70 ans de l’ENA : comment les élites françaises ont transformé l’école qui les forme en machine à étouffer le politique<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Ecole nationale d'administration fête ses 70 ans.
L'Ecole nationale d'administration fête ses 70 ans.
©Reuters

Paradoxe

A l'occasion des 70 ans de l'Ecole nationale d'administration, Luc Rouban publie avec le Cevipof une étude intitulée "L'ENA ou 70 ans de paradoxe", dans laquelle le chercheur analyse les origines sociales et les carrières des élèves. Dans son livre "La ferme des énarques" publié début septembre chez Michalon, Adeline Baldacchino mène quant à elle un "réquisitoire positif" sur l'Ena, une école où tout est à réformer.

Adeline Baldacchino

Adeline Baldacchino

Adeline Baldacchino est ancienne élève de l'ENA et écrivain, auteure notamment de La ferme des énarques (Michalon, 2015) et Notre insatiable désir de magie (Fayard, 2019). 

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Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Atlantico : L'esprit et le projet formulé par Michel Debré à la fin de la Seconde guerre mondiale a-t-il été respecté ?

Adeline Baldacchino : Non, clairement pas, quand on considère le projet : « développer le sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne et les moyens de les bien remplir. » Il suffit d’interroger les élèves en sortie d’école (évidemment pas en pleine scolarité quand le couperet du classement pèse sur leur tête, méthode stalinienne s’il en est, mais encore employée tout récemment !) pour voir ce qu’il en est du niveau d’estime portant sur les contenus –on peut lire aussi La Fabrique des énarques de Jean-Michel Eymeri paru en 2001 chez Economica pour une analyse fine du terrain.

Le problème aujourd'hui, c'est qu'on en sort plus démuni intellectuellement qu'avant d'y entrer, mais plus fervent caméléon : excellent en communication politique, pauvre en recul critique. On louvoie alors au mieux du temps de l’urgence administrative, en miroir du temps de l’urgence politique et loin des temps longs nécessaires à la vision de l’action publique. En cela, l’esprit initial est parfaitement trahi. On reste d'ailleurs étrangement dans ce mythe d’une scolarité d’excellence alors même que tous les élèves avouent ne pas avoir appris grand-chose en dehors des stages.

Le diagnostic est partagé, même François Hollande créait dans la promo Voltaire le « CARENA », comité pour la réforme de l’ENA… Mais quelques années après, on se tait et on oublie. On préfère oublier. Au demeurant, comment ne pas voir que « quelque chose est pourri au royaume du Danemark » quand une telle méfiance se fait jour à la simple mention de « l’énarque » ? Il faut prendre au sérieux ce sentiment, comprendre où l’école a échoué pour se donner une chance de réparer les erreurs plutôt que de les ignorer.

Luc Rouban : Il existait deux objectifs en 1945.

Le premier était de faire appel à toutes les forces vives de la nation pour renouveler les élites de l'Etat, en s'adressant à de jeunes diplômés, surtout talentueux et désireux de développer une France moderne après la guerre.

Le deuxième était d'unifier la formation et de casser le système très segmenté, très cloisonné, et très élitiste, voire très politisé.

Il s'agissait de créer une sorte de technocratie moderne et dynamique, mais en ouvrant justement le milieu et en faisant en sorte de ne pas recruter ses élites parmi la haute bourgeoisie. Cet esprit de renouvellement des élites était une motivation principale de la création de l'institution.

Lorsque nous analysons en 70 ans, les profils sociaux et les ressources sociales des étudiants (non seulement le capital économique mais également le capital scolaire), nous découvrons qu'en ce qui concerne les recrutements par concours des étudiants, il existe une concentration de ressources de plus en plus forte. En outre, après une démocratisation relativement sensible dans les années 50, le recrutement social s'est de nouveau fermé. L'objectif n'a en ce sens vraiment pas été atteint.

En ce qui concerne les carrières, le système corporatif français – qui distingue les grands corps des autres de la fonction publique – a conduit à une fracture. Ceux qui sortent dans les grands corps de l'ENA ont des carrières de très haut niveau. Depuis les années 80, ils se dirigent de plus en plus souvent vers les entreprises et dans les entourages politiques. Nous constatons une diversification de l'élite de l'élite. A côté de cela, il existe une fracture avec tous ceux qui ont passé les concours internes, qui sont des fonctionnaires plus âgés et qui n'accèdent pas aux mêmes responsabilités. Cette unification désirée ne se concrétise pas dans les carrières.

Globalement, le bilan n'est donc pas positif.

Il y a en outre point qui est loin d'être éclairci à l'ENA. Le classement de sorti est très opaque et a souvent été contesté par les énarques eux-mêmes. Certaines promotions ont refusé de jouer le jeu du classement. Il faudrait moduler les épreuves de concours pour changer le profil des candidats. Si le système était vraiment méritocratique, comment se fait-il que ceux qui rejoignent l'IGAS, sont issus à 80% des classes les plus élevées de la population française ? Certains anciens directeurs de l'ENA l'ont avoué.

Il faut malgré tout souligner que l'ENA a su recruter et former par le biais de son concours interne, des hommes et femmes plutôt modestes, et qui ont pu accéder à des fonctions importantes, par exemple dans le corps préfectoral. Avant, ces métiers étaient inaccessibles à des personnes issues d'origine modeste. Il faut être honnête, le concours interne est plus diversifié sur le plan social. Il y a eu un progrès comparé à autrefois.

Un des reproches récurrents fait à l'encontre des énarques est leur déconnexion à la réalité et à la société, ainsi que de côtoyer, dès leur entrée en stage, des salons d'ambassadeurs ou autre niche, plutôt que de passer du temps dans un service public au plus proche de la société. Est-ce selon vous cette déconnexion de la pensée avec le terrain est-elle une réalité ?

Luc Rouban : Je ne crois pas. Il s'agit souvent d'un argument développé par des énarques eux-mêmes. Au regard des carrières, les membres des grands corps sont particulièrement mobiles : ils dirigent des entreprises privées avec des politiques de gestions humaines très exigeantes, des banques à l'étranger. On ne peut pas dire qu'ils sont déconnectés. Au contraire, ils prouvent une parfaite adaptation à la mondialisation financière. S'il y avait une critique à soulever, il s'agirait davantage du ralliement des anciennes élites de l'Etat au capitalisme international financier.

En outre, il faut reconnaitre que le système des stages à évolué, beaucoup de stages ont été organisés du côté de l'Union Européenne, au sein des entreprises privées… Il n'y a pas que les ambassades, il ne faut pas caricaturer la situation. Cela arrive peut-être encore mais la situation a changé. La plus part des étudiants arrivant à l'ENA sont par ailleurs déjà diplômés d'avant, et ont déjà eu l'occasion de réaliser plusieurs stages.

Il faut veiller à ne pas tomber dans une théorie complotiste en pensant qu'il s'agit d'une oligarchie secrète qui fréquente les mêmes salons, les mêmes clubs, et qui complote dans le dos du peuple et de la démocratie. Il faut arrêter ce genre d'argumentaire, il s'agit en quelque sorte d'un fantasme paranoïaque.

Adeline Baldacchino :Cette déconnexion n’est ni une fatalité ni un poncife. Nous ne sommes pas tous « déconnectés », évidemment, mais rien ne garantit que nous ne le devenions pas. Car il ne suffit pas d’utiliser le « mantra » du « terrain » et de dire que les élèves sont « en stage ». En stage pour faire quoi ? Ce n’est pas la même chose d’être en stage comme « agent des services hospitaliers », à passer le balai, à servir les repas, à vivre le quotidien des agents, comme le font tous les aspirants directeurs d’hôpital, que de passer des mois dans le « corps préfectoral » comme un jeune énarque. On peut avoir la chance –ce fut la mienne- de tomber sur un préfet de choc, énarque ou non, qui aime le terrain et se collette avec lui et y envoie son stagiaire. Mais c’est loin d’être le cas de tous.

Je dis que l’on doit vivre au contact des gens qui ne savent pas ce qu’est un énarque et s’en portent très bien. On me répond qu’il y aura bientôt un « stage de guichet » de quelques jours - les membres du conseil d’administration de l’ENA eux-mêmes, perplexes, se demandaient s’ils ne s’agirait pas là d’un alibi et de tourisme administratif…On nous dit aussi que les élèves auront du « temps libre » à dédier à la vie associative. Encore heureux, et bien souvent, ils n’ont pas attendu l’ENA pour cela ! Mais c’est tout la différence entre la conception chrétienne de la charité – facultative, volontaire, incitative – et une politique sociale – rationnelle, universelle, obligatoire. Le « terrain » ne peut pas être une option pour les élèves au grand cœur qui n’ont pas attendu cela. Il doit faire partie intégrante de la scolarité au sens où les stages propulseraient chacun et tous au cœur des endroits où l’on souffre, où l’on rame au quotidien, où la société civile et l’administration du bas de la pyramide font des miracles. Il existait des stages ouvriers à une époque, plébiscités  d’ailleurs. Pourquoi ont-ils disparu ?

On annonce une énième réforme cosmétique : on a en fait changé l’ordre des modules et rajouté du « management public » selon la grande mode du « new public management » qui fait des ravages en oubliant la différence entre l’administration d’une entreprise et celle d’un Etat. Il faut quand même lire ces papiers surréalistes qui fixent par exemple pour objectif au module « territorial » de « comprendre les modalités de conception des politiques publiques dans le continuum conception/pilotage/mise en œuvre ». Quand on ne sait pas ce qu’on raconte, on le raconte avec des mots anglo-saxons qui sonnent « moderne ». On promet du « reporting », on veut faire du « design » de politiques publiques, on convoque des cabinets de « coaching » pour énarques en détresse, on organise des « journées start-up ». On fait dans la poudre aux yeux en accumulant des mots-clefs (« compétences génériques ») qui ne recouvrent pas grand-chose. On annonce des cours facultatifs numériques sur le droit de la fonction publique.

Très bien, on regarde tous des vidéos le soir, et ça peut être un cours de déontologie comme une série américaine, mais où est la valeur ajoutée de l’école ? Où sont les séminaires de philosophie politique, d’éthique économique et sociale avec des gens comme Alain Renaut, Philippe Van Parijs, Christian Arnsperger ? Où sont les grands économistes du moment qui débattraient sur les instruments de lutte contre le chômage ? Où sont les intellectuels ? Où sont les spécialistes des questions de bioéthique, de migration internationale, d’environnement ? Il faut changer ce logiciel, en finir avec l’affichage et la tendance « business school ». L’ENA n’est pas une école de commerce. Elle devrait être une école de la conscience publique. L’oublier, c’est nier l’Histoire, condamner au cynisme, préférer la complaisance au courage.

Quelle est la part d'énarques qui travaille dans un secteur politique ou politisé ? Dans quelle mesure les énarques sont-ils influents et prennent de la place en politique ? 

Luc Rouban : S'il y a bien une évolution très sensible de la cinquième république, c'est qu'à partir des années 80, le modèle gaulliste de l'appareil de l'Etat, c’est-à-dire, la neutralisation et la neutralité de la haute fonction publique, a été abandonné. Il s'agissait pourtant d'un élément essentiel de la cinquième république. Depuis nous avons assisté à une politisation croissante des sommets de l'Etat. Aujourd'hui, nous constatons des engagements partisans et politiques forts chez un certains nombres de haut fonctionnaires. Il est certain que les cabinets ministériels ne sont plus composés de professions techniques et d'experts comme avant, mais d'états-majors politiques. Il faut reconnaitre que le passage par un cabinet ministériel et son entourage constitue un accélérateur de carrière considérable pour un jeune énarque. Cela est un peu malsain, car le système il casse avec le modèle méritocratique. Les compétences de la personne sont moins regardées, que le poids de son réseau. Cette évolution est très sensible ces dernières années et elle est significative de la reprise en main de l'appareil d'état au sommet par les appareils partisans.

Adeline Baldacchino : Ce que je dénonce, ce n’est pas que les énarques soient auprès des politiques pour leur proposer des arbitrages ou mettre en œuvre des choix : c’est bien notre fonction ! Je dis au contraire que  nous devons être mieux et plus équipés pour cela, nous défaire du détestable réflexe de la fiche et des éléments de langage, du consensus le plus mou et de la voie la plus médiane. Il faut redonner sens à l’action en disant au politique : à vous de choisir, mais voici le monde des possibles qui s’offre à vous. Dans ce monde là, il n’y a pas que de la « contrainte budgétaire », de la soumission aux impératifs de la globalisation et autres tartes à la crème du renoncement. Il y a aussi le devoir d’inventer de nouvelles pistes, d’emprunter les chemins de traverse, de penser en dehors des clous. Sinon, l’on devient conseiller en communication des politiques : était-ce cela, notre vocation initale ? Parler du monde, ou le changer ?

Quelle est, justement, la place des réseaux et des passages publiques/privées ? Qu'implique le passage de l'un à l'autre ?

Adeline Baldacchino : Dès lors que l’on approche du cœur de l’Etat, il y a toujours des réseaux, des collusions possibles, des risques de conflit d’intérêt. Mais je ne suis pas convaincue que ce soit l’ENA qui les suscite : c’est plus globalement la proximité du pouvoir. Je ne veux pas entrer dans ce débat vieux comme le monde. Ce qui m’intéresse, ce sont les garde-fous que l’ENA devrait offrir, par la qualité d’une scolarité qu’elle prendrait enfin au sérieux. Il est caractéristique d’entendre la direction de l’ENA balayer du revers de la main toute voix dissidente – en qualifiant par exemple d’ « arrogante » ma démarche, qui serait celle d’une ancienne élève frustrée (on se demande par quoi, il se trouve que je suis sortie 10ème et à la Cour des comptes, et que je n’ai cessé de dire ce que je devais à la méritocratie, pour en être arrivée là après un bac dans un tout petit lycée nîmois et un DEA de Philosophie à l’université de Montpellier !). Mais on peut avoir été heureux à l’ENA et déçu de ce que l’on n’y a pas trouvé. Qualitativement, Sciences po est bien plus intéressant ! N’est-ce pas dommage, deux ans de perdus ? N’est-ce pas cela qui décourage aussi ceux qui partent, que ce soit pour pantoufler (user de leur carnet d’adresse), ou ceux qui s’en vont aussi pour autre chose, deviennent auto-entrepreneur, cherchent à être utile là où ils sont passionnés, se tournent vers la vie associative ? C’est ce débat-là qui m’intéresse, ce que l’on fait dans cette école –qui conditionne aussi le courage possible et la lucidité souhaitable une fois que l’on en est sorti.

Luc Rouban : Souvent, la constitution des réseaux se fait en amont dans les cabinets ministériels. Cela va faciliter le pantouflage dans le privé. Ceci étant, le modèle de pantouflage des énarques a évolué. Autrefois dans les années 60, nous étions parachutés en fin de carrière à la tête d'une grande entreprise. Depuis les années 80, le départ est beaucoup plus jeune (vers 30 ans), mais ils sont dirigés vers des postes plus modestes au sein des entreprises privées, car maintenant les énarques doivent faire leurs preuves un minimum et accomplir un certain nombre de mission. Il y a un la foi un départ plus précoce, mais une vraie évolution de carrière qui se fait au sein des entreprises privées.

Le pantouflage permet aux politiques d'avoir un réseau considérablement puissant qui permet de gérer les politiques financières, budgétaires et économiques en France.

Seulement, aujourd'hui, l'ENA forme une élite polyvalente qui n'a plus forcément le service public comme objectif central. Cela remet en cause l'objectif principal de l'école. Si progressisment, l'ENA devient un centre de formation d'élites polyvalentes, elle va forcément entrer en concurrence avec Sciences Po Paris, ou des grandes écoles de commerce. Cela veut dire aussi que cet appel vers le privé conduit les candidats à obtenir de plus en plus des diplômes vers de grandes écoles de commerce, type HEC et ESSEC. Il y a une forme de stratégie de carrière qui est mise en place, qui est très éloignée de l'esprit des pères fondateurs.

L'Affaire Pérol traduit bien cet esprit, et à sa suite il y a eu la loi de 2009 sur les conflits d'intérêts. En ce moment une nouvelle loi est travaillée pour renforcer les éventuels conflits d'intérêt, afin qu'il y ait d'avantage de transparence et de déontologie.

Comment est vu sur la scène internationale l'ENA ? Est-ce que les énarques sont reconnus à l'étranger et arrivent à décrocher des responsabilités importantes ?

Adeline Baldacchino : L’ENA est très particulière et souvent incompréhensible vue de l’étranger. L’importance qu’elle accord à la transdisciplinarité, à l’idée de former des généralistes, fait à la fois sa force et sa faiblesse. Force, parce que je crois à la dissémination et à la pollinisation des idées…à condition qu’il y ait des idées et pas un magma informe de conférences sans substance distillées au fil de l’eau. Faiblesse, parce qu’elle a renoncé à former à quelque chose – dans l’attente du Grand Soir du classement qui conditionne tout, les espoirs, les appétences, le futur des élèves. Il faudrait classer, ou affecter sans classement et par appariement entre besoin et vocation, beaucoup plus tôt dans la scolarité, puis  consacrer la deuxième année à acquérir une expertise et à apprendre un métier. Mais la direction l’avouait récemment dans un grand quotidien, avec une franchise qui laisse pantois : « l’école est un accélérateur de carrière ». Là encore, est-ce vraiment sa vocation, justement ? Est-ce cela qui intéresse le citoyen lambda, de savoir que l’Ecole permet à ses élèves de décrocher de belles timbales ?! Ce ne peut être un objectif.

Au demeurant, pour revenir à la question internationale, il s’opère un décrochage par rapport au format LMD (licence-master-doctorat) souvent requis à l’étranger, puisque l’école ne délivre aucun diplôme à proprement parler. Il faudra peut-être un jour songer à en faire un établissement public d’enseignement supérieur, qui délivrerait des doctorats, qui déroulerait (et pas seulement « afficherait ») un parcours pédagogique, qui se concevrait comme autre chose qu’une usine à faire du « retour d’expérience » et une machine à classer. Mais bien sûr, il est toujours plus simple d’avancer sur des rails que de reconnaître le problème d’aiguillage. PDVMVPDV… « pas de vagues, mon vieux, pas de vagues ». Et pendant ce temps, la colère gronde et les élèves le sentent bien et le reconnaissent volontiers, en petit comité, loin des caméras. Bref, on devrait partir d’une idée de bon sens : à quoi servons-nous, et à quoi sert l’Ecole ? Si l’on veut être fidèle à l’objectif initial, il faut en finir avec les grands mots (« ouverture », « Haute école du management public ») et regarder en face ce qu’ils recouvrent dans le réel. L’ENA comme village Potemkine du « management » moderne, ça ne peut plus leurrer personne. Il faut identifier les creux, les vides, les manquements, et les remplir, pas de mots et de formules toutes faites, mais de programmes et d’enseignants qualifiés. Sortir du syndrome des trois petits singes, empoigner le réel, c’est souvent le premier pas le plus difficile…

Luc Rouban : Il y a des secteurs internationalement reconnu à l'étranger, comme le réseau diplomatique français. Ce réseau a toujours été reconnu comme assez performant. En revanche, ce qui est curieux, c'est l'image que les autres pays ont de la France comme un rassemblement de hauts fonctionnaires juristes, alors qu'en réalité, les énarques sont de plus en plus formés à l'économie, et de moins en moins en droit. Le Français est vu comme le haut fonctionnaire intellectuel qui diffère du manager à l'Anglo-Saxonne. Dans les pays anglo-saxon vous avez l'image du manager, classe moyenne, plutôt technicien des politiques publiques, et de l'autre côté vous avez le modèle aristocratique français des grandes écoles. Les pays étrangers ne connaissent pas ce système de grandes écoles, mais aussi ce réseau de grands corps. Il s'agit chez nous de deux éléments qui sont directement issus de l'Ancien régime et de la monarchie.

Un critère ne trompe pas malgré tout. Si les énarques étaient si mauvais, nous ne les trouverions pas à la tête de grandes entreprises du CAC40. Les conseils d'administration ont suffisamment de visibilité pour repérer les dirigeants compétents sur le marché international, ou pas.

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