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Nos exécutifs successifs, louvoyants dans leurs décisions, dépassés par les enjeux vertigineux de cette nouvelle ruée vers l'or technologique, ont beaucoup trop cédé le contrôle des clés à d'autres.
Nos exécutifs successifs, louvoyants dans leurs décisions, dépassés par les enjeux vertigineux de cette nouvelle ruée vers l'or technologique, ont beaucoup trop cédé le contrôle des clés à d'autres.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Danger

Les sanctions extraterritoriales records adjointes à l’ascendance technologique croissante des GAMMA et du Big Data teinté d'IA sont devenues des moyens privilégiés pour les États-Unis de contrôler leur environnement concurrentiel, afin d'assurer la prééminence de leur sécurité nationale et le leadership de leurs entreprises sur les nôtres. Mais que faisons-nous ? Quid de notre léthargie complice en la matière ?

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » d u « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).
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Aurélie Luttrin

Aurélie Luttrin est ancienne avocate en droit public des affaires, conférencière et consultante spécialisée dans la performance des entreprises, des collectivités territoriales et des Etats à l’ère de la 4ème révolution industrielle. Membre du Cercle K2, elle est co-autrice du rapport sur les enjeux du big data (novembre 2022). 

Elle forme également les élus, les professionnels des secteurs public et privé à la compréhension des enjeux de la 4ème révolution industrielle et les accompagne dans leurs stratégies de cybersûreté.
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Atlantico : Nos exécutifs successifs, louvoyants dans leurs décisions, dépassés par les enjeux vertigineux de cette nouvelle ruée vers l'or technologique, ont beaucoup trop cédé le contrôle des clés à d'autres. Quid de l'avenir de notre pays ? N'est-il cependant pas trop exagéré de parler d’un pays failli, sous influence ?

Aurélie Luttrin, Franck DeCloquement : Pillage en règle, liquidation, faillite, dislocation, démantèlement, sabordage, déroute morale, noyade ou noyautage ? Qu'importe le florilège des termes choisis au fond pour qualifier la situation. Car la question de notre servilité et de notre complicité dans la déroute se pose très concrètement, avec près de 3000 milliards de dette cumulée, et un commerce extérieur en berne absolue : la France semble bien être devenue ce grand corps malade à la renverse souvent décrit. La crise du nucléaire étant le dernier avatar en date de cette décrépitude en marche. Sans appétence aucune pour le déclinisme, résumons la situation : depuis plus d’une vingtaine d’années, nous assistons passifs, peu ou prou, à un transfert massif de nos actifs industriels et technologiques au profit d'une puissance étrangère souvent qualifiée « d’amie » par les plus idolâtres.

Les faits parlent d’eux-mêmes : 2003, Péchiney, le leader français de l'emballage et de l'aluminium racheté par le canadien Alcan. 2006, c'est Arcelor, le sidérurgiste européen, qui passe ; au terme d'une OPA hostile ; sous pavillon indien en étant absorbé par Mittal. 2016, le fleuron des équipements télécoms Alcatel atterrit chez Nokia, y compris Alcatel Submarine Networks, le champion des câbles de communication sous-marins. 2017, Technip, un leader de l'ingénierie pétrolière passe sous la coupe du texan FMC Technologies sans oublier le gâchis Alstom cédé à Général Electrics avec les conséquences dramatiques que l’on connaît tant en termes d’emplois que de perte de savoir-faire industriel pour notre pays. 2022, Exxelia, pépite qui domine le petit monde des composants électroniques passifs de haute performance passe sous pavillon américain (société Heico). La liste, en l'état, est loin d’être exhaustive, ni même close. Et le rythme de cette dépossession s’accélère encore avec la quatrième révolution industrielle en marche où, pour dominer le monde de demain, il ne faut plus seulement détenir le capital mais aussi se rendre maître des data et de leur traitement.

C’est ainsi que nous voyons aujourd'hui migrer à un rythme soutenu de l’autre côté de l’Atlantique, un nombre croissant de compatriotes de talents, de ressources humaines qualifiées dûment recrutées, et de données stratégiques pourtant sensibles allègrement collectées (pourtant propriétés de la Nation française). Le tout à un rythme effréné. Certaines données économiques vitales détenues par la BPI, les données inestimables de santé du Health Data Hub, les données de la SNCF Réseau, d’EDF, d'Orange, de Renault, du groupe Casino, et le dernier en date, ATOS, sont pour tout ou partie passées sous pavillon américain, avec le risque indéniable d’ingérences digitales que l’on sait. Les mastodontes Amazon, Microsoft, Google se partageant la part du lion dans cette affaire, mais pas uniquement. Des opérateurs puissants, mais bien plus discrets à l’image de Palantir Technologie, sont tout aussi actifs. Nous assistons donc tous tétanisés et impuissants à une cession en règle de nos actifs stratégiques, et à une captation à bas bruit de pans entiers de notre économie matérielle (industrie) et immatérielle (ressources digitales). Et décidément, nous n’apprenons rien de nos erreurs passées, à l'image de nos déboires actuels comme nous le rappelions plus haut, dans la gestion du nucléaire dont nous étions pourtant les leaders mondiaux incontestés. Trop occupés sans doute à céder nos actifs stratégiques à vil-prix, et aux chants langoureux des sirènes étrangères. Et pour un Photonis sauvé des eaux in extrémis, combien de captations financières subreptices d’autres pépites nationales par la concurrence étrangère, dans le même temps ?

L'aliénation consiste à être « l'allié de ses propres fossoyeurs » écrivait Kundera dans l'un des chapitres de son livre : « L'immortalité ». Et en l'état, nous autres français, semblons bien être les champions du monde du consentement à la défaite en rase campagne. De guerre lasse, et par absence d’actions fortes, avons-nous réellement trop cédé à d'autres les clefs du royaume ?

Sans sourcilier, nous pourrions même parler ici d’un sabordage en règle (comme le fit d’ailleurs le Directeur de l’Ecole de Guerre économique, Christian Harbulot, dans l’un de ses ouvrages emblématiques), ou d’une appétence morbide à la servilité ! Tout cela demeure difficile à digérer tant la bérézina de nos défaites successives ne cessent d’égrener l’actualité. Voyez plutôt : Exxelia, Technip passant sous pavillon américain, Renault, Orange et quelques autres encore qui concluent d'étranges accords « de confiance » avec le Léviathan Google, EDF, SNCF Réseau avec le géant Microsoft, ATOS avec AWS… Nous assistons depuis plusieurs années à une aspiration non-stop de nos fleurons industriels, de nos données et de nos innovations par les États-Unis. Ce qui renforcent un peu plus à chaque nouveau deal, leur toute-puissance corrélative, au bénéfice de leur compétitivité à l'échelle mondiale, et la préservation des conditions de leur sécurité nationale. Intérêt de puissance parfaitement assumé oblige les concernant ! A côté nous sommes des nains.

Alors que la CNIL et les différentes centrales du renseignement alertent sempiternellement nos pouvoirs publics et nos parlementaires sur les ingérences étrangères sur notre sol, et sur l’importance impérieuse de conserver ou de reconstruire une souveraineté industrielle (numérique, intellectuelle et alimentaire), trop de dirigeants, d’investisseurs, de hauts-fonctionnaires, de femmes et d'hommes politiques font la sourde oreille, et profitent allègrement d’une certaine forme d’apathie des pouvoirs publics pour dépecer un peu plus chaque jour le pays de ses forces vives, par des prises de décisions oiseuses ou inconséquentes ; souvent hors sol. Livrant sans vergogne la Nation aux mains d'intérêts étrangers, au hasard de leur agenda du moment, tout en martelant ; en même temps (compromission, cynisme ou opportunisme oblige ?) ; l’importance de construire ou de recouvrer une souveraineté économique et industrielle pour la France… On se pince !

D'où viennent les principales menaces et « qui est l'ennemi » selon l'expression consacrée ? Bien évidemment, on pense d'emblée à des pays comme la Chine ou la Russie. Mais cela ne veut pas dire qu'il faille négliger les manœuvres d'autres pays, tout aussi offensifs, à l'image de nos alliés américains ?

Dans une interview accordée à La Tribune et publiée en février 2022, l'ancien patron de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, le général Eric Bucquet, rappelait fort lucidement que : « la France était engagée dans une guerre économique permanente menée par des services de renseignement étrangers très offensifs, et capables de recourir à tous les moyens disponibles pour parvenir à leurs fins ». Le général Bucquet rappelant dans la foulée que « dans certains domaines, à certains moments, au gré des intérêts identifiés, nous pouvons être les meilleurs alliés du monde, dans d'autres cas, nous sommes des concurrents, voire des adversaires. C'est le jeu, il faut savoir simplement en être conscient et l'accepter. »

Extraterritorialité, RSE, ONG, activistes... Les agressions contre la base industrielle et technologique de défense française (BITD), sont de plus en plus nombreuses et insidieuses ces dernières années. Et nous ne pouvons que constater qu'il n'existe pas encore de véritable réponse globale et univoque à l'échelle de l'Union européenne (Idem dans le cyber, et même si les choses s’organisent pourtant à marche forcée, compte tenu des scories numériques corrélatives au conflit fratricide entre la Russie et l'Ukraine qui impacte la toile mondiale). Or, c'est bien à cette échelle européenne qu'une réponse déterminante est nécessaire pour faire front efficacement contre les lois extraterritoriales. C'est-à-dire à l'imposition déloyale, par une puissance étrangère (et même alliée dans le cas présent), de son droit national contre nos intérêts stratégiques au-delà de ses propres frontières, et à des fins d’hégémonie concurrentielle et économique. Il ne fait plus aucun secret que ces lois extraterritoriales sont utilisées sans complexe comme de véritables armes de guerre économique et normative. La comptabilité minutieuse des entreprises étrangères impactées ne laisse aucun doute là-dessus.

La BITD française en a déjà fait les frais et l’amère expérience à moult reprises. En outre, ces arsenaux normatifs sont en évolution permanente, dans un nombre sans cesse croissant de pays, bien au-delà des États-Unis. Il devient difficile d'évaluer dans leur globalité, les impacts réels de tous ces nouveaux textes en lice sur nos acteurs économiques. De manière générale, il faut bien admettre que, trop souvent encore, nous agissons en réaction dans ce domaine, sans véritable stratégie d’anticipation sur de fond. Sans vision. A ce titre, il est intéressant de rappeler que la Chine a récemment mis en place en décembre 2020, une réglementation en matière de contrôle des exportations très comparable aux normes ITAR (International Traffic in Arms Regulations) américaines elles-mêmes, et que celle-ci s'accompagne d'un dispositif de blocage net des mécanismes extraterritoriaux étrangers. Ce qui n'est pas le cas à date de la France et encore moins de l'Europe... Dans la pluie des sanctions internationales actuelles, après les milliards d'amendes infligées à Alstom, Airbus, BNP et bien d’autres... l’État Français a récemment imposé à partir du 1er avril 2022 de notifier toute demande d'informations sensibles issue d'une administration étrangère... « On a failli attendre » pourrions-nous dire avec dérision !

Tout cela n'arrive-t-il pas trop tard ? Alors qu’il suffirait de considérer ces demandes contraires aux conditions de notre propre « sécurité nationale », et l’affaire serait immédiatement entendue selon certains spécialistes... Les américains, eux, ne s’en privent pas et en jouent d’ailleurs allègrement avec très grand discernement en fonction des circonstances : imitons-les alors, et sans complexes, dans ce qu'ils savent faire de meilleur pour se bunkériser, et appliquons le principe administratif du parallélisme des formes. Ils ne sauraient nous le reprocher !

Cet accaparement traduirait-il, au mieux, d'une ignorance des réalités de la 4ème révolution industrielle, répartie équitablement dans toutes les strates dirigeantes (économiques, politiques, financières, administratives), ou pire, de compromissions actives, avec comme corollaire, l’affaiblissement chronique de notre pays jusqu’à atteindre un point de non-retour si rien n’était tenté rapidement ?

Il convient de rappeler ce qu’est cette 4ème révolution industrielle, liée à l’exploitation des méga données et au développement corrélatif de l’intelligence artificielle (IA). Faut-il croire la profession de foi et les postures éthiques des GAFAM / GAMMA qui par ailleurs contractent de véritables deal avec des sociétés d'assurance aux États-Unis ? Demain, celles-ci ne nous imposeront-elles pas leurs propres contraintes « à la carte », dans une société de la surveillance, du crédit social et du monitoring globale ? Cette  course folle à la technologie est d’ailleurs devenue la nouvelle guerre froide comme nous le voyons, entre deux mastodontes géopolitiques que sont la Chine et les Etats-Unis. Une course à l’échalote et à la rentabilité tous azimuts par une puissante capacité de brassage du Big Data par les GAFAM et des BATX, matinés d'IA.

Depuis que nous sommes rentrés – peu ou prou – dans cette mutation, le monde qui nous entoure et ses modalités de fonctionnement dématérialisé ont drastiquement changé la donne, ne nous y trompons pas. « Il faut rendre l’humanité attentive aux grands bouleversements que la quatrième révolution industrielle va provoquer. [Cette dernière] bouleverse notre société dans ses fondements » (Klaus Schwab), « le pouvoir réside désormais dans la détention de la donnée et non plus dans la détention du  capital » (Thomas M.Siebel). Cette donnée, qui est souvent présentée métaphoriquement comme le nouvel or noir du 21ème siècle, quelle est-elle au juste ? Pourquoi est-elle si convoitée, tels les anneaux du pouvoir ? Chaque jour, avec nos smartphones, nos ordinateurs, nos objets connectés, l’ensemble des capteurs de collecte déployés dans nos entreprises, dans nos réseaux humains, dans nos lieux d’habitation, nous générons à l'échelle mondiale plus de 2,5 trillions d’octets de données. Quand nous découvrons que nous disposons de trois fois plus d’objets connectés (IOT) que d’êtres humains sur la surface de notre planète, nous réalisons très vite que notre monde physique voit peu à peu émerger son « clone » numérique. Ainsi, tout comme chacun de nos bâtiments connectés produit des données de monitoring retraçant le timing de leurs méandres intimes, chaque être humain connecté produit un avatar numérique, qui « duplique » au sens propre sa vie réelle dans un espace virtuel. Avec à la clef, l'accès à ses plus intimes secrets et signatures comportementales. Elon Musk, fondateur de TESLA, prédisait lui-même que « dans 25 ans, il y aura plus de nous dans le Cloud que dans notre corps ».

Mais une donnée en soi n’a pas de réelle valeur : seule la manière de la contextualiser avec d’autres, et de l’exploiter va être source de richesse et de pouvoir. Les premiers à l’avoir compris sont les États-Unis et la Chine. Et dans leurs sillages, leurs très nombreux chevaux de Troie et proxy industriels, à l’image des GAMMA (Google, Apple, Meta, Microsoft et Amazon), et les BHATX (Baidu, Huawei, Alibaba, Tencent, Xiaomi). En effet, tous ces mastodontes géopolitiques ont très vite saisi que les pouvoirs politique et économique résidaient désormais dans la maîtrise des « doubles numériques » dans cette « nouvelle réalité » : maîtrisez les données des hôpitaux, des entreprises, des citoyens, des administrations, des services publics, c'est aussi maîtriser l’adversaire géopolitique et le concurrent économique à son épicentre. L’annexion subreptice de la réalité ne sera pas territoriale cette fois, matériel et physique, ni ne se traduira par une OPA hostile : mais l’effet final produit sera tout aussi catastrophique et funeste pour les perdants, les loosers les laissés pour compte : les plus faibles.

C'est ainsi que les entreprises technologiques sont naturellement devenues les nouveaux bras armés des États dont elles dépendent, et se sont lancées à cet effet dans la construction rapide d'immenses monopoles plurisectoriels, afin d'annexer le terrain à bas bruit. Et cela de manière déterminante et particulièrement discrète. Ce monopole de la donnée est parfois renforcé par la réglementation elle-même, comme ce fut le cas aux États-Unis, avec l'adoption à la dérobée du fameux Cloud Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act). Quand 80 % des sociétés du CAC 40 et 70 % des licornes hébergent leur Cloud ou utilisent les services d’Amazon Web Service, et que bon nombre de collectivités territoriales ou de ministères exportent, concèdent et stockent leurs données auprès de sociétés américaines, l’inquiétude est bien entendu de mise. Les bonnes intentions d’apparat ne changeant rien à l’affaire, ni mêmes aux réalités techniques. Marketing que tout cela.

Pour comprendre l'essence même de leur stratégie commerciale, il faut aussi comprendre leurs aspirations profondes, mêlées d’une volonté de dépasser les limites biologiques de l’humain, de proposer une nouvelle métapolitique et d’imposer des monopoles sectoriels (A cet effet, dans un article très informé, le MIT Technology Review par exemple est revenu sur la passion de l’entrepreneur Sam Altman, fondateur d’OpenAI, et de ChatGPT pour ses investissements de 180 millions de dollars, dans des innovations visant à rallonger la vie d’une personne de 10 ans, en lui injectant du « sang jeune », à travers sa startup « Retro Biosciences »). Avec en ligne de mire, l’objectif de devenir le numéro un de l’intelligence artificielle. « Celui qui deviendra leader en ce domaine sera le maître du monde » avait affirmé le président Poutine, le 1er septembre 2017 devant des étudiants de la ville de Yaroslavl en Russie. Pour ce faire, la mainmise sur les données de nos citoyens, de nos entreprises et de notre État doit être une priorité absolue de sécurité nationale pour la France. Une course folle à l’appropriation du nouveau monde, carburant allègrement à la data, est lancée pour une domination politique, économique et sociale mondiale : n’en soyons pas les perdants…

 Une domination qui répond à un mode opératoire bien précis : la stratégie du criquet dites-vous ? 

Le mode opératoire est toujours le même : sa première phase d’action consiste en la conclusion d’un contrat avec un acteur du secteur cible (partenariat, contrat de service), la deuxième phase, en l'étude et l'analyse du mode de fonctionnement du secteur considéré (chaîne de valeurs, technique, process…), la troisième phase consiste à phagocyter le partenaire, parfois même en jouant de la « coopétition » (qui est une collaboration ou une coopération de circonstance ou d'opportunité entre différents acteurs économiques qui, par ailleurs, sont des concurrents), la quatrième phase opère la création progressive d’un lien de forte dépendance voire d’un monopole dans le secteur cible. Ayons toujours à l’esprit cette citation du très offensif et libertarien Peter Thiel, cofondateur de Paypal avec Elon Musk et Palantir Technologies avec Alex Karp : « la concurrence est une idéologie qui déforme notre pensée ». Nous sommes en Guerre avec des alliances qui se créent au fil du temps, et pouvant, à terme, déstabiliser la France, l’Europe et nos populations dans leurs grands ensembles : politiquement, économiquement et socialement. Car la coopétition est aussi l’antichambre de la trahison, où prime est toujours à l’attaquant.

Tous les accords préalablement cités entre nos champions français, tous secteurs confondus, et les GAMMA (anciennement GAFAM, suite au changement de nom de Facebook en « Meta ») ne sont que l’exécution d’un nouvel ordre mondial souhaité par les États-Unis : la mise en coupe réglée des économies des pays « alliés » ou « tiers », pour servir leurs propres enjeux de puissance et assurer leurs monopoles. A nous, la France, de reprendre les rênes de notre destinée collective, et de défendre jalousement nos intérêts stratégiques, en conservant et développant à notre échelle ce qui fait notre richesse et notre puissance commune.

Quelles solutions mettre en place ? N’est-il pas déjà trop tard ?

Nous sommes d’invétérés optimistes et avons fait notre mantra cette citation d’Héraclite : « Si tu n’espères pas, tu ne trouveras pas l’inespéré, qui est introuvable et inaccessible ». Donc non, il n’est jamais trop tard : retroussons nos manches et passons à l’action. Les temps des réflexions creuses et de la théorie sont révolus. Nous avons l’un des meilleurs guides qui soit en la matière : les États-Unis d’Amérique eux-mêmes ! Aussi étrange que cela puisse paraître, si nous réussissons à déployer la même stratégie à notre échelle, tant au niveau national qu’à l’international, et bien nous compterons de nouveau dans l’écosystème mondial et nous ne serons plus les vaches à lait d'autres puissances, mais de véritables alliés, non des aliénés... Sachons en tirer les leçons pour notre avenir, et le meilleur parti. Il en va aussi de notre grandeur et de notre dignité.

Mais concrètement comment fait-on ?

Il faut prioritairement en finir avec les « c’est compliqué », « globalement on s’en sort », « nous n’avons pas d’autres choix », « c’est risqué »… des expressions qui traduisent plus un conformisme intellectuel et un défaitisme chronique, qu’un état d'esprit tenace et combattant. Aujourd’hui, nous devons nous adapter ou nous serons très vite condamnés à disparaître inéluctablement dans les bas-fonds des classements internationaux. Avec la méthode américaine chevillée au corps, et réadaptée pour nous, nous pourrions être redoutables et renouer avec une croissance pérenne en devenant anticipateurs et résilients face aux crises qui s’annoncent. Nous ne pouvons naturellement pas être exhaustifs sur les opportunités de développement à enfourcher dans le cadre de cet article, mais nous pouvons toutefois donner quelques exemples d’actions très concrètes à mener. Le cap est assez clair.

Il nous faudrait déployer dans un premier temps une politique volontaire en faveur de l’intelligence collective. Mettre en ordre de marche les dirigeants d’entreprises, banques, investisseurs, universités, centres de recherche et collectivités territoriales avec comme objectif prioritaire, la souveraineté numérique qui est l'un des paramètres à l'épicentre de notre souveraineté nationale. Un préambule indispensable et sans lequelle nous ne pourrons pas reconquérir de souveraineté industrielle, agricole, médicale ou alimentaire… Stoppons également l’hémorragie ! Des territoires qui acceptent des caméras de fabrication chinoise sur leur sol « parce que c’est gratuit » comme le fit la Ville de Valenciennes (depuis, celle-ci s'en est défait mais pas pour les raisons que l’on croit), qui, comme Drancy, choisissent les services d’AWS, qui, comme la Région Grand Est, acceptent de verser des subventions à Huawei, une BPI qui conclut elle aussi un partenariat privilégié avec Amazon Cloud sous prétexte qu'il s'agit de « la meilleur option technologique possible » pour le stockage massif des données stratégiques des entreprises françaises  ayant souscrit un PGE, une DINUM (Direction Interministérielle du Numérique) sélectionnant, pour son catalogue GovTech, Google Workspace parmi les solutions dites  « de confiance » préconisées aux services publics... Tout cela laisse les observateurs avertis pantois, et nos amis américains naturellement goguenards. On le serait pour moins !

Retrouvons pour nous-mêmes les chemins de la puissance : aujourd’hui la France s’enorgueillit d’avoir quelques licornes technologiques avec au capital (ou comme prestataires) des GAMMA ou des BATX. Aujourd’hui la Défense française continue à utiliser des technologies américaines (notamment Palantir Technologies). Aujourd’hui nos PME les plus talentueuses et les plus innovantes se font racheter à la volée, et ne croissent donc plus pour devenir des ETI, comme le souligne d'ailleurs une très récente étude de l’INSEE en ce début d’année 2023. C’est dramatique, et c’est un appauvrissement programmatique supplémentaire de la France.

Imitons les meilleurs : nous ne voyons pas cela se produire aux États-Unis. Les Américains ont une acception très large de ce qui relève des OIV (opérateurs d’importance vitale), et de la notion fondamentale de « sécurité nationale » : nul investisseur étranger au capital des GAMMA, ni de tout autre entreprise stratégique. Et nul investisseur subrepticement toxique pour les intérêts de la nation américaine n’est accepté, sous peine de sanctions très lourdes. Les États-Unis soutiennent activement leurs pépites nationales grâce à une commande publique forte et innovante, empreinte de cette culture de la sécurité nationale. N’oublions pas qu’Amazon et Microsoft doivent leur puissance actuelle à la commande publique de l’État américain qui, depuis leur création initiale, et très en amont de leurs succès actuels, est un soutien financier indéfectible et de poids. Un exemple récent : le ministère américain de la Défense a confié la fourniture de son Cloud pour 9 milliards de dollars à quatre géants américains du secteur que sont Amazon, Google, Microsoft et Oracle. Au-delà des compétences technologiques, il ne leur serait pas venu à l’esprit une seule seconde d’avoir des opérateurs étrangers dans la boucle. Les États-Unis ont une stratégie de croissance claire, et coordonnent toute la chaîne d’exécution (des politiques jusqu’aux entreprises privées, en passant par les centres de recherche, les banques, les universités et les investisseurs). Ils ont une culture du risque, du résultat, de la stratégie globale et de long terme à impacts déterminants. En d’autres termes, aux États-Unis : il y a toujours un pilote dans l’avion !

En définitive, il nous faudrait d’urgence déployer une stratégie d’acculturation à l’écosystème et à la géopolitique de la donnée ?

Que nous soyons chefs d’entreprise, syndicalistes professionnels, magistrats, policiers, élus locaux, fonctionnaires territoriaux, étatiques, hospitaliers, salariés, commerçants, artisans, journalistes et même artistes (et nous en oublions), quel que soit le métier considéré ; exercé et même si nous n’exerçons aucun métier ; nous devrons tous comprendre les logiques du monde en pleine mutation dans lequel nous vivons. Bien entendu à des degrés différents selon les fonctions exercées, mais chacun devrait pouvoir disposer d'un minimum de connaissances vitales pour pouvoir agir au quotidien, en pleine conscience. Ce qui nous éviterait peut-être de découvrir, par exemple, sur étagère au Salon des Maires de France, une promotion appuyée de technologies étrangères d'ingérences fallacieuses, avec pour clef d'entrée royale dans l'écosystème France : nos collectivités territoriales.

Tout cela implique, bien évidemment, une grande réforme des enseignements au collège, au lycée et dans le supérieur pour former nos plus jeunes générations au cœur de nos territoires. Il faut en finir avec les soutiens financiers déployés par des puissances étrangères, œuvrant en sous-main contre nos intérêts fondamentaux en formatant les cœurs et les esprits de nos plus jeunes, destinés à leur servir un jour de relais ou de piétaille opportune. L’Éducation nationale est le terreau de notre démocratie. Le numérique souverain son bras armé pour aguerrir nos jeunes et notre corps enseignant, afin de produire une éducation performante pouvant les accompagner dans leur devenir de citoyens : libres et éclairés contre les influences néfastes à notre cohésion nationale, et à nos intérêts communs. 

Malheureusement, il ne peut y avoir d’acculturation efficace sur ces thématiques souveraines, sans sanctions fortes à la clé pour les récalcitrants ?

Aux États-Unis, nous n’aurions jamais de direction d’incubateurs comme en France, proposant, sans complexe, un panel de technologies étrangères – s'invitant tel un loup dans la bergerie – pour manager les start-up américaines les plus prometteuses, sous peine de sanctions pénales très lourdes pour les mauvais élèves. A l'image de l'encombrant TikTok, il est parfaitement prohibé de proposer ou d'user de technologies qui pourraient mettre à mal ou nuire à terme ; ou même, contrevenir aux intérêts des acteurs de l’économie américaine et à la sécurité nationale des États-Unis par conséquent : American first !

En France, nous avons également la chance de disposer d'un article du code pénal qui pourrait être très efficace et dissuasif s’il était appliqué... : l’article 411-6 du code pénal selon lequel « le fait de livrer ou de rendre accessibles à une puissance étrangère, à une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont l'exploitation, la divulgation ou la réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation est puni de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 euros d'amende.»

Il s’avère d’une rare efficacité sémantique pour convaincre les plus récalcitrants de l'impétueuse nécessité de cesser de sous-traiter tout stockage et traitement de données sensibles, auprès d'opérateurs liés à des puissances étrangères pouvant porter atteinte à nos intérêts fondamentaux. Par « intérêts fondamentaux de la nation », il faut ici entendre, selon l’article 410-1 du même code, « son indépendance, (…) l'intégrité de son territoire, (…) sa sécurité, (..) la forme républicaine de ses institutions, [les]moyens de sa défense et (…) sa diplomatie, (…) la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, (…) l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et [les] éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ».

Enfin, la France devrait adopter des lois à portée non seulement nationale, mais également  extraterritoriale, et conclure des traités internationaux pour défendre ses prérogatives, afin de construire de véritables alliances stratégiques – beaucoup plus « équilibrées » – face à des partenaires potentiellement indélicats.

A quand un FARA (Foreign Agents Registration Act) à la française ? Quid de l'emprise croissante des multinationales américaines du conseil diligentées sur la reformes de nôtre Etats, un phénomène propice aux conflits d’intérêts ?

En effet, cette loi américaine adoptée dès 1936 et toujours en vigueur, exige la divulgation périodique de toutes les activités et de toutes les finances de la part des personnes et organisations contrôlées par tout gouvernement étranger, ou toute organisation ou personne hors des États-Unis ou si ces personnes et organisations agissent sur « ordre, à la demande ou sous la direction ou le contrôle » de ce mandant principal, ou de personnes « contrôlées ou subventionnées en grande partie » par ce mandant. Notons par ailleurs que le suivi de l’application du FARA est assuré par une unité du contre-espionnage et de contrôle des exportations, elle-même rattachée à la division de la sécurité nationale du Ministère de la Justice DOJ). En juillet 2020, sous la présidence Trump, le procureur général William Barr avait prévenu les entreprises et les dirigeants américains que le fait de défendre les intérêts du gouvernement chinois (sans se déclarer) pouvait enfreindre les exigences du FARA. C'est donc une affaire très sérieuse. Le FARA est l'une des très nombreuses lois fédérales visant les personnes appelées « agents étrangers ». Il existe des lois fédérales exemptant des agents autrement couverts (par exemple, par la loi sur les relations avec Taiwan et le Pacte de libre association avec les États fédérés de Micronésie et les îles Marshall). D'autres textes concernent des agents spécifiques ; la loi Antiterrorism and Effective Death Penalty Act of 1996 interdit, entre autres, la collecte de fonds au profit d’organisations étrangères désignées par les États-Unis comme terroristes.

RT (chaîne de télévision) dans sa version « américaine » s'était officiellement enregistrée le 13 novembre 2017, comme « agent étranger », et était tenue de divulguer des informations financières. La chaine a depuis été interdite aux Etats-Unis. Quelle est sa véritable portée ? La loi exige la divulgation périodique de toutes les activités et de toutes les finances par : les personnes et les organisations contrôlées par tout gouvernement étranger, ou toute organisation ou personne hors des États-Unis (« mandant étranger »), s'ils agissent « sur ordre, à la demande ou sous la direction ou le contrôle » (c'est-à-dire en tant qu'« agents ») de ce mandant principal, ou de personnes « contrôlées ou subventionnées en grande partie » par ce mandant. À titre d'exemple, les organisations agissant sous un tel contrôle étranger peuvent inclure des agents politiques, conseillers en relations publiques, lobbyistes, agents de publicité, employés de services d'information, consultants politiques, collecteurs de fonds ou des personnes ou organisations représentent une puissance étrangère devant toute agence ou fonctionnaire du gouvernement des États-Unis. La loi FARA exclut les services d'information ou de presse n'appartenant pas au mandant étranger. Des exemptions existent aussi pour les organisations engagées dans « des activités religieuses, scolaires, universitaires ou scientifiques ou des beaux-arts ». De même pour celles « ne servant principalement aucun intérêt étranger ».

« Énarchie » versus « consultocratie ? » : ou comment sous l’influence de la Nouvelle Gestion Publique, nos gouvernants ont accru depuis les vingt dernières années le recours aux services des consultants en management du secteur privé pour gouverner le pays. On rappellera pour mémoire qu’avant la dernière campagne présidentielle, à la demande des groupes communiste et écologiste, une « commission d'enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques » avait débouché sur un rapport tout à fait explosif, mettant en lumière une mécanique problématique pour la démocratie elle-même. Certains observateurs ont même inventé le terme de « consultocratie » pour décrire ce nouveau pouvoir des consultants diligentés dans la gestion publique. Analysant le cas de la réforme de l’État en France depuis les années 1980, certains spécialistes ont montré que l’existence d’institutions comme l’École nationale d’administration et les grands corps constitués ont eu pour effet de restreindre l’accès des consultants au marché de l’Administration centrale. Dans d’autres pays, le vide causé par l’absence d’institutions comparables a fait en sorte que les décideurs publics ont davantage eu recours aux cabinets de conseil américains pour moderniser leurs États. L'emprise croissante des multinationales américaines du conseil n'est aujourd'hui plus à démontrer. Mais en perçoit-on clairement toutes les conséquences ? En déléguant ainsi sa capacité d'analyse, l'Etat français paraît n'être désormais que l'ombre de lui-même, condamné à consommer des solutions toutes prêtes, « vendues sur étagères », la plupart du temps inutiles, et qui ne servent plus l'intérêt général mais au contraire certains intérêts extraterritoriaux tout à fait particuliers… Portée par une idéologie qui dépossède en douce les citoyens de leur pouvoir de décision, la gestion de l'action publique sous influences extérieures, se réduit désormais à un exercice de communication, à grand renfort de « Nudges unit » paternalistes, fondés sur une version marketing et très souvent frelatée des sciences comportementales. Au-delà du scandale McKinsey qui a révélé les sommes astronomiques que facturent ces cabinets de conseil américains à notre Etat, le recours systématique aux agences de conseils étrangères correspond à un véritable bouleversement démocratique. Cette marchandisation de l'Etat, voire même son auto-liquidation par lui-même, avec l'opacité assumée des process de décision comme doctrine, relègue chacun de nous dans un rôle de « sous-citoyen », et stérilise corrélativement notre vie publique faute de débats ouverts. Afin de protéger notre démocratie contre l'ingérence des cabinets de conseil étrangers sous commandite dans nos politiques publiques, des propositions concrètes devraient permettent de restaurer la fonction de l'Etat et du Parlement, et réarmer notre magistère moral libéré de l'influence nocive de ces nouveaux « maitres penseurs ».

Tel que le suggèrerait Hubert Védrine lors d’un entretien, et paraphrasant ces propos : face à l'adversité, redevenons des machiavéliens par l'adoption d'une conception plus rusée, plus astucieuse, plus finaude, plus futée, ou bien plus habile de notre politique étrangère dans les relations internationales, prônant la reconquête et la préservation de notre autonomie stratégique par tous les moyens disponibles. Les Ukrainiens en savent quelque chose et imposent leurs vues sans conteste : cette méthode ne coûte rien en définitive, si ce n’est de l’énergie, l’aguerrissement de nos consciences collectives et une volonté de résistance indéfectible pour mener les femmes et les hommes vers un objectif commun d’importance vitale, qui peut collectivement nous rapporter. La solution est donc bien plus philosophique, managériale et politique que technologique… Une question de gouvernance, de réarmement moral et d'intelligente mêlés. D'aucuns appellent cela : l’instinct de survie ! La réponse est en nous. L’affaire McKinsey qui connait un nouveau tournant avec la double-enquête du PNF demeure au centre du débat, comme la question du conflit d’intérêt et de la gymnastique problématique mais courante, entre les missions publiques et les intérêts privés.

L’Europe peut-elle être une alliée plutôt qu'une simple roue de secours ?

Lorsque l’on étudie le dernier accord conclu le 25 mars 2022 par Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, nous pourrions légitimement en douter. Mais là encore notre optimisme prend le dessus. Il est vrai que cet accord sur le transfert des données personnelles aux États-Unis est surprenant, alors même que les Américains n’ont pas changé leur réglementation en matière de captation pour « suspicion de violation du droit américain » (Cloud Act), et qu’au contraire ils l’ont même renforcée en sourdine, à travers leur législation secrète sur la sécurité nationale et le Freedom Act. Au mépris total du droit des nations européennes. Un accord sur fond de crise énergétique qui pourrait se résumer, en somme à, « je te vends mon gaz de schiste, tu me donnes tes données » comme le souligne le Député Philippe Latombe dans La Tribune du 10 octobre 2022. Un troc énergie contre data aussi dangereux que déséquilibré, et portant indubitablement atteinte à nos intérêts vitaux en matière de sécurité nationale.

Sur le papier, l’Europe a, pourtant, tout pour devenir ce rempart nécessaire. Ce qui peut paraître surprenant par ailleurs, dans la mesure où la souveraineté des États ne relève incontestablement pas de ses attributions. Nous nous heurtons ici, il est vrai, aux limites du droit européen. Toutefois, l’Europe peut imposer des règles permettant de défendre les intérêts économiques des États membres, en protégeant leurs données et évitant l’intrusion de puissances non-européennes qui pourraient déstabiliser l’économie et les démocraties européennes. L’Europe aurait également une action fondamentale à mener en matière de protection des droits de l’Homme. En effet, des algorithmes programmés « hors Union », des intelligences artificielles mal maîtrisées par leurs programmateurs peuvent très vite nous poser des questions éthiques et réglementaires (sur les limites à ne pas dépasser, la démission de la pensée au profit de l’automatisation, la protection de l’Humain, la défense de la pluralité des pensées contre l’uniformisation proposée par les fournisseurs d’intelligence artificielle…). A partir de quand devrons-nous dire stop aux projets fallacieux de multinationales qui auront développé des technologies funestes pour l’équilibre de nos écosystèmes politiques et sociaux ? Autant de questions démocratiques posées auxquelles devront répondre prioritairement les États membres, pour se protéger et construire leur propre performance.

Finalement, avoir l’audace de dire « non » et d'imposer notre vision de la puissance, tout à la fois protectrice, éthique et émancipatrice, tel devrait être l’enjeu prioritaire pour la France.

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