitime, mais qui peut paradoxalement comporter des risques.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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L’émotion soulevée par le crash de l’A 380 de Germanwings pousse le grand public à réclamer des mesures de protection pour que de tels accidents ne se renouvellent plus. Toutes les garanties avaient-elles été prises ? L’enquête en jugera. S’il s’avère qu’elles avaient été bien prises, peut-on convenir des procédures qui à l’avenir, préserveront de tels risques ? Ne devrait-on pas trouver le moyen de déceler toute  défaillance psychologique ou psychiatrique, actuelle ou potentielle, chez un pilote et le mettre à l’écart en respectant un principe de précaution ? Plus largement, tous ceux qui ont de grandes responsabilités et dont les écarts peuvent engager la vie des autres ne devraient-ils pas être soumis à un examen soigneux  de leur équilibre mental ?

L’horreur de ce pilote suicidaire entraînant dans sa mort 149 passagers avec une rare et froide détermination donne le vertige. D’autant que les medias ne se privent pas de nous en rapporter tous les détails. Quel effroyable choc !  Ainsi,  sans le savoir, nous côtoyons des fous qui peuvent nous tuer ? Nous nous pensions à l’abri de tout, en sécurité dans un monde qui a maîtrisé les aléas de la nature et dont les prouesses techniques nous rassurent : et pourtant, dans ce monde où tout est calculé, où les seules menaces sont d’ordre économique, il existerait donc des bugs humains qui peuvent mettre nos jours en danger ?

Hélas, par définition, l’homme n’est pas un ordinateur. La complexité de son système cognitif l’éloigne déjà d’un supercalculateur ; il y règne une marge d’erreur qui le rend moins performant mais plus adaptable et plus inventif. S’y ajoute  que ce système est  animé non pas par une énergie clairement définie comme le courant alternatif, mais par des forces émotionnelles et affectives : pas de doute, pour se protéger du bug humain, il faudra se séparer de l’homme…

Cela ne veut pas dire que des garanties supplémentaires ne devraient pas être prises.

Pour un psychiatre constamment confronté à des patients dépressifs, cet épouvantable accident est une occasion de rappeler ce qu’est la maladie dépressive. Une maladie que tout le monde croit connaître, mais où chacun s’aveugle dans ses préjugés. On la confond volontiers avec un état psychologique alors qu’elle est un véritable bouleversement intérieur, une expérience d’effondrement moral extrêmement douloureuse et difficile à décrire tant elle s’éloigne de nos humeurs ordinaires.  Malgré les efforts d’information, peu la comprennent et en mesurent la gravité - une gravité qui peut être mortelle.

Pour mesurer combien le mal est pris à la légère, regardons le nombre de titres de journaux condamnant les traitements antidépresseurs – traitements qui ont pourtant sauvé depuis leur apparition dans les années 50 d’innombrables patients en grande dépression. Régulièrement fleurissent des remèdes-miracles  de tous ordres qui sont sans effet sur une crise authentique mais dont on nous dit qu’ils permettent d’abandonner ces abominables médicaments qui « ruinent le cerveau ». Cette ignorance du mal est hélas partagée par bon nombre de médecins qui n’hésitent pas à conseiller à un patient de stopper son traitement, ou à l’interrompre sans demander l’avis du psychiatre.

Suis-je en train de m’éloigner du sujet ? Moins qu’il semble. Il est probable qu’une meilleure conscience du mal par le grand public et surtout par le corps médical limiteront les risques encourus par les conséquences d’une dépression ignorée ou mal traitée.

Tout risque peut-il être évité ? Certainement non. La dépression est une maladie mais elle est tout autant et sans doute plus qu’une autre une maladie imprévisible. Quand elle est présente, elle n’est pas toujours facile à détecter chez des patients qui peuvent donner le change ; pour la même raison, il n’est pas toujours simple d’en apprécier la sévérité.  Quand elle est absente, il n’est pas aisé de mesurer le risque qu’elle se produise.

Des questionnaires ont été mis au point. Ils peuvent prédire les risques de récidive à partir de l’historique, ou apprécier la gravité des symptômes quand le mal est là. Mais rien ne permet de juger de la sincérité des réponses.

Il est sans doute possible d’améliorer encore les procédures de recrutement et de suivi  des individus à haute responsabilité, mais méfions-nous de ne pas tomber dans une sorte de totalitarisme sécuritaire qui serait contre-productif. Qu’on me permette de prendre un exemple personnel. J’ai eu l’occasion de traiter quelques pilotes de ligne avec succès et je ne pense pas que j’aurais craint de monter dans leur avion malgré le traitement que je leur prescrivais. Outre les remèdes, une des clés de ce succès a certainement été la confiance qu’ils me faisaient et qui me permettait d’évaluer avec précision leur état. Qu’en aurait-il été de cette confiance s’ils avaient su que leurs confidences  pouvaient mettre en péril leur avenir de pilote ? Je n’aurais sans doute pas pu les soigner aussi efficacement. Peut-être même ne les aurais-je jamais vus. Attention donc à ne pas multiplier des mesures qui n’auront comme seul effet  que d’empêcher des personnes en souffrance de chercher de l’aide, en les rendant ainsi plus dangereuses pour la collectivité.

S’il fallait de plus étendre ces mesures à tous les individus hautement responsables, le pire serait à craindre. Il est bien connu que le Général de Gaulle a connu des périodes dépressives. Selon certains, il était même bipolaire. Qui sait si des méthodes de recrutement très vigilantes incluant des questionnaires fouillés sur les troubles de l’humeur lui auraient laissé la possibilité d’être admis à l’Ecole de Guerre ? Ne parlons pas de Winston Churchill qui aurait été refusé pour toute prétention à un poste de responsabilité.

Il serait donc illusoire et dangereux de vouloir construire un monde d’où serait banni toute défaillance humaine. Les progrès dans la connaissance de l’humain peuvent atténuer les risques, mais les supprimer en aucun cas. Dans le cas de cet accident affreux, il est utile de rappeler un fait que la médiatisation à outrance finirait par faire oublier : le caractère exceptionnel de la situation. Peu de déprimés sont suicidaires, peu de suicidaires passent à l’acte, et ceux qui sont des pilotes agissant en plein vol sont nécessairement rarissimes. L’avion sera pendant longtemps encore le mode de transport le plus sûr. Sans doute sera-t-on à l’avenir encore plus attentif à l’état de la santé mentale des pilotes et ce sera positif.

Mais arrivera-t-on à bannir tous les actes de folie qui représentent une menace pour nous autres les « normaux » ? J’en doute. D’ailleurs, plutôt que vouloir à tout prix « normer » l’homme et le rendre inoffensif, ne doit-on pas, pour garantir davantage de sécurité, se retourner vers la technique ? A propos d’un accident comme celui-là, ne peut-on imaginer, par exemple, un système de pilotage intelligent qui reprendrait la main au pilote lorsque celui-ci s’éloigne de façon incompréhensible du plan de vol ? Est-ce possible ou impossible ? Et pourquoi ce point n’a-t-il pas fait l’objet de débats ?

Faut-il y voir, encore, un effet du sensationnalisme dont sont friands les médias ? La folie d’un homme frappe davantage la curiosité publique qu’un débat technique…

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