Alain Finkielkraut : le sang des bêtes<!-- --> | Atlantico.fr
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Alain Finkielkraut, de l'Académie française.
Alain Finkielkraut, de l'Académie française.
©Eric Feferberg / AFP

Atlantico Litterati

Les sondages l’indiquent : tous partis et avis confondus, les Français exigent le respect du bien- être animal. Une loi vient d’être votée à cet effet. Or, dans « La cause animale »- ouvrage collectif qui paraît en poche (Librio) sous la direction d’ Alain Finkielkraut, l’académicien n’est pas optimiste.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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« Les bêtes ont leur place au grand banquet civique » disait Michelet (1798-1874). Nous applaudissons mais sommes-nous capables de protéger les vivants non- humains  des perversions et dérapages de notre hypermodernité ? Telle est la question posée par « La cause animale » (Librio, collectif dirigé par Alain Finkielkraut de l’Académie française, petit livre qui pose toutes les questions de l’époque. Le philosophe, récemment auteur de « A la première personne » ( Gallimard) exprime son pessimisme face à certains faits préoccupants. Les écologistes ne sont pas sa tasse de thé, car leur « mieux » semble toujours l’ennemi du bien commun.

Au moins pouvons-nous constater le fait que les modes de relations entre objets du monde humains et non- humains semblent nettement améliorés en Occident. Ce n’est pas un hasard. Nous sommes convertis à la cause animale ; guidés par l’éthique et nos lectures, nous voulons protéger les bêtes utilisées pour notre agrément (cirques, zoos, élevage industriel, chasse etc.) « Aujourd’hui, notre pitié ne s’arrête plus à l’humanité. Elle continue sur sa lancée. Elle repousse les frontières. Elle élargit le cercle du semblable. Quand un coin du voile est levé sur l’invivable existence des poules, des vaches ou des cochons dans les espaces concentrationnaires qui ont succédé aux fermes d’autrefois, l’imagination se met aussitôt à la place de ces bêtes et souffre avec elles », note Alain Finkielkraut dans « Des animaux et des hommes » ( Stock/2018,regroupant des entretiens a réalisés pour son émission « Répliques », sur France Culture).

A l’origine de l’engagement d’Alain Finkielkraut pour la cause animale, il y a son amitié pour la philosophe Elisabeth de Fontenay, ancienne assistante de Vladimir Jankélévitch et spécialiste française du règne animal. Et leur correspondance, intitulée « En terrain miné » et publiée chez Stock ( 2017)« j’avais le sentiment que la chose à faire pour être bien dans les interstices, pour être bien dans les marges, c’était de travailler sur la question animale. Pas sur la question des femmes, mais sur la question animale ! »  confie  Élisabeth de Fontenay.Relisant cette phrase, je me souviens d’une réponse que m’avait faite Philippe Descola, qui dirige la chaire d’anthropologie de la nature au Collège de France, LE penseur international des modes de relations entre humains et non humains : « Pour permettre aux hommes de ne pas se suicider tous ensemble, la solution viendra peut-être de l’éthologie. » Une idée prémonitoire . Oui le devenir du féminisme pouvait sans doute attendre un peu Elisabeth de Fontenay ; les espèces animales, pas .

Jadis et naguère, quelques "sachants "avaient eux aussi pressenti la noblesse et l’intelligence des animaux. En Italie, Françoisd'Assise (1182-1226), par exemple. Ce religieux catholique (futur canonisé), encore appelé le « Saint aux oiseaux », fondateurde l’ordre des Franciscains fut le premier penseur –libérateur d’un certain mode de relations entre humains et non humains. François parlait à ses « frères » et « sœurs », fourmis, abeilles, araignées, souris, lapins, agneaux, loups, vaches, chiens et chats etc. Son « frère » de prédilection était l’oiseau.« Frères oiseaux, De toutes les créatures de Dieu, c’est vous qui avez meilleure grâce ; il vous a dévolu pour champ l’espace et sa simplicité ; Vous n’avez ni à semer, ni à moissonner ; il vous donne le vivre et le couvert sans que vous ayez à vous en inquiéter. » À ces mots, les oiseaux exprimaient à leur façon une admirable joie, allongeant le cou, déployant leurs ailes, ouvrant le bec et fixant François d’Assise .Michel de Montaigne (1533-1592), figure majeure de notre littérature, symbole de l'humanisme à la française, reconnaît dans ses Essais que les animaux sont des êtres sociaux: « Même les animaux dénués de voix ont entre eux des systèmes d'échange de services qui nous donnent à penser qu'il existe entre eux un autre moyen de communication : leurs mouvements expriment des raisonnements et exposent des idées. »Cependant, depuis Descartes (1596-1650) et sa théorie de « l’animal-machine », les humains se situaient au sommet d’un triangle dont la base se composaient de« machines animées »: les bêtes. Outre Jean de La Fontaine (1621-1695),entré dans l’Histoire avec ses Fables, qui sont la France autant que le théâtre de Molière, ce fut un long chemin que celui de la reconnaissance de l’animal. Plus tard, de l'autre côté de la Manche, le philosophe « utilitariste » Jeremy Bentham (1748-1832) fut lui aussi un précurseur : "La question n'est pas : "Peuvent-ils raisonner ?", ni "Peuvent-ils parler ?", mais "Peuvent-ils souffrir?."A quoi semblait répondre l’immense naturaliste Charles Darwin (1809-1892) « Tout comme l’homme, les animaux ressentent le plaisir et la douleur, le bonheur et le malheur ». Depuis une trentaine d ‘années, en France en particulier- comme si non contents d’être le pays des Droits de l’Homme, nous devions aussi devenir celui de la Libération de l’Animal-, de nombreux écrivains ont abordé la question dans leurs œuvres.Par exemple Franz-Oliver Giesbert : « L’animal est une personne » (Fayard) « Tout lui a été enlevé, sa dignité, bien sûr, mais aussi son animalité même »Dans son « Plaidoyer pour les animaux » (Allary éditions) Mathieu Ricard (fils deJean-François Revel)  révèle  que «  Nous tuons chaque année soixante milliards d’animaux ». Quant au romancier et philosophe Tristan Garcia, lauréat du « Livre Inter » pour son livre « 7 » ( Gallimard) il est l’auteur de « Nous animaux et humains, Actualité de Jeremy Bentham » ( François Bourin/ Philosophie/2011)« Il s’agit de se demander avec Tristan Garcia pourquoi l’animal a constitué la pomme de la discorde, pourquoi aujourd’hui encore il est au centre des débats. »

En France, dès 2015, la notion « d’être vivant doué de sensibilité » intègre le code civil. L’animal devient soudain un " objet de droit que sa sensibilité place au-dessus des objets non-vivants ». Il quitte le statut de chose et advient corps et âme. Malgré cette ascension vers la dignité perdue et retrouvée, l’animalité est loin d’être sauvée, et pour cause, songe Alain Finkielkraut, guère optimiste pour la suite ;une sourde inquiétude parcourt en effet « La cause animale »tandis que l’élevage industriel semble prospérer, dopé par les impératifs de rentabilité et de performance tributaires d’une demande croissante. Soit, demain, sept milliards et demi d’individus. Combattant les conditions effroyables de l’abattage industriel, Alain Finkielkraut désapprouve les antispécistes ( ces « guerriers » militants de la cause animale ). Par ailleurs, le philosophe ne sera jamais « vegan », même s’il chérit les vaches( excellent entretien avec le romancier Benoit Duteurtre, grand prix de l’Académie Française). Alain Finkielkraut n’aime pas la corrida, que déteste Elisabeth de Fontenay, qui n’hésite pas à comparer certaines atrocités de la Shoa à celles formant l’ordinaire des animaux.« On sait que la grande majorité de ceux qui, descendant des trains, se retrouvaient sur les rampes des camps d'extermination, ne parlaient pas allemand, ne comprenaient rien à ces mots qui ne leur étaient pas adressés comme une parole humaine, mais qui s'abattaient sur eux dans la rage et les hurlements. Or, subir une langue qui n'est plus faite de mots mais seulement de cris de haine et qui n'exprime rien d'autre que le pouvoir infini de la terreur, le paroxysme de l'intelligibilité meurtrière, n'est-ce-pas précisément le sort que connaissent tant et tant d'animaux ? » (Élisabeth de Fontenay, Le silence des bêtes La philosophie à l'épreuve de l'animalité / (Fayard 1998)Concernant la corrida, Elisabeth de Fontenay évoque une « torture atroce » et prend à partie le philosophe Francis Wolff, spécialiste de tauromachie, auteur entre autres de « Philosophie de la corrida » ( Hachette Pluriel 2011) : « Il ne faut pas galvauder les mots, lui répond celui-ci: « vous parlez de torture, mais tout éthologue, tout vétérinaire vous dira (…) que par un certain nombre de phénomènes endocriniens, le taureau transforme sa douleur en agressivité » . Bien sûr. Et ce d’autant plus que ces mutations endocriniennes arrangent tout le monde.

Bien que l’humanité soit parvenue par ce cheminement intellectuel à éprouver une bienveillance croissante pour l’animal, le paradoxe historique risque donc d’être qu’au moment précis où tout s’arrange pour lui dans l’imaginaire collectif, ses perspectives d’avenir vont se détériorer… La démographie galopante de l’espèce humaine rendra inéluctables l’élevage et l’abattage de masse, les cages à poules pondeuses, l’atroce broyage des poussins et les porcheries-usines. Le tout perpétrant et accentuant même la chosification donc le martyre des animaux d’élevage.Il faudrait ( mais comment ?) «  penser et maintenir la distinction entre l’élevage fermier et ce que l’on nomme pudiquement «la production animale. », souligne Finkielkraut, qui nous livre ainsi les clefs de son livre. Plus l’éthologie saura nous convaincre de ce que les animaux ne sont pas ( c’est- à -dire des objets), plus les objectifs de rentabilité rendus nécessaires par les sept milliards et demi de terriensferont d’eux des choses. « Les processus n’ont pas d’oreilles, ils sont imperméables aux protestations » 

Dans son essai « Le Nouvel Ordre écologique, L’arbre, l'animal et l'homme » (Prix Médicis/Grasset 1992), Luc Ferryrécusait certaines dérives de la pensée écologique, en particulier l’antispécisme et la « Deep Ecology »..«  Mais, parce qu'il balaye large, c'est à une conception générale d'une éthique de responsabilité que Luc Ferry s'attaque en définitive, éthique qui suppose sens du patrimoine et sens du legs aux générations futures. », déclara à l’époque l’économiste Jean-Charles Hourcade (  ex directeur adjoint du groupe Thomson, et proche de Jean-Luc Mélenchon). Près de trente ans plus tard, « l’éthique de responsabilité qui suppose sens du patrimoine et sens du leg aux générations futures » qui paraissait manquer à Luc Ferry ne semble pas non plus être le fort des « écologistes profonds ». Quel paysage et quel patrimoine ces ardents partisans des éoliennes veulent- ils « léguer aux générations futures «  ? Le massacre des paysages français induit par la prolifération cancérigène des hideuses forêts éoliennes. Une désolation orwellienne. La destruction massive et organisée du paysage français, littoral compris. L’admirable site de la Baie de Saint-Brieuc va entrer dans les poubelles de l’histoire de France, tout comme la sublime Montagne Sainte –Victoire, chère à Cézanne. Dès qu’il y a destruction planifiée, il s’agit souvent d’argent. Les lobbies sont à l’œuvre derrière chaque forêt d’éoliennes. Un massacre du site parfois classé, de sa faune et de sa flore sans équivalent dans notre histoire. « Faisant fi du jugement du tribunal de Toulon, le promoteur a commencé d’implanter ses engins sur les sites naturels convoités. Il a déversé sur place 33.000 tonnes de béton », se désole Stéphane Bern, désespéré de voir ce capital immatériel qu’est la Montagne Sainte-Victoire condamnée au massacre.

A qui le tour ? La Baie de Saint -Tropez ? Megève et Courchevel ? Les plages de Vendée ? Belle Ile- en- Mer ? Groix ? Le Mont- Saint-Michel ? Que fait l’exécutif ? La ministre de la Culture ?

« L’une des plus grandes associations d’ornithologie au monde, l'American Bird Conservancy, estime qu'un million d'oiseaux a minima, sont tués par des éoliennes aux États-Unis chaque année. A minima, car les chiffres les plus précis datent de 2012. Des scientifiques avaient alors collecté les cadavres d’oiseaux au pied des éoliennes, notamment à l'aide de chiens renifleurs estimant ainsi que 360 000 oiseaux entraient en collisionavec les pales oulesmats chaque année. Mais cette « énergie renouvelable » ayant augmenté de 47%  en dix ans, avec plus de 65 000 éoliennes aujourd’hui il faut revoir ces chiffres. Et compter aussi les électrocutions d’oiseaux avec les raccordements au réseau supplémentaire sans oublier la mort des espèces d’oiseaux qui ne peuvent plus nicher au sol, dérangés par ces installations. Si rien n’est fait d’ici 2030, ce sera cinq millions d'oiseaux qui mourront chaque année aux Etats-Unis » (cf.L’American Bird Conservancy du 26 janvier 2021)Et combien, en France ? Le scandale du siècle. 

A propos des oiseaux

Philippe Descola, est un anthropologuefrançais. Ses recherches de terrain en Amazonie équatorienne, auprès des Jivaros Achuar, ainsi que sa critique du dualismenature/culture,  ont fait de lui une des grandes figures américanistes de l'anthropologie.

Philippe Descola  : Il faut noter d’emblée que les humains sont des animaux aussi. L’Homme et l’Animal sont deux catégories complexes, et sans doute bien trop englobantes. C’est précisément parce que nous sommes des animaux que la proximité et la différence entre les animaux humains et les animaux non humains n’ont cessé de stimuler l’imagination, l’invention taxinomique comme les capacités symboliques des humains, et cela depuis très longtemps. Du fait de cette proximité, notamment avec les animaux qui semblent avoir des capacités, des dispositions, des fonctions assez proches de celle des humains, la volonté de ces derniers de marquer des différences en spécifiant certaines propriétés et en excluant d’autres m’a paru importante. J’ai d’ailleurs consacré la dernière partie de ma leçon inaugurale au collège de France à expliciter mes positions en prenant des exemples empruntés au rapport que diverses sociétés entretiennent avec les oiseaux, c’est-à-dire en utilisant les quatre formules que vous mentionnez pour montrer comment elles représentent aussi quatre façons de concevoir et d’entrer en relation avec les oiseaux. Pourquoi les oiseaux ? Parce que depuis très longtemps ils fournissent aux humains une matière à penser du fait de très grandes proximités avec eux, en dépit des différences morphologiques, dans leur comportement, dans leur développement ontogénétique et dans leur système de communication. Il y a d’abord le fait qu’ils offrent une vie de famille clairement reconnaissable, avec les jeux de séduction dans la formation des couples, la construction d’un foyer, les soins des adultes aux enfants, le tout couplé à un dimorphisme sexuel généralement très net qui évoque les différences de vêtement et de parures chez les hommes et les femmes.

Extrait d’un Entretien réalisé le 15 janvier 2016, au collège de France (Paris), par Quentin Deluermoz (Historien) et François Jarrige (Maître de conférence en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne).

"La cause animale, Débats pour y voir plus clair", sous la direction d'Alain Finkielkraut (Flammarion)

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