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Amazon ou Microsoft : qui fournira à l’armée américaine son premier “cloud de guerre” (et qui en gagnera quoi ?)
©SAUL LOEB / AFP

Guerre 2.0

Depuis que le Pentagone a exprimé le souhait de construire un système informatique nommé "cloud de guerre" pour son armée, Amazon et Microsoft se disputent le projet à hauteur d'une dizaine de milliards de dollars.

André Loesekrug-Pietri

André Loesekrug-Pietri

André Loesekrug-Pietri est un ancien conseiller spécial de la ministre des Armées, Speaker de la Joint European Disruptive Initiative (JEDI), initiative européenne majeure en faveur de l’innovation de rupture, sur le modèle de la Darpa, et regroupant l’écosystème technologique dans 15 pays européens @eurojedi

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Atlantico : Quels sont les enjeux géopolitiques et technologiques que soulève le projet informatique de l'armée américaine, formellement appelé "plan d'infrastructure de défense d'entreprise commune" ?

André Loesekrug-Pietri : Le Joint Enterprise Defence Infrastructure (JEDI) peut potentiellement représenter un saut immense, car il va tout d’abord permettre d’harmoniser les centaines de systèmes informatiques propriétaires au sein du Département de la Défense (DoD). Il pourrait surtout mutualiser les données disponibles dans tout le ministère et au sein de toutes les forces armées américaines, faisant ainsi entrer le DoD dans l’ère de l’intelligence artificielle – gourmande en données : clé pour la compréhension de systèmes et d’un monde toujours plus complexe, où la réactivité et l’anticipation sont décisives, ou les nouvelles technologies changent les rapports de force.

Quels dangers internationaux représente l'obtention d'un "cloud de guerre" par les États-Unis ?

Le Cloud de Guerre pourrait avoir la même importance que les trois « Offset strategies » passées - stratégies des États-Unis pour compenser la montée en puissance de nouvelles menaces : le nucléaire dans les années 60, la furtivité fin des années 70 et plus récemment le déni d’accès, le combat collaboratif et les drones depuis 2014. Il pourrait en effet redonner une immense agilité et une capacité d’anticipation exceptionnelle à l’Armée américaine, en capitalisant sur les données qu’elle possède dans d’innombrables systèmes différents.

Ce sera évidemment à la fois une vulnérabilité supplémentaire – mais déjà existante au vu de la dépendance aux systèmes informatiques – mais aussi une extraordinaire force de frappe pour avoir un coup d’avance – décisif dans un monde ultra connecté où une seconde peut faire la différence à l’ère des armes hypersoniques – et ou les combats sont de plus en plus hybrides – notamment dans la sphère cyber comme on a pu le voir notamment dans les confrontations (ancienne déjà) en Israël et l’Iran ou beaucoup plus récemment dans le Golfe.

Pour les alliés des États-Unis qui ne sont actuellement qu’en phase d’ajustement avec la Third Offset strategy – stratégie spatiale, drone MALE, chasseur de 5eme génération, combat collaboratif, cela va accroire la pression pour accélérer encore leur capacité d’innovation – sachant qu’ils sont déjà, technologiquement et pour la plupart d’entre eux, largement en retard ou dépendants.

Nous voyons peut-être sous nos yeux démarrer la 4eme Offset strategy – celle ou l’Intelligence Artificielle et la connectivité généralisée (au travers des réseaux 5G et de l’internet des objets) va permettre au Pentagone de reprendre un coup d’avance sur les nouvelles menaces (entités non étatiques, Etats voyoux) ou les puissances montantes comme la Chine.

Considéré comme le favori du Pentagone, Amazon a vu sa candidature entachée par les plaintes d'Oracle et IBM, candidats à la construction du cloud, dénonçant la proximité entre le gouvernement et Jeff Bezos. Quelles conséquences aura cette compétition entre les géants technologiques sur la relation qu'ils entretiennent avec le gouvernement et l'opinion ?

Le problème, soulevé notamment par Oracle, vient pour eux essentiellement d’un transfuge du département de la défense qui a rejoint Amazon, plus que de Jeff Bezos qui a lui une relation plutôt fraiche avec l’Administration américaine et notamment le Président Donald Trump, notamment depuis qu’il a racheté le Washington Post.

Une conséquence surprenante s’est manifestée ces derniers mois sur des contrats militaires, ou un nombre croissant d’équipes des BigTechs ont refusé de collaborer du fait d’applications potentiellement létales. Ainsi un groupe d’ingénieurs de Google connu comme le Group of Nine a refusé de travailler sur une application a usage potentiellement militaire – dans le cloud justement. En parallèle Google a été obligé d’arrêter un juteux contrat avec le DoD appelé Project Maven du fait d’oppositions interne. On peut donc s’attendre à ce que les contrats militaires, souvent prestigieux mais pas forcément très lucratifs, deviennent plus difficiles à vendre auprès de talents internes de plus en plus sensibles aux questions sociétales, environnementales, éthiques.

Une autre conséquence est évidemment l’apparition des BigTechs comme des fournisseurs majeurs du Pentagone, aux cotes des Primes classiques (grands prestataires) que sont Boeing, Raytheon, Honeywell ou Lockheed Martin. Phénomène similaire à celui que l’on voit dans l’automobile ou dans la santé – soulignant l’entrée de plein pied du militaire dans l’ère de la Data. Cela ne fera que renforcer la concurrence mais aussi la pression sur le recrutement des meilleurs talents, à la fois aux États-Unis mais aussi en Europe et dans le monde.

Les responsables militaires espèrent pouvoir entamer bientôt un partenariat commercial d’une durée de dix ans, qu’ils qualifient de vital pour la sécurité nationale. A qui profite le plus ce partenariat entre le Pentagone et un géant technologique ? Que gagnerait un "big tech" à faire affaire avec le Pentagone ?

Ce contrat est unique à la fois dans son montant (10 milliards de Dollars sur 10 ans) et surtout par la crédibilité qu’il apporte, notamment en termes de sécurité des données qui est aujourd’hui un critère essentiel dans le choix du cloud. Une référence du DoD est unique et sera porteuse pour le gagnant du contrat de beaucoup d’autre opportunités à la fois pour les contrats gouvernementaux futurs et ceux d’entreprises soucieuses de l’intégrité et de la sécurité de leurs données. C’est-à-dire de plus en plus d’entreprises…

Bien exécuté, ce partenariat pourrait faire entrer le département de la défense et les forces armées américaines dans une autre ère, et renforcer, en plus de leur force de frappe numérique, technologique et financière, leur agilité et leur capacité à anticiper.

Du côté des BigTech, la complexité du contrat et de la mission associée va permettre de tester à une échelle rarement vue auparavant, une mutualisation de données exceptionnelle – et potentiellement un « terrain de jeu » exceptionnel en termes d’expérimentation de nouveaux produits, d’algorithmes, de solutions. Et cela représentera certainement un puissant levier collaboratif au sein d’armées ou les enjeux, les engagements et les risques sont de plus en plus mutualisées, et où la nécessité de réduire les silos devient chaque jour plus ardente.

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