Afghanistan : deux ans de souffrances depuis la chute de Kaboul<!-- --> | Atlantico.fr
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Un Afghan enlève des rideaux dans un ancien salon de beauté à Kaboul, le 25 juillet 2023.
Un Afghan enlève des rideaux dans un ancien salon de beauté à Kaboul, le 25 juillet 2023.
©WAKIL KOHSAR AFP

Peuple martyr

Le 15 août 2021, à la stupeur générale, les talibans entraient dans Kaboul sans aucune résistance. Deux ans plus tard, la population continue de souffrir dans l'indifférence générale.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Françoise Hostalier

Françoise Hostalier

Françoise Hostalier est ancienne ministre, Président du Club France-Afghanistan (CFA).

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Ce 15 août 2021, à la stupeur générale, les talibans entraient dans Kaboul sans aucune résistance. Eux-mêmes surpris par cette avancée si rapide, ils envoyaient sur les réseaux sociaux des images les montrant dans les lieux de pouvoir du gouvernement d’Ashraf Ghani qui avait pris la fuite.

Mais parallèlement, nos téléphones portables nous transmettaient des cris de détresse et des appels au secours de nos amis afghans qui nous envoyaient des images surréalistes de pickups chargés de dizaines de combattants barbus, enturbannés, hirsutes, armés qui défilaient dans les rues.

L’arrivée des talibans jusqu’à la capitale était inéluctable, puisqu’ils avaient déjà conquis la plupart des grandes villes et notamment celles du Nord ; mais si vite et si facilement… là était la surprise.

Aussitôt, les souvenirs des années terribles du pouvoir des talibans de 1996 à 2001 ont rendu une grande part de la population de Kaboul totalement hystérique. Fuir, quitter le pays, à tout prix fut la priorité de milliers de personnes. Nous avons vu les images terribles de la prise d’assaut de l’aéroport de Kaboul et de l’attentat terroriste. Nous avons suivi le calvaire de tant d’amis, impuissants que nous étions à les aider. Puis, le dernier avion parti ce fut le silence et la chape de plomb commençait à se façonner.

Rappelons-nous, ces déclarations mielleuses de soi-disant experts et surtout de responsables américains ou onusiens déclarant : « Les talibans ont changé, on peut discuter, on peut négocier ». Mais beaucoup d’Afghans et les femmes surtout, n’avaient pas oublié et savaient ce qui allait se passer.

Très vite, l’épuration a commencé. Les jeunes talibans, incultes et débarqués de leurs madrassas où ils avaient été formatés, suivaient les consignes données par les talibans-scorpions qui s’étaient depuis des années fondus dans la société et qui attendaient leur heure pour reprendre le pouvoir, pour prendre leur revanche. Les dénonciations de hauts fonctionnaires, de militaires, de juges et d’enseignants et surtout des femmes impliquées dans la société civile leur ont permis de se venger de deux décennies de frustrations. Pillages, saccages, exécutions sommaires, viols et enlèvements, emprisonnements et tortures furent leurs premières actions. Parallèlement les fuites de ces victimes potentielles, notamment vers l’Iran et le Pakistan, furent nombreuses et beaucoup y sont toujours réfugiés dans des conditions très difficiles.

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Tant qu’ils l’ont pu, les médias du monde entier et les médias français en particulier ont couvert ces évènements, mais leurs missions sont devenues de plus en plus difficiles; puis ce fut le silence et le passage à d’autres actualités.

Voici donc deux ans, soit 730 jours ou 17520 heures de souffrances pour des milliers de femmes et d’hommes qui se sentent totalement abandonnés de toute institution internationale ; oubliés du monde des vivants. Car contrairement à certains commentaires, la sécurité n’existe pas en Afghanistan. Les talibans sont imprévisibles et peuvent à tout moment arrêter des personnes, perquisitionner des maisons, rançonner des commerçants… sans justification.

Ils ont les pleins pouvoirs pour faire de l’Afghanistan le seul pays au monde et dans l’histoire où la charia, en fait « leur charia »,  sera la loi, où tous les hommes seront des purs et des combattants pour l’islam et où toutes les femmes seront soumises.

Et ces pervers ont bien compris que prendre les femmes en otage leur permettait de dominer toute la société. En effet, leurs lois de plus en plus restrictives contre les libertés et les droits des femmes sont garanties par les hommes qui risquent d’être arrêtés et sanctionnés à la moindre faute d’une femme de leur famille. Que faire d’autre alors que de les garder entre quatre murs, leur interdisant toute sortie non indispensable.

C’est ainsi que depuis deux ans, les lois et décrets réduisant les libertés et les droits des femmes se sont multipliés ; ce fut le même scénario qu’en 1996 et ceux qui avaient espéré et prétendu que les talibans de 2021 avaient changé ont vite compris à quel point ils avaient été bernés.

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Dès ce 15 août 2021,  toutes les images de visages de femmes dans l’espace public ont été supprimées par les commerçants eux-mêmes. Les burkas ont fait leur retour spontanément dans les rues. Mais les filles continuaient à aller à l’école et les femmes se rendaient encore au travail. 

Le 12 septembre 2021, un décret autorise les femmes à aller à l’université mais recouvertes d’un hijab et avec une séparation matérielle entre les étudiants masculins et féminins. Puis vient l’hiver et la fermeture des écoles, mais à la rentrée du 23 mars 2022, douche froide ! Interdiction pour les filles d’aller à l’école ! Il s’avère finalement que ce sera seulement pour les filles de plus de 12 ans, soit le niveau collège… mais le problème qui se pose est celui des enseignantes pour enseigner aux filles puisque les femmes n’ont pas le droit de travailler…

Puis la répression contre les femmes s’amplifie, le 7 mai 2022, le chef suprême des talibans, Haibatullah Akunzada, ordonne aux femmes de se couvrir entièrement en public, y compris le visage, et de rester principalement à la maison. Il est également interdit aux femmes de voyager ou même de se trouver dehors sans être accompagnées d’un homme de leur famille.

Les familles pouvaient néanmoins s’organiser pour s’évader un peu et aller dans les nombreux parcs publics.  Mais en novembre 2022, l’étau se resserre encore et c’est l’interdiction aux femmes d’entrer dans les parcs, les fêtes foraines même accompagnées, interdiction de se rendre dans des salles de sport ou dans les bains publics. Cela voulait dire, pour beaucoup de femmes, de ne plus avoir accès à des structures d’hygiène quand on sait que la plupart des habitations n’ont pas l’eau courante. 

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Le 21 décembre 2022, un arrêté déclare que les femmes ne pourront plus aller à l’université. Dans le même temps, début des exécutions et flagellations publiques, comme au bon vieux temps…

Tout au long de ces évolutions de restrictions, les femmes ont pu néanmoins s’organiser pour maintenir l’instruction des filles par des cours à domicile, regroupant des élèves, utilisant les réseaux sociaux et internet. Elles ont organisé des ateliers d’artisanat ou du télétravail ; et elles ont osé manifester dans les rues, crier leur détresse, interpeller le monde entier à travers les réseaux sociaux…

La répression des talibans, chaque fois, fut féroce et la réponse aux revendications des femmes fut de leur interdire de travailler pour des ONG humanitaires ou pour les agences des Nations Unies et de décréter, le 3 juillet, la fermeture des salons de beauté. Ils étaient le dernier lieu où les femmes pouvaient se retrouver en toute liberté et se sentir femme un bref moment.

Ainsi, l’Afghanistan est le seul pays au monde, et dans l’histoire connue de l’humanité, où un gouvernement supprime tous leurs droits à une partie de sa population sous prétexte de son sexe. Il s’agit ici d’un crime contre l’humanité dans sa définition de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale*. Mais en plus du traitement inhumain que les talibans font subir aux femmes, ils handicapent fortement la dynamique économique de l’Afghanistan. Au cours des vingt années de présence des forces internationales et des ONG, les femmes afghanes ont pu suivre des études, elles ont été actrices de la vie économique et politique du pays, elles ont fait preuve de compétences remarquables dans tous les domaines et même si, en deux décennies, elles n'étaient encore que des élites, elles avaient créé une dynamique pour les générations futures.

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Tout cela fut anéanti le 15 août 2021.

Mais, pour citer Bernard Grué : « L’espoir meurt en dernier » et les messages que nous recevons régulièrement prouvent que cet espoir n’est pas mort pour les femmes afghanes. 

Notre devoir maintenant est de répondre à leurs besoins, sans les mettre en danger, sans imposer nos méthodes ou nos valeurs, et sachant qu’il s’agira d’un temps long. L’urgence est de sauver la génération des filles qui ne peuvent plus aller à l’école, celle des étudiantes privées d’université. De nombreuses associations s’y emploient, il faut les aider et les soutenir.

Mais notre devoir est aussi de rendre justice à toutes les femmes afghanes condamnées à la prison à vie pour le seul crime d’être nées femmes, par des bourreaux qui doivent être inculpés par les instances internationales pour crime contre l’humanité.

Certes, ces barbares n’en auront cure puisqu’ils ne reconnaissent aucune règle ou loi en dehors de leur propre charia, mais cela ferait réfléchir les pays qui, pour diverses raisons, s’accommoderaient bien de transactions avec ce régime criminel ce qui risquerait de lui valoir rang de reconnaissance officielle.

* Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale. Voir page 3, article 7, motifs h, j et k. https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf

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