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1969, le premier Homme sur la lune, 2021, les milliardaires dans l’espace : de quels pas pour l’humanité, les Branson Bezos Musk sont-ils le nom ?
©Patrick T. FALLON / AFP

Dollars sur orbite

Après Richard Branson, Jeff Bezos s'apprête lui aussi à quitter la troposphère pour s'envoler vers les étoiles, quelles sont les raisons d'un tel engouement pour l'espace de la part des milliardaires ?

Stéphane Hugon

Stéphane Hugon

Stéphane Hugon est docteur en sociologie, chercheur au CeaQ, cofondateur d'Eranos, responsable du Groupe de Recherche sur la Technologie et le Quotidien, chargé de cours à l'université Paris V.

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Atlantico : Ce 11 juillet, Richard Branson s’envolait pour son premier voyage dans l’espace avec sa compagnie Virgin Galactic. Il sera suivi par Jeff Bezos et son entreprise Blue Origin, qui lui aussi survolera notre planète ce 20 juillet. Après une première course à l’espace en 1969, une seconde course aux étoiles semble opérer au 21e siècle. D’où vient l’engouement des milliardaires pour le voyage spatial ?
Stéphane Hugon : Ce que nous venons de vivre est un paradoxe. Car c’est un moment à la fois d’une grande intensité dramatique, tout en étant également un phénomène tout à fait banal. En effet, ce moment est d’abord saisissant, en ce qu’il nous permet de construire un nouvel horizon dans un monde réputé clos ou en voie de dépérissement. Partir dans l’espace, en particulier dans un moment où nous avons expérimenté les restrictions de mobilité, c’est permettre aux publics de se projeter dans un univers des possibles, dans un voyage en puissance, une réouverture. Ce que nous dit Virgin Galactic, c’est qu’il ressuscite un imaginaire de l’absolu, de l’infini et de l’inépuisable, pour un monde qui, par raison, doit se résoudre à une situation de pénurie et de limite dans son espace et dons son mode de développement.
Mais ce moment est également un non-phénomène, c’est-à-dire qu’il n’a peut-être pas la force ni l’impact qu’ont eus les premiers événements lunaires et spatiaux des années soixante, tant par leur mythologie du pouvoir (la rivalité de l’Amérique et de la Russie pour le merveilleux) que par la sidération que le public a pu ressentir. On pourrait presque dire que ce voyage est banal, tant il parait conforme à ce que nous attendions de lui. L’imaginaire populaire est déjà très mature sur le récit spatial, et presque un siècle de science-fiction ont préparé une acceptabilité du phénomène. En ce sens, Branson ne fait que resynchroniser le réel avec ce qu’en attendait les publics. Il se replace à la hauteur de l’imaginaire social.

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Pouvons-nous voir ici l’expression d’une volonté de puissance sous-jacente dans le fait de vouloir s’extirper du sol de notre planète ?
Bien entendu. Notre planète est devenue invivable, et c’est probablement l’une des premières fois dans la modernité occidentale que nous faisons l’expérience du renoncement. L’histoire contemporaine nous démontre que les modèles de développement sont caduques, et nous ferons face à court terme à l’inhabitabilité du monde. C’est un coup sévère porté au mythe du Progrès qui, sur l’impulsion de la culture judéo-chrétienne, nous avait dessiné un avenir certain, et, au moins, désirable. Contraindre son désir, y compris pour des bonnes raisons, voire des motifs de survie, est un exercice extrêmement difficile pour tout un chacun. Et ce que proposent les Branson et consort, c’est précisément d’occulter momentanément cet état de fait, et d’entre-ouvrir un avenir possible, une rédemption. 
C’est intéressant de voir que cette pulsion d’errance, le fait de s’arracher à une situation d’ennui ou de désolation, n’est pas nouvelle, et qu’elle est apparue régulièrement dans la pop-culture occidentale. On pourrait dire que toute la modernité occidentale est une variation autour du thème de l’escapisme - Baudelaire, Debord, Spinrad et bien d’autres. Par l’expérience littéraire, l’émotion esthétique, le récit dystopique, mais aussi la petite musique du politique ou du militantisme, c’est là l’ensemble des aspirations à transformer ce monde imparfait. Ce que propose ici la puissance technologique - et accessible commercialement - c’est non plus de corriger un monde imparfait, mais d’en changer radicalement le cadre. Et ceci donne une puissance d’adhésion qui est immense, même si elle touche diversement les publics.
Nos sociétés, sont-elles actuellement dans une mutation de leurs rapports à leurs limites ? Le voyage spatial change-t-il notre relation au futur ?
Ce que nous dit ce moment spatial, c’est que les acteurs de l’optimisme sont désormais des marques privées. Avec une nouvelle figure du héros, qui est celui de l’entrepreneur. Ce héros est ambigu, il déconstruit la figure classique du grand patron et se rapproche d’avantage d’une égérie à la fois cool et subversive. Branson, mais aussi avant lui. d’autres grands patrons, jusqu’à Steve Jobs, ont largement mobilisé cet imaginaire du rebelle. Avec tous les attraits du héros incompris mais qui persiste, le mythe du garage où sont nées les idées, la figure turbulente du génie. On retrouve là un grand classique de la puissance narrative américaine.
Pour autant, peut-on vraiment prétendre au retour du futur? Ce futur qui cristallisait nos aspirations et nos attentes, avant d’être cruellement désavoué par la réalité semble vaciller. Il existe manifestement une véritable difficulté de nos contemporains à se projeter dans un futur acceptable et plausible. Les seules voies que notre imaginaire a mobilisées sont des formes qui associent le familier et le futuriste, le déjà-là teinté d’une très légère modification. La mode du vintage qui s’étend depuis presque vingts ans sur la plupart de nos objets technologiques nous rappelle que le futur en soi nous apparaît comme une menace. Et il ne sera acceptable que dilué dans les signes du présent. L’image de Branson qui regarde par le hublot est ainsi l’image du futur imminent. Mais c’est aussi le ressouvenir d’une expérience vécue par anticipation pour des millions de gens.

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