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Aider son enfant face au harcèlement à l'école, ou comment s'inscrire face à la toute-puissante popularité
©Reuters

Bonnes feuilles

Dans la cour de récré (comme dans le monde médiatique), un phénomène excessivement volatile est pourtant d'une influence cruciale: la popularité. Quels en sont les codes? Extrait de "Te laisse pas faire" de Emmanuel Piquet, aux Editions Payot, 2014 (1/2).

Emmanuelle Piquet

Emmanuelle Piquet

Psychopraticienne, formatrice, et auteure, Emmanuelle Piquet est diplômée en thérapie systémique et stratégique. Elle consulte à Lyon et à Mâcon, notamment pour traiter les souffrances des enfants.
Elle a publié "À quoi ça sert de vivre si on meurt à la fin ?" et "Sous l'escalier". Le 1er octobre 2014 sort son nouveau livre à destination des parents d'enfants harcelés : "Te laisse pas faire".

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La majorité des enfants que je reçois pour des situations de souffrance relationnelle avec les gens de leur âge est constituée d’aînés. Cette prédominance statistique est, d’une certaine manière, assez logique : les aînés n’ont pas été beaucoup confrontés aux interactions entre pairs avant d’entrer dans la cour et débarquent donc plus naïfs, moins aguerris que leurs cadets, et beaucoup moins que les derniers de fratries nombreuses. Ils ont souvent fait un apprentissage fort trompeur, celui de l’amour inconditionnel de leurs parents et pensent légitimement que la cour de récréation va être aussi enveloppante. Cela fait bien ricaner les derniers de fratries, beaucoup plus aux aguets et clairement plus affûtés et musclés par les combats intrafamiliaux ; ils voient là une cible de choix pour expérimenter le fait d’avoir enfin le dessus. Cet apprentissage brutal peut – et c’est la grande majorité des cas – se faire de façon souple et écologique, mais parfois ne pas se faire du tout, ou se faire dans la douleur et laisser des blessures indélébiles.

Dressons d’abord le décor, les éléments contextuels dans lesquels ont lieu les interactions spécifiques à la cour de l’école.

Cette fameuse « popularité » et ses incarnations

La popularité, tout d’abord, structure de décor principale. Il s’agit là d’un élément indispensable et excessivement volatil. Ceux qui ne la possèdent pas sont très vulnérables et souvent cibles d’attaques répétées. Certains de ceux qui la possèdent ont de ce fait une peur panique d’en être privés.

Ce que nous appelons le syndrome de popularité n’est pas moderne en soi. Ce qui l’est, en revanche, c’est qu’il est entretenu involontairement par des parents plus sensibilisés à la relation que les générations antérieures. Il est donc de plus en plus présent dans la vie de nos enfants, à l’instar des réseaux sociaux qui n’en sont finalement que le médium, le symptôme, comme nous l’évoquerons à la fin de cette partie.

Premiers rôles de cette pièce souvent construite selon un scénario parfaitement huilé, les enfants très populaires se scindent en deux espèces presque opposées

• Ceux et celles que nous appellerons les populaires de type Lady Di. Avec ce côté gentil et beau, ils ont une souplesse particulière qui les rend insensibles aux souffrances relationnelles du commun des mortels. À noter qu’ils sont même gentils avec ceux qui n’ont pas d’amis, et qu’ils constituent en ce sens une exception, la majorité ne prenant pas ce risque par peur de l’assimilation qu’il pourrait susciter. Ils sont très peu nombreux et n’entrent pas dans les mécaniques de harcèlement. Au pire sont-ils gentiment indifférents, par paresse, par distraction. Ils n’ont pas une cour à proprement parler, mais se meuvent avec élégance d’une cour à une autre.

• Ceux que nous appelons les populaires de type Nellie Oleson, qui le sont et le restent grâce à la peur qu’ils suscitent en perma- nence de pouvoir anéantir la popularité des autres, menace qu’ils mettent à exécution de façon régulière pour asseoir leur pouvoir de façon visible sur leur cour en excluant l’un ou l’autre de leurs courtisans, puis en le rappelant quelques jours ou semaines plus tard, ou en étant leader dans des opérationsde harcèlement répétitif sur des personnes n’appartenant à aucun groupe.

Un grand nombre de situations de harcèlement a lieu en groupe, comme si plusieurs enfants se massaient, en quelque sorte, face à un bouc émissaire. Mon expérience clinique me prouve que si tel est le cas en effet, il y a toujours un (parfois deux, mais c’est rare) leader. Un chef. Aucun enfant, aucun adolescent n’hésite lorsqu’on lui demande : qui est le chef de la bande ?

Il est essentiel de procéder à cette personnalisation, parce qu’autant il est difficile de se défendre contre une masse protéiforme et mouvante, autant lorsqu’il n’y a plus qu’un adversaire, même coriace, le problème devient plus accessible à une solution.

L’objectif poursuivi par la masse est de graviter au plus près de Lady Di ou de Nellie Oleson, la seconde infligeant plus de blessures répétées en raison des exclusions qu’elle prononce régulièrement. Mais ne nous y trompons pas, le ou la populaire de type Lady Di est plus angoissante, parce que moins prévisible.

Nellie Oleson fait souffrir régulièrement ses courtisans, mais les maintient à terme dans sa cour, car elle en a besoin pour asseoir sa popularité. L’isolement n’est que sporadique.

Plus versatile, Lady Di peut changer de dame de compagnie, sans vouloir faire de mal, mais parce qu’elle est attirée par une autre personnalité,et laisser ainsi la première seule et démunie. Il est, selon moi, illusoire de se battre contre cette gentille indifférence de la princesse Diana, indifférence que l’on risque de voir se transformer en agacement. En conséquence, si je partage avec l’enfant la certitude que l’amitié n’est plus là (même si lui garde un espoir secret du contraire), je l’aide à y renoncer, comme dans le cas d’une histoire d’amour. Bien évidemment, l’absence de douleur est impossible dans ce type de situation. Comme expliqué dans l’introduction, il s’agit là d’une difficulté à traverser plus que d’un problème répétitif à résoudre. Nous ne pourrons (mal)heureusement pas protéger nos enfants des ruptures amicales et amoureuses qui vont jalonner leur chemin, au mieux pouvons-nous les prendre dans nos bras quand leur chagrin est trop submergeant, en évitant le très peu thérapeutique « un de perdu, dix de retrouvés ».

Ce sont donc, si nous revenons à notre glossaire spécifique, les éventuels problèmes interactionnels avec les Nellie Oleson de tout poil qui nous intéressent en premier lieu.

Extrait de "Te laisse pas faire" de Emmanuel Piquet, aux Editions Payot, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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