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5 pays aux exemples méconnus et qui ont pourtant réussi à contenir l’épidémie
©Manan VATSYAYANA / AFP

Lutte contre le Covid-19

De grandes différences existent entre les pays sur la gestion et les impact de la pandémie de coronavirus. Le Vietnam, la Jordanie ont anticipé la crise avec des plans de confinement déployés assez tôt. La Grèce a également réussi à surmonter la crise. Quelles mesures de ces pays auraient pu être appliquées en France ?

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Il semble exister de grandes différences entre la situation des différents pays dans la gestion et les impact de la pandémie. Existe-t-il des moyens pour analyser la situation des différents pays ?

Charles Reviens : La crise sanitaire liée à la pandémie covid-19 confronte tous les pays du monde à une situation dramatique a priori identique et constitue de ce fait un extraordinaire atelier de benchmark dans le domaine de la santé publique et de la performance des systèmes publics.

En acceptant de passer outre aux évidents et inéluctables écarts de comptage des cas et des décès covid-19, le nombre de morts rapporté à la population constitue un bon indicateur. Le tableau ci-après présente la situation des 20 pays ayant le nombre le plus élevé de morts par million d’habitants sur la base des données à date de l’université Johns Hopkins.

Sur ces 20 pays, qui totalisent 84 % du total des 258 256 morts du covid-19 recensés dans le monde, on constate une considérable surreprésentation des pays développés d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord (17/20), de l’OCDE hors Asie et Amérique du Sud (16/20), de l’Union Européenne hors Europe de l’Est (12/20) avec les trois pays occidentaux membres permanents du conseil de sécurité.
En revanche, l’Asie, quel que soit son niveau de développement et d’industrialisation, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud sont quasiment absentes de ce funeste top 20. Le covid-19 semble avoir frappé au cœur des pays riches, prospères et régulièrement présentés comme modèles : la crise sanitaire a renversé la table et il est intéressant de comprendre pourquoi.
On constate sur le même indicateur des situations extraordinairement contrastées entre la France, la Grèce, de la Jordanie et du Vietnam.

Entre la Jordanie, la Slovénie, le Vietnam, l'Islande et la Grèce, il y a peu de similitudes et pourtant chacun de ces pays a agi vite et efficacement contre le développement de la CoVid-19. Quelles sont les raisons de telles réussites ?

Stéphane Gayet : Ces cinq pays sont en effet fort différents, sur le plan de la population (de 0,36 million d'habitants pour l'Islande à 95 millions pour le Viêt Nam), de la latitude (10° Nord pour Hanoï, la capitale du Viêt Nam, et 64° Nord pour Reykjavik, celle d'Islande) et du climat, ainsi que celui de la culture. Ils ont en commun un gros potentiel touristique et un niveau de vie bas à moyen. Leurs régimes politiques sont eux aussi contrastés, mais ils ont tous les cinq un chef d'état (roi pour la Jordanie) et un gouvernement, forts et dans l'ensemble respectés et écoutés.

Le fait que ces cinq pays aient une forte activité touristique – qui compte copieusement dans leurs ressources – a certainement contribué à ce qu'ils soient plus particulièrement attentifs au contrôle efficace de leur épidémie.

Quand on analyse les mesures qu'ils ont prises pour combattre d'épidémie, on est frappé par plusieurs points communs qui se rejoignent et qui ont fait défaut aux pays ayant plutôt effectué une gestion amatrice et nébuleuse de cette crise sanitaire.

Le premier point qui frappe est une prise au sérieux précoce du danger épidémique, conduisant à des actions énergiques et sans délai (notamment en Jordanie et en Slovénie). Pendant que d'autres pays, sûrs de leur puissance sanitaire, palabraient et argumentaient, ces cinq pays – sans doute conseillés par de vrais experts compétents et expérimentés – décidaient et agissaient au plus vite. Dans ces pays, le danger représenté par la CoVid-19 est devenu très rapidement la priorité des priorités, alors que d'autres pays – à plus haut niveau de vie et confiants quant aux capacités de leur système de santé – donnaient la priorité à d'autres actions (comme des élections, par exemple).

Le deuxième point saillant concerne l'investissement concédé pour lutter efficacement contre l'épidémie menaçante. Il a consisté en l'achat de tests virologiques et de masques en nombre colossal (notamment en Islande et au Viêt Nam), et en la création de postes supplémentaires de médecins et de soignants paramédicaux (notamment en Grèce), sans parler des lits d'hospitalisation, singulièrement de lits de soins continus et de réanimation. Dans ces pays, on ne parle pas de guerre, mais c'est une mobilisation générale ; dans d'autres pays, on parle de guerre et on a bien du mal à lâcher de l'argent pour financer la lutte.

Le troisième point qui mérite une attention est la fermeté. Dans ces pays, le gouvernement gouverne sans tergiverser, sans se perdre dans des explications filandreuses et casuistiques. Les décisions sont prises, grâce au conseil avisé de vrais experts qui peuvent être étrangers, et grâce également aux recommandations internationales. Les décisions prises, elles sont appliquées et des sanctions parfois lourdes sont imposées et appliquées. C'est ce que l'on appelle être carré (et non pas hexagonal) ; certains disent que la France serait devenue ingouvernable ; toujours est-il que la fermeté y passe très mal (ou n'y passe plus : il faut en trouver les raisons).

Le quatrième point déterminant est la communication. Cette communication a été honnête : on a largement expliqué la réalité du danger épidémique et les conséquences sanitaires et économiques d'une épidémie grave. Avec une communication cohérente et faite pour des adultes, ça passe nettement mieux. Encore faut-il que les messages soient clairs, nets et précis. Mais quand on commence par dire que le masque n'est pas nécessaire, qu'il faut se frictionner les mains avec un gel hydroalcoolique toutes les heures et que la distance de sécurité est d'un mètre, on est assez mal parti.

Le cinquième point est bien entendu lié aux quatre autres : une relation de confiance réciproque entre le gouvernement et le peuple. Dans chacun de ces cinq pays, le peuple a fait confiance au gouvernement quant aux règles édictées et de ce fait, l'observance a été plutôt bonne. Bien sûr, il y avait en plus la menace de sanctions, mais tout de même ; cette confiance semble hélas absente (ou perdue) dans notre pays, on peut même dire qu'il existe une fracture entre la classe dirigeante et le peuple. Pourtant, cette relation de confiance est indispensable à la bonne exécution des règles.

Dans ces façons de gérer l'épidémie, il n'y a finalement aucun secret, aucune recette magique : on est réactif, avisé, responsable, ferme, clair et honnête ; on ne se croit pas le meilleur avec sa soi-disant élite oligarchique et ses experts contestables, mais on s'inspire des vraies expertises nationales et internationales, dans l'intérêt général du peuple.

Le Vietnam a développé les tests depuis janvier et la Jordanie a élaboré un plan de confinement avant l’arrivée du virus. La clef d’une bonne gestion de l’épidémie n’est-elle pas une bonne préparation en amont ? Pourquoi cela s’est passé différemment chez nous ? Comment certains de ces pays ont-ils réussi à tester leur population alors que nous n'avons pas eu les moyens de le faire ?

Charles Reviens : Le Vietnam indique n’avoir à déplorer à date AUCUN décès lié au covid-19, alors même que les premiers cas ont été identifiés à peu près en même temps qu’en France (fin janvier 2020).
Les pouvoirs publics vietnamiens semblent avoir réagi avec une extrême célérité qu’on retrouve d’ailleurs dans l’intégralité des pays de la zone : tests très rapidement disponibles et appliqués prioritairement aux personnes ayant les probabilités de contamination les plus élevées (de retour de Wuhan ou de Chine), puis les personnes symptomatiques, réduction drastique des vols internationaux provenant des zones à risques et contrôles stricts (prise de température, questionnaires santé) des passagers provenant de ces zones, placement des personnes positives en quarantaine dans des bâtiments dédiés mis à disposition à titre grâcieux, crédibilité forte de la communication des pouvoirs publics avec haut niveau de respect des règles de comportement social recommandées. Grâce à ces bons résultat, le Vietnam a pu remettre en marche son système scolaire et son système économique retourne à la normale.

La Jordanie (moins de 500 cas et 10 morts à ce jour) a eu la chance d’être impactée par le covid-19 avec un effet retard puisque le premier cas détecté date de début mars 2020. Toutefois le dispositif de gestion la crise sanitaire était en place avant même ce premier cas : mobilisation et adaptation du système hospitalier, lois d’urgence organisant un confinement strict et un couvre-feu sous le contrôle de l’armée, fermeture des frontières et quarantaine obligatoire pour les personnes de retours. Une sirène retentit dans tous le pays à 6 heures du soir pour signaler le couvre-feu et rappeler aux Jordaniens qu’ils doivent rentrer chez eux jusqu’à 10 heures le lendemain. Le traitement de la ville d’Irbid, foyer infectieux majeur, a fait l’objet d’un isolement total du reste du pays. La Jordanie vient de lever le confinement et autoriser l’ensemble des activités économiques sous réserve de précautions sociales.

Stéphane Gayet : Les champions des tests virologiques sont le Viêt Nam et l'Islande, qui ont investi massivement dans la détection des sujets infectés. On voit ici resurgir les lobbies pharmaceutiques. Pourquoi ces pays ont-ils autant investi dans les tests, alors qu'en France, ils ont été réalisés de façon particulièrement réglementée et sélective ? Cela relève d'une décision politique plus que scientifique.

Toujours est-il que ces actions de détection des sujets infectés à grande échelle, a vraiment porté ses fruits.

Le Viêt Nam a commencé à développer des tests virologiques, presque immédiatement après que trois personnes revenant en janvier de Wuhan, en Chine - le point de départ de la maladie –, aient été diagnostiquées comme infectées.

Son effectuation de tests virologiques a été croissante : tout d'abord, il a testé les personnes dont on savait qu'elles avaient voyagé, puis il a commencé à tester les contacts proches de ces personnes, et enfin, il a commencé à tester toute personne présentant des symptômes et signes de type CoVid-19.

Ce n'est que récemment que le gouvernement a commencé à effectuer des tests à grande échelle, dans les principaux points chauds et les endroits à risque élevé, comme les marchés de la ville de Hanoï.

En tout, cela représente de l'ordre de 300 000 personnes testées (soit environ la population de la ville de Nantes).

C'est donc un plan de détection ciblé et non pas un dépistage de masse : le fait de concentrer les ressources en tests virologiques sur les personnes proches des premiers malades et d'isoler celles qui présentent des symptômes et signes, a permis de casser l'épidémie à sa source ; les personnes infectées – où qu'elles soient dans le pays – étaient immédiatement placées en isolement pendant 14 jours et aux frais de l'état (l'auto-isolement à domicile n'est pas admis au Viêt Nam, car il est considéré comme non fiable).

Cette politique de tests virologiques ciblés et d'isolements tout aussi ciblés a bel et bien porté ses fruits.

L'Islande a testé 13 % de sa population avec l'aide d'une entreprise locale, De Code, qui a mis en place un programme de tests virologiques et de suivis performant, sans doute l'un des meilleurs au monde. Ce pays a véritablement effectué bien plus de tests pour 1 000 habitants que de nombreux autres pays.

Les personnes infectées ou en contact avec une personne infectée, ont été mises en isolement, jusqu'à ce que les symptômes et signes s'atténuent ou disparaissent, protégeant ainsi le reste de la population : le 5 mai, l'Islande n'a enregistré qu'environ 1 800 cas cumulés et seulement 10 décès cumulés.

La Grèce que l’on n’attendait pas surmonter la crise comme elle l’a fait a été exemplaire. Cependant le pays prévoit déjà d’accueillir des touristes cet été pouvant ainsi faire bondir le cas dans le pays. Ces pays ont gagné la première étape mais ne se réjouissent-ils pas trop vite ? Devons-nous observer attentivement ce qu’il se passe chez eux pour notre déconfinement ?

Charles Reviens : La Grèce fait partie des meilleurs élèves d’une Europe globalement très affectée par le covid notamment à l’Ouest. Les mesures mise en œuvre en Grèce ressemblent beaucoup au dispositif français (confinement, distanciation sociale, mobilisation de l’hôpital), mais avec la différence notable constituée par l’écart beaucoup plus bref entre l’identification du premier cas fin février et le déploiement du dispositif (mi-mars, comme en France alors que le premier cas est identifié fin janvier). Un point particulier des actions puissantes pour dissuader le tourisme.

Concernant la suite pour les trois pays, les mauvaises surprises ne sont pas impossibles mais il semble toutefois qu’il faudrait un colossal revers de fortune pour que le nombre total de morts dans les trois pays (0 au Vietnam, 9 en Jordanie et 146 en Grèce) s’approche des près de 26 000 morts en France ou 30 000 en Grande-Bretagne.

Stéphane Gayet : Tout le monde parle actuellement de la deuxième vague. Elle est annoncée partout, bien que certains scientifiques pensent qu’elle ne sera pas importante. La ville de Wuhan en a eu une, qui paraît cependant d’intensité relativement modérée (mais avec les Chinois, il est toujours difficile de connaître l'exacte vérité).

Il est exagéré de dire que ces pays se réjouissent : ils ont vite et bien agi, mais ils sont raisonnables. Ils ont appliqué à la lettre les recommandations internationales de gestion d’une épidémie et ils sont prêts pour la deuxième vague.

Nous suivrons bien sûr avec beaucoup d'attention ce qui va se passer chez eux ; mais ils savent ce qu’ils font, ils paraissent maîtriser la situation ; alors qu’en France, on a honnêtement l’impression d’une non maîtrise. Le confinement français n’est pas un franc succès, et on peut s’attendre à bien des ennuis avec le déconfinement.

Les élections municipales étaient plus une priorité que la menace d'épidémie en France et nul ne peut nier que nous avons dés le début pris un retard déterminant ; il n'est pas possible de le rattraper. Notre curiosité de janvier et notre expectative inactive de février et début mars ont considérablement nui à notre gestion de la crise sanitaire.

Alors, tandis que ces cinq pays « vainqueurs » ont déjà commencé à reprendre peu à peu leurs activités et dans la sérénité, nous sommes en France dans l'inquiétude fébrile car, malgré la publication récente de ces cartographies de France en couleur qui veulent donner l'impression d'un certain contrôle de la situation, nous avons essentiellement effectué une prévention massive et indifférenciée, dont les effets risquent fort de nous décevoir par leur caractère insuffisant.

Si au moins nous pouvions nous inspirer de la réussite de ces cinq pays : modestie, expertise, réactivité, honnêteté et fermeté.

Quelles sont les mesures de ces pays qui auraient pu être appliquées en France ? 

Charles Reviens : Les trois pays ne disposent absolument pas des ressources technologiques ou industrielles de la Corée du Sud ou de l’Allemagne mais rendent pour le moment des copies extrêmement solides dans la gestion d’une crise à caractère universel.

On peut toutefois identifier dans les trois pays des capacité de veille, de réactivité et d’anticipation qui semblent moins nettes en France mais également au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Cela passe par le sensibilité aux épidémies du fait du MERS-CoV en Asie pour le Vietnam, l’observation de la situation dans les autres pays pour la Jordanie pour profiter au mieux de l’effet retard. Cette anticipation, conduit à des plans d’action extrêmement rapides qui semblent extrêmement payants : la dure leçon de la crise sanitaire est que tout retard pris se paye extraordinairement cher tant en nombre de vies que de désorganisation économique.

Il y a toutefois des limites à la comparaison car l’analyse de la situation française doit prendre en compte des considérants d’organisation politico-administrative par exemple pour le système de soin. Mais les résultats à dates du Vietnam, de la Jordanie et de la Grèce ne peuvent que nous faire réfléchir.

En effet la crise a testé de façon brutale le niveau de préparation de l’écosystème sanitaire français, l’organisation et les moyens du système de soins et les capacités industrielles et technologiques du pays ; limites des moyens techniques de diagnostic (tests), des équipements de protection individuelle et des capacités hospitalières.

Un autre sujet de réflexion pour la France concerne les modalités de la communication publique durant la crise. La crédibilité, l’honnêteté intellectuelle, la cohérence et la constance de cette communication sont critique. Car « en démocratie, les gens sont intelligents et ont du bon sens » rappelait par exemple Jacque Delors.

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