Affaire Palmade : la fin du secret de l'instruction et du secret de l'enquête ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Mis en examen pour « homicide et blessures involontaires aggravés » pour le grave accident qu’il a provoqué le 10 février, l’humoriste de 54 ans est maintenant soupçonné de « détention d’images à caractère pédopornographique ».
Mis en examen pour « homicide et blessures involontaires aggravés » pour le grave accident qu’il a provoqué le 10 février, l’humoriste de 54 ans est maintenant soupçonné de « détention d’images à caractère pédopornographique ».
©JOEL SAGET / AFP

Justice spectacle

Alors que l’affaire Palmade s’étend dans les médias avec force détails certains, très précis, interrogent car ils relèvent normalement du secret de l'instruction et du secret de l'enquête.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Alors que l’affaire Palmade s’étend dans les médias avec force détails certains, très précis, interrogent car ils relèvent normalement du secret de l'instruction et du secret de l'enquête. Comment se fait-il qu’ils soient si bafoués ?

Gérald Pandelon : Les secrets de l'enquête et de l'instruction sont régulièrement bafoués car par essence la justice pénale repose sur l'idéologie, donc sur davantage de subjectivité que d'objectivité. C'est un truisme que relevait déjà le philosophe Karl Marx lorsqu'il affirmait, à juste titre, que le droit n'était que la résultante d'un rapport de force et la justice qu'une affaire de classe. Cet élément est d'autant plus flagrant lorsque, par exemple, un journal comme Médiapart apparaît presque comme le bras armé de parquets spécialisés ; or, si les magistrats, souvent ceux appartenant au ministère public, peuvent assez fréquemment dans des affaires sensibles faire abstraction du secret de l'enquête en n'encourant jamais la moindre sanction, je constate que d'autres auxiliaires de justice, notamment les avocats, qui pourraient se rendre coupables de la moindre erreur non intentionnelle relative à une éventuelle violation du secret professionnel se voient, eux, particulièrement malmenés par les mêmes parquetiers. Nous connaissons tous l'adage du philosophe Pascal : "Plaisante justice qu'une rivière borne, vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà...". C'est un euphémisme que de constater que persiste dans notre système pénal inquisitoire un déséquilibre abyssal entre l'accusation et la défense. Autrement dit, si M. Palmade est effectivement un comédien très connu, cela ne justifie pas pour autant que les médias puissent bénéficier d'informations couvertes en théorie par le secret pour révéler ensuite avec plus ou moins de bonheur les détails d'une affaire pénale techniquement complexe sur les plateaux de télévision. Ce lien parquet-médias est en réalité nauséabond. J'observe en outre que lorsque des personnes moins médiatiques mais dont les casiers judiciaires sont infiniment plus chargés que celui de l'humoriste, ces derniers ne voient curieusement jamais leurs noms cités dans les médias. En d'autres termes, se nommer Pierre Palmade dont le casier judiciaire porte trace d'aucune condamnation permet paradoxalement à son encontre toutes les violations ; en revanche, disposer d'un nom à consonance différente avec un casier judiciaire particulièrement chargé vous prémunit presque automatiquement contre des atteintes systématiques à la présomption d'innocence. Qu'on l'accepte ou le déplore, il existe un certain nombre de choses particulièrement anormales et injustes dans notre royaume judiciaire. 

Quels sont les risques que l’on fait prendre à la société et à la justice en bafouant ainsi le secret de l’instruction et celui de l’enquête ? A quel point faut-il craindre une justice spectacle ?

Si l'on admet que ce sont principalement des magistrats qui se permettent de bafouer de façon impunie les règles afférentes aux secrets, de l'enquête et de l'instruction, cette tendance assez fréquente désormais depuis la création notamment de parquets spécialisés risque de creuser encore davantage, d'une part, l'incompréhension entre juges et justiciables, d'autre part, de délégitimer l'aura dont pouvait bénéficier encore le magistrat. Comment reprocher désormais à un simple justiciable de considérer que ce sont ceux-là mêmes qui à longueur de journée assènent des leçons de morale qui sont les premiers à violer les règles ? Des principes qu'ils empêchent à tous les autres personnes, donc les non-magistrats, de transgresser ? Comment accorder une crédibilité d'ordre rationnelle à des personnes qui ne respectent pas les règles qu'ils ont pour partie contribué à édicter ? Par suite, comment ne pas verser de plus en plus vers une justice à l'américaine dans laquelle en définitive ce sont presque davantage les médias qui rendent la justice que les juges eux-mêmes ? Des magistrats qui, au surplus, sont infiniment plus influencés par des idéologues, souvent politiquement de gauche, qui voient des coupables partout, à telle enseigne que leur prisme déformant est tel que le coupable devient innocent et inversement l'innocent le coupable ? Des idéologues purs qui en définitive voient ce qu'ils croient et non croient ce qu'ils voient...

La facilité avec laquelle les informations circulent dans la presse (alors qu’elles ne sont pas communiquées aux avocats), est-ce la preuve d’un mécanisme à bout de souffle qui n’est plus respecté ?

Cela ne soulève manifestement aucune difficulté pour certains magistrats de ne pas respecter la présomption d'innocence lorsqu'il s'agit de personnes connues voire reconnues mais de faire montre d'un zèle particulier à respecter ce sacro-saint principe de la procédure pénale s'agissant d'un voyou chevronné, car au royaume de la justice spectacle le délinquant chevronné n'intéresse plus personne. En revanche, l'individu irréprochable mais qui aura eu le malheur d'être notoirement connu par ses succès en politique ou dans les affaires mais dont le casier est vierge de toutes mentions ne mérite pas de bénéficier, lui, de cette innocence présumée. Toutes choses égales par ailleurs, une personnalité de premier plan irréprochable pendant toute sa vie mais qui aura commis une faute non intentionnelle verra sa réputation sévèrement entachée pendant que l'habitué des prétoires sera oublié par les médias. Or, ce traitement fort différencié, particulièrement injuste, n'est au fond que la revanche de ceux qui ne pouvant pas dans les urnes écraser "l'infâme bourgeois" voudraient l'embastiller sans motifs en instrumentalisant la justice. Ces élus, sorte de néo-bonapartistes post-modernes, véritables Fouquier-Tinville sans vergogne n'ont pourtant que faire de la justice et du droit, ces marquis poudrés se moquent des principes démocratiques qui font la grandeur des nations, ne recèlent en eux ni humanité ni bonté ni grandeur d'âme, même s'ils n'ont que ces mots à la bouche ; à l'inverse, ils ont pour eux, chevillés au corps, que des sentiments aussi "nobles" que la haine, une haine féroce et aveugle, une jalousie maladive et un définitif ressentiment qui les dévore et les dévorera toujours.  

Face à cela, vaudrait-il mieux trouver un autre système plus juste et efficace ou essayer de réparer celui existant ? 

Pour remédier à cette dérive, il faudrait que s'opérât une réelle révolution des mentalités. En effet, un système plus juste et efficace devrait reposer sur le strict respect des principes qui gouvernent la procédure pénale, un système dans lequel les juges sous peines de sanctions (les mêmes que celles qui sont infligées à des avocats lorsqu'ils enfreignent leur secret professionnel) ne pourraient en aucun cas communiquer avec les médias. Car ne pas souhaiter réformer ce qui constitue désormais un scandale récurrent au coeur de l'Etat de droit constitue la preuve que notre système est de moins en moins démocratique. Ironie de l'histoire, de son sens ou plutôt son absence, cette profonde régression en termes de droits serait le symbole d'un accroissement des libertés et le signe d'un pacte politique moderne abouti...

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