3 quinquennats d’opposition…! Qui (et quoi) pour que la droite connaisse son 1981 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Valérie Pécresse prononce un discours après l'annonce des résultats prévisionnels du premier tour de l'élection présidentielle française, le 10 avril 2022.
Valérie Pécresse prononce un discours après l'annonce des résultats prévisionnels du premier tour de l'élection présidentielle française, le 10 avril 2022.
©ALAIN JOCARD / AFP

Déjà-vu

Avec sa 3 défaite présidentielle, la situation de la droite ressemble à celle qu’a connue la gauche pendant les débuts de Ve République. Sans que le macronisme n’ait -en l’état- accouché d’une force politique susceptible de s’inscrire dans la durée une fois Emmanuel Macron parti

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Pour la droite, cette élection aura sonné comme la troisième présidentielle ratée et la deuxième où le candidat de LR est absent du second tour. Pourtant la droite n’a pas été le seul bord politique à connaître de tels désarrois à ce scrutin. Aux débuts de la Ve République, la gauche fut elle aussi malmenée dans les urnes à trois reprises. Est-il possible de comparer la situation de la droite à celle de la gauche pré-1981 ? Comment est-elle sortie d’une telle ornière ?

Vincent Tournier : On se doute que la droite doit vivre dans la douleur la séquence qui vient de s’achever. Non seulement les Républicains ne parviennent pas à sortir de leur cycle de défaites depuis 2012, mais ils sont même tombés à un niveau tellement bas que la question de leur survie politique va se poser. En plus, leur ancien leader charismatique Nicolas Sarkozy a décidé d’abandonner le navire et de rallier Emmanuel Macron, ce qui sonne un peu comme un coup de grâce. Ajoutons cependant que la déception doit être au moins aussi grande du côté du Rassemblement national où le problème va bien au-delà d’un échec conjoncturel et interroge la possibilité même d’accéder un jour au pouvoir. C’est un problème qui n’a pas vraiment été abordé dans les commentaires : puisqu’une démocratie suppose que l’alternance puisse fonctionner, peut-on dire à 40% des électeurs qu’ils n’auront jamais le pouvoir ? La polarisation sur le scrutin proportionnel est une fausse réponse car, même si celle-ci est instaurée un jour, elle permettra au RN d’avoir des sièges au Parlement mais ne résoudra aucunement ce problème. Or, il semble difficile de justifier qu’un parti qui est légalement constitué et qui est en mesure d’accéder au second tour ne pourra de toute façon jamais gouverner. Cela fausse les conditions de l’alternance démocratique. A la limite, il serait plus juste d’interdire purement et simplement le RN, au moins on cesserait d’être dans l’hypocrisie. 

Du côté des Républicains, la situation est différente mais bien évidemment, leur échec n’en est pas moins tragique. Peuvent-ils se rassurer en comparant leur situation avec celle de la gauche dans les années 1970, qui s’est terminée par une victoire à l’arrachée en 1981 ? On peut en douter car le contexte politique (et même géopolitique) était alors très différent. On peut signaler au moins trois grandes différences. D’abord, la gauche était solidement structurée autour de deux grands partis dotés de leur réseau de militants. Ensuite, le PS et le PCF étaient relativement unis puisque, même si le programme commun avait été formellement abandonné en 1977, ils étaient disposés à s’entendre sur le plan électoral en dépit du fait que le PCF n’était pas un parti démocratique et qu’il terrifiait à juste titre une grande partie de la population. Enfin la gauche avait un candidat expérimenté et charismatique qui, tout en étant contesté, bénéficiait d’une forte légitimité historique. On pourrait ajouter d’autres éléments comme le soutien des milieux artistiques et culturels, ou encore le fait que, dans le rapport de force entre le PCF et le PS, la balance était en train de basculer du côté du PS, ce qui rendait moins inquiétante la perspective d’une victoire de la gauche puisque le PCF allait se retrouver en situation minoritaire. Sur tous ces points, la droite n’est pas dans les mêmes dispositions.


Au regard des personnalités politiques majeures du camp de la droite, la droite peut-elle encore et (avec qui) créer les conditions d’un 1981 pour elle ? Quel est son état actuel ?

La droite ne manque pas de personnalités qualifiées : Laurent Wauquiez, David Lisnard, Bruno Retaillaud, Julien Aubert, Xavier Bertrand, François-Xavier Bellamy, Michel Barnier, et bien d’autres sans oublier les femmes comme Rachida Dati, Michèle Alliot-Marie ou Nathalie Kosciusko-Morizet. Toutefois, aucune de ces personnalités n’est en mesure de s’imposer naturellement. C’est toute la difficulté de la droite française, notamment gaulliste, car elle est marquée par un certain culte du chef qui la conduit à attendre un leader charismatique. Pour résoudre ce problème, la droite a bien tenté de se convertir au principe des primaires, mais le bilan de 2022 ne va certainement pas laisser un bon souvenir et va très probablement conduire à penser que cette méthode n’est vraiment pas une bonne idée, surtout s’il se confirme que le vote des militants n’a pas été irréprochable. 

Le temps ne va rien arranger car, plus la droite reste longtemps dans l’opposition, moins elle est en mesure d’avoir un stock de personnalités qui ont l’expérience du pouvoir et qui disposent d’une forte visibilité auprès des électeurs. Pour contourner cette difficulté, il faudrait que la droite mette rapidement en avant un leader pour mener la campagne des législatives et devenir le chef de l’opposition à l’Assemblée nationale, de façon à ce qu’il puisse s’imposer progressivement auprès des caciques et des électeurs. On serait un peu sur la logique du cabinet fantôme tel qu’il existe en Angleterre. Mais cela supposerait que la droite s’entende très vite sur un nom, ce qui semble hors de portée.  


Si la droite entreprend dès à présent les chantiers nécessaires, pourrait-elle retrouver sa place en 2027, une fois Macron hors de l'équation ? Quels sont ces chantiers ?

D’un point de vue constitutionnel, effectivement, Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter en 2027, sauf s’il fait modifier la Constitution. Donc, la question de sa succession se posera forcément. On ne sait évidemment pas dans quelles conditions va se faire cette succession car beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là. 

Pour la droite, le principal chantier va d’abord consister à reconstruire un véritable parti. Est-ce possible après un tel échec ? En politique, les échecs ne sont pas toujours définitifs, mais quand même, lorsqu’un parti est tombé en-dessous d’un certain seuil, comme c’est le cas avec Valérie Pécresse, il devient très difficile de le relever. Le PCF en est par exemple réduit à végéter depuis des années. En fait, rares sont les partis qui ont réussi à se relancer après un effondrement, en tout cas pas sans procéder à des changements radicaux, comme ce fut le cas avec la transformation de la SFIO en Parti socialiste au début des années 1970. 

Le problème pour LR est qu’Emmanuel Macron va exercer une telle attractivité sur les ténors de la droite que LR risque de perdre l’essentiel de ses cadres. Cela dit, il faut encore attendre les législatives. Si LR parvient à sauver son groupe parlementaire, tout espoir ne sera pas complètement perdu pour lui, d’autant qu’il dispose encore d’un groupe du Sénat dont on a vu récemment qu’il n’est nullement aux abonnés absents puisque c’est lui qui a largement contribué au débat sur la place des cabinets de conseil dans l’appareil d’Etat. 

Par ailleurs, concernant le projet, le plus difficile va sans doute être de se positionner sur la question européenne. C’est en effet en grande partie sur cette question que la droite et la gauche ont implosé puisque Emmanuel Macron a phagocyté les pro-européens de tous les partis. On pourrait dire que le slogan du parti présidentiel est : Européens de tous les partis, unissez-vous ! La difficulté pour la droite est donc de se démarquer du président, ce qui quasiment impossible parce que cela conduit soit à basculer dans le registre nationaliste, et le risque est alors d’être haché menu par la rhétorique macroniste qui oppose les progressistes et les nationalistes, soit à se situer dans un registre pro-européen, mais dans ce cas le risque est d’être inaudible par rapport à Emmanuel Macron. 


Un programme commun comme l’a fait la gauche en 1974 est-il sa porte de salut ?

Sans doute mais encore faut-il trouver une base programmatique susceptible de rassembler les diverses familles de la droite. Or, ce n’est pas évident parce que, outre les clivages que l’on observe, notamment sur la question européenne, il existe des tensions très fortes sur la manière de hiérarchiser les priorités. On voit bien par exemple qu’entre un électorat de sensibilité libérale, finalement très proche d’Emmanuel Macron, qui aspire à généraliser les libertés individuelles dans beaucoup de domaines, et un électorat qui demande plus d’autorité et de contrôle, les passerelles vont être difficiles à trouver.

Ce sera d’autant plus difficile qu’on voit bien, à travers cette élection, que le clivage social revient en force. L’échec d’Éric Zemmour, qui a justement conçu son projet autour de la volonté de rassembler la droite bourgeoise et la droite populaire, montre que la fracture sociale est aujourd’hui très profonde en France, d’autant que cette fracture vient se greffer sur une base géographique à travers l’opposition des villes et des campagnes, ce qui crée des intérêts fortement divergents. Or, face à de telles dynamiques sociales, les partis peuvent difficilement faire grand-chose que suivre leurs électeurs. 

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