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2020, l'année où l'Union européenne conserva l'approbation d'une majorité d'Européens contre vents et marées... sans rien savoir en faire
©FREDERICK FLORIN / AFP

Capital politique en jachère

Un sondage réalisé pendant l'été par le Pew Research Center montre que la confiance des citoyens envers l'Union européenne est particulièrement élevée, malgré la crise sanitaire. Les institutions européennes sont néanmoins ainsi faites qu'il est difficile pour elle d'en tirer parti.

Jean-Louis Bourlanges

Jean-Louis Bourlanges

Jean-Louis Bourlanges est ancien député européen et vice-président de l'Union pour la démocratie française (UDF). Il est aujourd'hui président du think tank l'Institut du centre.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Un sondage réalisé pendant l'été par le Pew Research center montre que la confiance des citoyens européens envers l'UE est particulièrement élevée, voire qu'elle augmente, alors la crise sanitaire frappe le continent. Comment interpréter ce résultat ?

Christophe Bouillaud : Malheureusement, ces résultats correspondent à un sondage fait dans plusieurs pays européens au début de l’été 2020 à un moment où, dans la plupart des pays, les citoyens ont eu l’impression que l’épidémie de Covid-19 était vaincue et que la reprise de la vie normale devait s’imposer, tout comme une accélération de la vie économique. Ce sondage montre surtout à quel point l’opinion publique est volatile et à quel point sa mesure dépend très strictement du moment où les personnes sont interrogées.

Il faut toutefois remarquer que les résultats sont d’autant plus positifs pour l’UE et pour les partis de gouvernement que les habitants d’un pays ont eu le sentiment que leur pays avait traversé la crise sanitaire et économique du printemps 2020 sans trop de casse. Ce sondage mesure donc exactement le jugement rétrospectif des Européens interrogés au sortir de la première vague de l’épidémie. On voit bien par exemple l’énorme différentiel entre la France et l’Allemagne de ce point de vue.

Par ailleurs, au début de l’été 2020, les Européens ont pu avoir l’impression que l’essentiel des acquis européens était sauf, puisque la libre circulation des personnes était alors en train d’être rétablie et qu’au final les vacances à l’étranger dans le cadre de l’UE étaient redevenues possibles. Enfin, il ne faut pas oublier que les Européens ont réussi alors à négocier un vaste plan de relance économique, favorable en particulier au pays du sud du continent. Contrairement à la crise précédente, celle de 2008-2012, l’UE se montre donc aux yeux de ses ressortissants, non pas comme un père fouettard prêt à imposer à tort et à travers de l’austérité sans prendre garde aux dégâts sociaux que cela implique, mais comme un vrai plus pour les pays membres de l’UE. Le tandem Merkel-Macron semble alors fonctionner à plein pour imposer un relance européenne contre les quelques pays encore arc-boutés sur une austérité déraisonnable dans ce genre de contexte déflationniste.

Jean-Louis Bourlanges : La confiance dans les vertus de l’Union européenne est passée par des hauts et des bas massifs au cours des quarante dernières années. Depuis la fin de la guerre froide jusqu’à la grande crise économique de 2008, l’intérêt pour la construction européenne - et partant la confiance pour celle-ci - a constamment décru car elle est apparue comme inutile et abusivement contraignante après la victoire idéologique et géo-politique des années 89/92. Les progrès réalisés alors, essentiellement l’euro et l’élargissement à l’Est, n’étaient que la concrétisation de décisions anciennes, l’ombre portée du dénouement heureux du cycle de la guerre froide. Le référendum de 2005 a été le grand moment de basses eaux européennes.

Ce cycle s’est lentement inversé avec les grandes crises économiques, migratoires et écologiques des dix dernières années. Nous avons en effet découvert deux choses :

1/ que nous avions remporté une victoire à la Pyrrhus dans le cadre de la guerre froide et que la situation géopolitique de l’Europe dans le monde était chaque jour plus précaire et plus dégradée 2/ que les principaux défis que nous devions relever n’étaient pas gérables dans un cadre strictement national.

Le renversement de tendances s’est opéré en 2015 quand les Grecs ont fini par admettre qu’ils auraient plus à perdre en quittant la zone euro qu’en payant le prix pour y rester. La décision de Tsipras a provoqué une onde de choc qui a chamboulé l’extrême gauche (Podemos, par exemple) et l’extrême droite européennes (comme en Autriche ou aux Pays-bas). Mme Le Pen s’est cassé le nez à la présidentielle de 2017 pour n’avoir pas vu venir ce retournement de tendance. Les européennes de 2019 ont vu pour la première fois depuis des décennies la participation électorale progresser et l’élection se faire sur des thèmes indissociablement nationaux et européens. C’est un signe important !

Aujourd’hui, chacun voit bien que, même si l’Europe de la santé reste largement à construire, notre capacité à éviter un collapsus monétaire, budgétaire et social dans un pays aussi fragile que le nôtre est due en très grande partie à l’existence de l’euro, aux décisions de la banque centrale européenne et à la solidarité budgétaire de l’Union. L’opinion le sent bien et les pourfendeurs habituels de l’Union européenne comme M. Mélenchon où Mme Le Pen ne se hasardent plus guère sur ce terrain.

L'UE semble disposer d'un capital politique important, mais l'exploite-t-elle assez ?

Christophe Bouillaud : Pour l’heure, comme je le disais, les Européens se trouvent face à un contexte différent par rapport au sondage Pew Research fait l’été dernier : presque partout en Europe, il y a une seconde vague de l’épidémie, et parfois, comme en République tchèque ou en Pologne, bien plus grave que la première. Chaque pays est donc d’abord renvoyé à de strictes considérations sanitaires de maîtrise de l’épidémie sur son sol. L’Union européenne n’a pas pu empêcher que les frontières se referment aux touristes, mais il n’est pas sûr que beaucoup de touristes aient envie de tenter leur chance dans des pays très touchés par l’épidémie. ¨

Il faut ajouter que, depuis quelques jours, des tensions remontent au sein du Conseil européen avec la décision de la Hongrie et de la Pologne de bloquer les finances européennes pour ne pas avoir à subir le contrôle de la Commission européenne en matière de respect de l’Etat de droit sur leur sol, ni sans doute le retour à l’idée de répartition obligatoire des réfugiés sur le sol européen.

Du fait de cette tension entre Européens, on peut avoir l’impression qu’en dépit de l’épidémie et de son rebond, certains sont en train de revenir à une forme de « business as usual ». Il me semble que l’UE va vraiment être au pied du mur au début de l’année 2021 quand véritablement le moment sera venu de relancer l’économie européenne. Est-ce que les agents économiques vont avoir assez confiance dans l’avenir pour refaire des projets de moyen-long terme? Est-ce que l’engagement du printemps 2020 de la part des dirigeants européens de ne pas refaire les mêmes erreurs déflationnistes des années 2008-2012 va paraître crédible ? C’est surtout sur cet aspect de relance économique que les dirigeants européens et nationaux vont être jugés.

Jean-Louis Bourlanges : Pas du tout, les administrations nationales veillent au grain et paralysent l’Union avec succès depuis des années. Alors que les peuples sentent confusément que le niveau européen est le plus pertinent pour traiter les grands problèmes de notre temps, les bureaucraties des États ne veulent pas lâcher le morceau. D’où l’incurable inertie de l’Union qui certes fait bloc dès qu’elle est menacée, comme ce fut le cas avec la crise grecque et comme ça l’est avec le Brexit, mais qui a énormément de mal à se mettre en mouvement, à cause d’un système de décision (l’unanimité) absurdement paralysant.

Comment l'UE devrait-elle se servir de cette apparente confiance populaire dans sa politique ? Celle-ci peut-elle être utile pour relever les défis auxquels l’Europe est confrontée (crise sanitaire et économique, terrorisme) ?

Christophe Bouillaud : Pour l’instant, il me semble que cette confiance ne doit pas donner l’impression aux dirigeants européens que les partis populistes sont des acteurs à négliger désormais et que l’on peut se lancer dans quelque grand débat institutionnel sur l’avenir de l’Union européenne – débat qui ne manquerait pas de leur profiter. Il faut tout d’abord essayer à tout prix de relancer l’économie européenne et surtout d’y combattre le chômage de masse qui va se développer dans la foulée de la pandémie.

En effet, il faudra sans doute constater que la très forte secousse économique provoquée par les deux vagues de la pandémie de Covid-19 va accélérer les mutations économiques en cours. Les entreprises déjà affaiblies avant la crise ne vont pas y survivre. Il va donc y avoir un aspect terriblement « schumpétérien » dans cette affaire de « destruction » de capitaux devenus obsolètes. Il n’est pas sûr que, spontanément, la « création » de nouvelles activités par le marché compense. L’Union européenne peut alors avoir un rôle majeur en dessinant des caps, en créant de nouvelles règles du jeu dans le nouveau contexte climatique, ne serait-ce que parce que la Chine vient d’affirmer sa stratégie bas-carbone pour 2050 et que les Etats-Unis de Biden vont sans doute vouloir prendre eux aussi le leadership dans ce domaine. Ce serait tout de même le comble que l’UE, après tous ses beaux discours sur la lutte contre le changement climatique, finisse par être distancée sur ce terrain-là par ces deux géants au pied léger si j’ose dire.

Toutefois, le principal service que l’UE peut rendre aux Européens dans les années à venir est surtout de ne pas redéployer tout son arsenal anti-inflationniste développé depuis le Traité de Maastricht. Il faut oublier complètement ces règles bâties face à d’autres contraintes économiques et sociales (celles des années 1950-1980). Il faut les mettre en sommeil. Il faut au contraire agir face aux trois défis actuels : la « dette écologique » (le changement climatique, la perte de biodiversité, etc.), le chômage structurel de masse et la montée des périls en matière géopolitique – les trois aspects étant sans doute liés. Ces trois défis supposent d’investir, d’investir, d’investir. Avec la pandémie, nous sommes maintenant avertis du risque que nous courrons à ne pas vouloir prévoir des amortisseurs face à des crises majeures, les économies à tout crin sur des bouts de chandelle ne servent qu’à affaiblir nos mécanismes amortisseurs (services publics en particulier).

Par ailleurs, évidemment, la coopération en matière de santé publique entre Européens doit se poursuivre, et se poursuivra, personne n’en doute. La confiance populaire dans l’UE n’est ici pas très importante. En effet, par exemple, pour ce qui concerne l’acceptabilité de la vaccination de masse par les populations, c’est essentiellement une question nationale, c’est la confiance dans les autorités nationales qui compte. De ce dernier point de vue, la France est vraiment très mal partie, comme l’a montré une étude récente de la Fondation Jean Jaurès, et je doute qu’une assurance européenne sur la qualité du vaccin distribué en France change beaucoup l’avis de nos concitoyens dubitatifs sur ce sujet.

De même, en matière de lutte anti-terroriste, on peut toujours améliorer les procédures de communication entre services de police et agences de renseignement, mais il reste que l’essentiel de la lutte anti-terroriste est une affaire de lutte nationale contre les terroristes. C’est à chaque pays d’avoir chez lui et pour lui de bonnes méthodes de renseignement. Là encore la France n’est pas excellente, quand on découvre que le terroriste qui a tué Samuel Paty s’était répandu en invectives sur les réseaux sociaux pendant l’été 2020et qu’il avait alors été signalé à la plate-forme Pharos sans que rien ne s’en suive pour lui. Ce n’est pas l’UE qui va résoudre cette difficulté d’organisation et de manque de moyens, voire de discernement, pour nous. Etre membre de l’UE ne résout pas tout.

Jean-Louis Bourlanges : Bien entendu. Vos exemples sont les bons. Il est de plein et simple bon sens de rappeler que l’Union fait la force. Ce ne sont pas les chantiers prioritaires qui manquent, ce sont des procédures institutionnelles efficaces. L’unanimité au conseil des ministres et à celui des chefs d’Etat ou de gouvernement, voilà ce qui met tout par terre. L’Union n’a pas vocation à devenir un paralytique général. La réforme des institutions n’a pas bonne presse. C’est pourtant la clé de tout. Il faut commencer par développer le vote à la majorité qualifiée pour les décisions budgétaires européennes et pour les questions fiscales. C’est une réforme nécessaire et quasi suffisante pour avancer.

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