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Alerte santé en vue ? Ces champignons qui résistent désormais aux traitements antifongiques
©FREDERICK FLORIN / AFP

Superfungus !

Une étude britannique tire la sonnette d'alarme : les champignons s'adapte de mieux en mieux aux antifongiques !

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : De la même manière que certaines bactéries deviendraient résistantes aux antibiotiques, certains champignons pourraient devenir incurables. Selon des recherches menées par le Collège de Londres et l'Université d'Exeter, des précautions devraient être prises quant à la surutilisation des traitements antifongiques dans les domaines agricoles et médicaux, ceux-ci tendant à perdre en efficacité. Quelle est la réalité de la situation à ce jour ?

Stéphane Gayet : Il s’agit ici de champignons microscopiques (CM) qui se développent à la manière des bactéries, mais appartiennent contrairement à elles au règne végétal. Comme elles, ils forment des colonies, d’abord microscopiques ou micro colonies, qui deviennent ensuite visibles dans certaines conditions. Au sein de cet ensemble hétérogène des CM, on trouve les levures (par exemple, les candida) et les moisissures (par exemple, les aspergillus). Les CM sont omniprésents. Ils peuvent être nuisibles en agriculture et se montrer pathogènes en médecine humaine et vétérinaire.

Les substances actives contre les champignons ou fungi sont appelées antifongiques, à l’instar des substances antibiotiques actives contre les bactéries. Les antifongiques sont utilisés en agriculture, ainsi qu’en médecine humaine et vétérinaire. Tout comme les bactéries qui développent de plus en plus de résistances aux antibiotiques, les CM deviennent également résistants aux antifongiques. Comme avec les antibiotiques, c’est bien sûr l’utilisation intense des antifongiques qui fait apparaître les résistances des CM. Mais, à la grande différence des résistances aux antibiotiques, on entend peu parler en médecine humaine de la résistance aux antifongiques. Pourquoi ? C’est lié au fait que les infections fongiques ou mycoses sont beaucoup moins fréquentes et préoccupantes que les infections bactériennes en pathologie humaine.

En pathologie humaine : d’un côté, il y a les mycoses superficielles ou dermatologiques qui sont bénignes et touchent les ongles, la peau pileuse, la peau glabre (c’est-à-dire en dehors des poils et cheveux) et les muqueuses des orifices ; de l’autre côté, il y a les mycoses profondes ou systémiques (généralisées) qui sont souvent graves et touchent les poumons, les os, le système nerveux… mais sont très peu fréquentes, étant donné qu’elles ne frappent que les individus sévèrement immunodéprimés (sidéens, sujets atteints d’une forme grave de cancer solide, d’une leucémie ou d’un déficit immunitaire d’autre origine). Aujourd’hui, l’incidence (nombre de nouveaux cas chaque année) des mycoses systémiques augmente et la résistance aux antifongiques devient vraiment préoccupante, mais à moindre degré que la résistance aux antibiotiques. Il est utile de préciser que les antifongiques à usage systémique ont souvent une toxicité nettement supérieure à celle des antibiotiques habituels. Ils sont également particulièrement coûteux.

L’utilisation des antifongiques en agriculture est liée aux dégâts provoqués par les attaques des cultures par divers CM. En fonction de leurs caractéristiques biologiques, ces CM infectent l’un ou l’autre des organes de la plante (racines, tiges, feuilles, fruits) et ces infections peuvent survenir à tous les stades de la culture. Les conséquences de ces maladies sont loin d’être négligeables. Elles entraînent des dégâts divers qui ont toujours des répercussions économiques (depuis la tache sur les fruits qui entraînera un déclassement du produit à vente, jusqu’à de sérieuses pertes de rendement). La lutte contre ces CM en agriculture passe d’abord par des méthodes préventives (choix de variétés végétales peu sensibles aux maladies, limitation de la contamination primaire par des méthodes d’asepsie) et par une surveillance des cultures potentiellement contaminées. Mais cette lutte contre les CM doit le plus souvent être complétée par l’utilisation de produits antifongiques. Or, cette utilisation est aujourd’hui intense, d’où l’apparition de résistances.

Le niveau de résistance des CM aux antifongiques en agriculture peut être très élevé (exemple du mildiou de la vigne vis-à-vis des strobilurines) ou relativement faible (exemple de certaines souches de septoriose du blé vis-à-vis des triazoles). Une surveillance de ces phénomènes est programmée annuellement par la DGAL (Direction générale de l’alimentation au ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche) et mise en œuvre par l’Anses-Lyon (ou, pour certains thèmes, déléguée à des unités spécialisées de l’INRA). Ces plans de surveillance répondent à la nécessité de contrôler le maintien de l’efficacité des antifongiques autorisés, mais aussi à celle de limiter la dispersion dans l’environnement de ces produits antifongiques. Ce dernier point est en complète adéquation avec le plan Ecophyto 2018 du ministère, qui vise une réduction de 50 % de ces produits en agriculture à l’horizon 2018. Cette surveillance peut déboucher sur des conseils concernant les stratégies de traitement émanant de groupes de travail spécifiques, ou sur la réduction du nombre d’applications autorisées sur la culture des produits en cause, ou bien encore sur le retrait de leur autorisation. Actuellement, ces actions de surveillance prennent de plus en plus d’importance du fait d’une progression des phénomènes de résistance.

La résistance des CM aux antifongiques en médecine humaine constatée au cours de ces dernières années concerne principalement celle d’Aspergillus fumigatus aux azolés et celle des levures du genre Candida au fluconazole et plus récemment aux échinocandines. Cette résistance est un problème indéniable, mais elle est bien loin d’atteindre le niveau de préoccupation qui est celui de la résistance des bactéries aux antibiotiques. En médecine vétérinaire, la résistance aux antifongiques est régulièrement évoquée en cas d’échec thérapeutique, mais en réalité les preuves d’une réelle résistance microbiologique en pratique vétérinaire ne sont que rarement apportées.

Quels sont les antifongiques les plus utilisés dans le domaine médical et agricole, et qui pourraient avoir des conséquences importantes du point de vue de la santé publique ? Quelles sont les maladies qui pourraient se développer dans de tels cas ?

En médecine humaine, la liste des antifongiques est assez longue et diversifiée. Il existe quatre classes principales d’antifongiques à usage systémique : les polyènes (amphotéricine B, nystatine) ; les azolés (fluconazole, itraconazole, voriconazole, posaconazole) ; la 5-fluorocytosine (5-FC) ; les échinocandines (caspofungine, micafungine et anidulafungine) qui sont toutefois inefficaces sur les cryptocoques. Certaines molécules (amphotéricine B, flucytosine, fluconazole, terbinafine) sont parfois utilisées chez l’animal et en dehors de leur autorisation de mise sur le marché vétérinaire (AMM vétérinaire). Car, en médecine vétérinaire, pour lutter contre les mycoses, on dispose d’un arsenal thérapeutique plus réduit qu’en médecine humaine. Les antifongiques disposant d’une AMM vétérinaire en France appartiennent pour la plupart à la famille des azolés : dérivés de benzimidazoles (kétoconazole, parconazole, miconazole et énilconazole) ou triazolés (itraconazole et posaconazole). Les autres antifongiques d’usage vétérinaire sont la griséofulvine (dont le spectre d’activité est restreint aux mycoses cutanées) et la nystatine.

Les filières avicoles représentent une part croissante de l’activité agricole dans la plupart des pays. Or, les conditions d’incubation et d’éclosion des œufs, puis d’élevage des oiseaux favorisent l’émergence de mycoses digestives (en particulier la candidose chez la pintade) ou respiratoires (en particulier l’aspergillose chez la dinde). L’impact des mycoses aviaires sur les performances de production est tel que des mesures spécifiques de lutte ont été mises en place. Ces mesures incluent l’utilisation d’antifongiques azolés : énilconazole pour le traitement des couvoirs, mais aussi pour le traitement par voie respiratoire de l’aspergillose de la dinde (hors AMM) et parconazole pour la prophylaxie orale de la candidose digestive de la pintade (AMM). Sur le plan de la résistance, des souches d’Aspergillus fumigatus de sensibilité diminuée vis-à-vis de l’itraconazole circulent dans les élevages aviaires en France et Chine, mais ce n’est pas encore trop préoccupant.

De nombreux antifongiques sont utilisés dans l’environnement pour prévenir l’apparition de maladies fongiques, pour faciliter la conservation du bois, des semences agricoles ou des denrées (en particulier les fruits). Les antifongiques agricoles appartiennent très majoritairement au groupe des azolés. Entre 1976 et 2004, ce sont 25 molécules azolées différentes qui ont été commercialisées en France. Avec les herbicides, les antifongiques représentent les pesticides les plus fréquemment et les plus massivement utilisés dans les cultures en Europe.

Existe-t-il des alternatives permettant de se protéger contre une telle résistance des champignons ?

Se protéger contre la résistance des champignons microscopiques (CM) aux antifongiques, c’est essayer de s’en passer le plus possible, donc de faire appel à d’autres moyens de lutte.

À l’heure actuelle, nous ne disposons d’aucun vaccin vis-à-vis des CM. C’est l’occasion de préciser que la vaccinothérapie est d’autant plus envisageable que l’agent infectieux est simple. C’est pourquoi la prévention vaccinale est une protection essentielle contre les virus (rougeole, rubéole, oreillons, grippe, varicelle, zona, hépatite B, rage, papillomavirus, fièvre jaune, encéphalite virale, virus Ébola, etc.), alors qu’elle est déjà moins performante d’une façon générale contre les bactéries (exception faite des anatoxines : diphtérie et tétanos, pour lesquelles le vaccin est dirigé non pas contre la bactérie, mais contre sa toxine). Or, les CM sont des Eucaryotes, donc des êtres microscopiques sensiblement plus complexes que les bactéries (Procaryotes). Les parasites sont encore moins accessibles à la vaccination pour cette raison.

Les mesures d’asepsie sont des mesures universelles. Elles consistent à travailler proprement, c’est-à-dire en évitant au maximum les contaminations (rappelons que les CM sont omniprésents). Elles sont complétées par des mesures de désinfection, car beaucoup de désinfectants ont une action fongicide. Mais les CM sont dans l’ensemble plus résistants physiquement et chimiquement que les bactéries, en dehors du cas exceptionnel constitué par les spores bactériennes. Cette résistance physique et chimique concerne tant les désinfectants que les procédés physiques dont la chaleur.

En médecine humaine, le risque essentiel concerne l’apparition de souches de CM résistantes aux antifongiques systémiques qui sont utilisés pour traiter les formes graves de mycose profonde chez les immunodéprimés. On peut agir en protégeant ces personnes contre les contaminations par des CM (asepsie) et en renforçant leur immunité. Mais lorsqu’une mycose systémique se développe chez un tel sujet, il n’y a pas d’alternative quand la souche de CM est devenue résistante aux produits disponibles. C’est une impasse thérapeutique dramatique.

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