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Après l’annonce de la mort d’Hamza Ben Laden, de hauts responsables d’Al-Qaida réapparaissent
©Handout. AFP

Succession

La mort d’Hamza Ben Laden, un des fils du chef historique d’Al-Qaida, a été annoncée cet été (bien qu’elle puisse remonter à plusieurs mois voire à deux ans). Il était présenté comme le successeur possible d’Ayman al-Zawahiri, l’émir d’Al-Qaida "canal historique".

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Dans un précédent article, j'avais souligné qu'Hamza Ben Laden n’avait pas les épaules assez larges pour cette tâche. Il était surtout utilisé par la nébuleuse comme symbole pour attirer de nouvelles recrues, particulièrement parmi la jeunesse. Accessoirement, Zawahiri, âgé de 67 ans, n’avait absolument pas l’intention d’abandonner son poste pour bénéficier d’une retraite méritée, mais un "accident" est toujours possible…

Comme par hasard, Saif al-Adel, l’homme qui pourrait vraiment prendre la succession de Zawahiri (dont il fut l'un des premiers adeptes au sein des Frères musulmans) au cas ou ce dernier serait "empêché", est réapparu à la mi-août à travers une déclaration écrite diffusée via l’application telegram. Cet ancien officier des forces spéciales égyptiennes qui a rejoint Al-Qaida dans les années 1990 évoque dans ce message la situation actuelle en Syrie et en particulier celle qui prévaut dans la province d’Idlib située au nord-ouest du pays. Il déclare notamment : "la bataille en Syrie est claire pour toute personne qui a de l’expérience" et Dieu sait si, lui, il en a une solide. Prenant acte des divisions qui existent entre les différents groupes rebelles, il exprime des doutes quant à la possibilité pour les moudjahiddines d’unir leurs efforts. Pour lui, le but des ennemis des djihadistes est d’exterminer toute organisation qui œuvre pour faire revenir à l’islam des origines. Cette position est loin de constituer un scoop puisque il s'agit de l'idéologie de base de tous les salafistes-djihadistes qu’ils dépendent d’Al-Qaida, de Daech ou d’autres mouvements. Al-Adel les appelle à adopter une nouvelle stratégie destinée à s’opposer aux "conspirations" de l’ennemi. Il désigne la Turquie et les factions avec lesquelles elle aurait secrètement fait alliance via ses services secrets, le MIT, ce qui est parfaitement exact. Pour bien comprendre la situation, il suffit de regarder où se trouve la province d'Idlib sur une carte: elle est adossée à la Turquie. Le seul moyen de subvenir aux besoins des combattants, de leurs familles et des populations locales (ce qui fait environ 2,5 millions de personnes), c'est de faire venir le ravitaillement par la Turquie ce qui ne peut pas se faire sans l'aval d'Ankara.   

Bien que l’on ne se sache pas quand cette déclaration a été rédigée, Saif al-Adel cite l’engagement de la Turquie aux côtés de nombre de parties dont le Hayat Tahrir al-Cham (HTC, mouvement salafiste-djihadiste fondé en 2017) dirigé par Abou Mohamed al-Joulani et le Front National de Libération (FNL, mouvement salafiste-nationaliste issu de l'Armée Syrienne Libre (ASL) de Fadl Allah al-Hajji. Selon le Long War Journal, Al-Adel va dans le même sens qu’al-Zawahiri qui avait accusé les moudjahiddines de "s’imaginer les détenteurs d’une autorité" sur des territoires placés sous la domination militaire de la "Turquie séculaire" !

Des homme bien mystérieux

Saif al-Adel qui s’adresse presque jamais au public est difficile à cerner même s’il a fait quelques déclarations sur la situation en Syrie. Toutefois, il faut se souvenir qu’il avait été pressenti pour prendre la succession de Ben Laden après la mort de ce dernier en 2011. Al-Zawahiri l'avait coiffé sur le fil !

À la mi 2018, le Conseil de sécurité des Nations Unies pensait l’avoir localisé, lui et son compatriote Abdullah Ahmed Abdullah alias Abou Mohammed al-Masri, un autre poids lourd de la nébuleuse, séjournant en Iran. Réfugiés dans ce pays depuis l’invasion de l’Afghanistan par la coalition internationale à la fin 2001, ils avaient été placés en résidence surveillée. Définitivement libérés en 2015 après un échange de prisonniers, il semble qu’ils aient souhaité rester en Iran pour des raisons de sécurité personnelle (jusqu’à maintenant, Washington n’a pas effectué de frappes ciblées en Iran mais il est logique de penser que ces deux figures d’Al-Qaida font partie de la kill list de la CIA). Ces deux terroristes sont recherchés depuis les attentats ayant eu lieu contre les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et Dar-es-Salam (Tanzanie) le 7 août 1998. Vingt ans plus tard, le Département d’État américain a fait passer la récompense pesant sur leur tête de 5 à 10 millions de dollars. Selon les Américains, même depuis leur refuge iranien, ils sont en mesure d’influencer la situation en Syrie particulièrement en s’opposant à Abou Mohamed al-Joulani qui a officiellement rompu avec Al-Qaida en juillet 2016 alors qu’il dirigeait encore le Front al-Nosra. Ils auraient tenté de soutenir des groupes formés d’activistes qui refusaient cette fin d’allégeance et de se placer sous la tutelle du HTC.

Un autre membre historique d’Al-Qaida, Abou Abdullah al-Chami, mais qui a choisi de rejoindre le HTC, a affirmé que ses deux anciens compagnons de combat n’avaient aucune légitimité pour condamner Joulani car ils étaient détenus en "territoire ennemi" (en Iran). Abou al-Qassam alias Khalid al-Aruri, un ancien disciple d’Abou Moussab al-Zarqaoui (ce qui lui donne une certaine légitimité) qui est l’émir du Hurras al-Din (HAD - les gardiens de la religion - fondé en 2018 pour s’opposer au HTC), a rejeté l’argumentation d’al-Chami expliquant qu’ils étaient libres de leurs mouvements étant juste interdits de sortie de territoire. Personne ne sait si ce sont les autorités iraniennes qui les empêchent de quitter le pays ou, comme cela a été expliqué plus avant, s’ils y restent pour leur propre sécurité.

Mais au début 2019, grâce à la médiation d’Abou Abd al-Karim al-Masri, un membre de la Choura (organe de direction) d’Al-Qaida, le HAD s’est rapproché du HTC pour recentrer le combat contre les forces légalistes syriennes. Il convient de remarquer que les Américains effectuent très peu de frappes air-sol dans la province d'Idlib (laissant cela aux Russes et aux forces gouvernementales syriennes). Toutefois, ils ont tenté à plusieurs reprises de neutraliser ce haut membre d'Al-Qaida. Il est légitime de se demander pourquoi les US visent exclusivement le HAD mais pas le HTC ? Il est vraisemblablement trop simpliste d'imaginer que Washington ne veut pas diminuer le HTC qui serait devenu un proxy turc au moment où les relations avec Ankara sont  pour le moins délicates.  

Le dessous des cartes de Téhéran et d’Ankara

Comme d’habitude, il est difficile de savoir quel rôle jouent certains protagonistes extérieurs comme Téhéran et Ankara. Ce n’est pas un mystère que de nombreux membres d’Al-Qaida - dont des membres de la famille de Ben Laden - ont trouvé refuge en Iran en 2001-2002.

Les pasdaran qui les avaient en charge les ont utilisés dans un premier temps pour limiter les exactions qu’auraient pu commettre les activistes de la nébuleuse à l’égard des communautés chiites que les salafistes-djihadistes considèrent comme des "apostats" (traîtres à l’islam). Cette politique a été battue en brèche par Abou Moussab al-Zarqaoui alors qu'il était le représentant d’Al-Qaida en Irak de 2003 jusqu’à sa mort en 2006. Il haïssait profondément les chiites, pas uniquement pour des raisons idéologico-religieuses, mais aussi parce qu’il aurait été recruté comme agent par les services secrets iraniens alors qu’il effectuait un second séjour en Afghanistan (1999-2001). À noter qu’il est lui aussi passé par la case "Iran" en 2001 avant d'être autorisé, fort curieusement, à quitter le pays (alors que les autres membres d'Al-Qaida avaient été placés en détention) pour voyager entre la Syrie, la Jordanie. Dans ce dernier pays, il aurait organisé l’assassinat le 28 octobre 2002 du diplomate US Lawrence Folley (on peut soupçonner là la main de Téhéran) avant de rejoindre l’Irak en 2003. Ses successeurs qui se sont reconnus au final dans Daech ont poursuivi la politique meurtrière qu'il avait initié en 2003 contre les populations chiites irakiennes.

Par contre, on ne sait pas comment Téhéran a pu utiliser la "branche" iranienne d’Al-Qaida, les Américains et les Israéliens affirmant qu’elle est très active au moins sur les plans logistique et financier.

Dans le cas de la province d’Idlib, la Turquie s’appuie à l’évidence sur des groupes rebelles qui lui sont favorables mais vraisemblablement aussi du le HTC rentré en grâce puis son émir réfute officiellement tout lien avec Al-Qaida (à voir…). Une "paix des braves" (que Téhéran aurait bien aimé torpiller via sa branche iranienne d’Al-Qaida afin d'aider indirectement son allié syrien) a été négociée avec le HAD, représentation officielle de la nébuleuse à Idlib. À n’en pas douter, la Turquie se satisfait de cet accord qui, l’espère t’elle, devrait lui permettre de contrôler cette province par l’intermédiaire de proxies. Cela entre dans son projet de zone de sécurité qui devrait être établie après accord négocié avec Washington tout le long de la frontière syrienne contre ... les Kurdes!

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