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10 mai 1981 : pourquoi François Hollande devrait s’inspirer de la manière dont François Mitterrand a su tuer la concurrence à gauche et mettre au pas les communistes
©REUTERS/Stephane Mahe

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Alors que ce mardi marque le 35ème anniversaire de l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République, les conditions d'accession au pouvoir de ce dernier pourraient bien servir d'exemple à François Hollande pour 2017. Mais rien ne s'annonce facile.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Pascal Cauchy

Pascal Cauchy

Pascal Cauchy est professeur d'histoire à Sciences Po, chercheur au CHSP et conseiller éditorial auprès de plusieurs maisons d'édition françaises.

Il est l'auteur de L'élection d'un notable (Vendemiaire, avril 2011).

 

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Atlantico : Ce mardi marque les 35 ans de l'élection de François Mitterrand à l'Elysée. Que reste-t-il aujourd'hui du souvenir de ce fameux 10 mai 1981 ?

Pascal Cauchy : Le 10 mai 1981, c'est d'abord la victoire de la gauche, peut-être encore plus que celle de François Mitterrand. Du moins, je pense que l'opinion le ressent comme cela. C'est la première fois qu'un homme de gauche est élu président de la République sous la Ve République. C'est le second socialiste à l'Elysée après Vincent Auriol, mais dans le contexte très particulier de la Ve République, cela reste un atout fort, car c'est le sentiment que la gauche peut gouverner et mettre en place les réformes qu'elle souhaite.

Le 10 mai 1981 est sans doute aussi le souvenir d'une euphorie du "peuple de gauche", avec des attentes différentes selon les catégories et les personnes. Il y a des attentes sociales, alors que la France et l'Europe sont rentrées dans une crise qui semble devoir durer suite aux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Ce sont les attentes classiques du monde ouvrier et agricole, électorat essentiel du Parti socialiste et du Parti communiste. Il y a aussi les attentes (différentes) des anciens de 1968. Ce sont des attentes en matière de droits, dont les revendications ont été forgées depuis une bonne quinzaine d'années (homosexualité, liberté des ondes, droit des femmes…). Pour une partie de la population, l'arrivée de la gauche au pouvoir signifie la promotion de causes minoritaires mais qui, additionnées, font sens.

Jean Garrigues : En dépit de toutes les critiques qui ont pu être faites à son encontre, y compris en 1995 lorsque Lionel Jospin parlait de droit d'inventaire sur sa présidence, on s'aperçoit que François Mitterrand reste une icône pour beaucoup de militants, élus et électeurs socialistes, et que la date du 10 mai est une date historique pour le peuple de gauche. C'est la première fois sous la Ve République qu'est élu un président socialiste et cette possibilité d'alternance a été vécue par une partie de la population comme une véritable libération.

Le 10 mai 1981 avait suscité une immense attente, une espérance qu'on ne mesure plus aujourd'hui. L'élection de François Hollande s'est faite avant tout sur le rejet de Nicolas Sarkozy, sans susciter un enthousiasme similaire. Le 10 mai 1981, c'était la rupture avec  l’époque gaulliste, notamment pour les couches populaires, qui votaient alors massivement à gauche. Dans l'histoire du 20e siècle, il y a deux évènements majeurs pour la gauche : la victoire du Front Populaire en mai 1936 et la victoire de François Mitterrand en 1981. C'est donc une date emblématique très forte.

Comment François Mitterrand, deux fois battu à cette élection, a-t-il tracé son chemin pour l'emporter à la troisième tentative ? Alors qu'il n'était pas forcément favori à un an de l'élection, notamment face au socialiste Michel Rocard, comment a-t-il réussi à rassembler toute la gauche derrière lui, non seulement le PS mais également les communistes ?

Pascal Cauchy : A l'époque, on appelait François Mitterrand "l'éternel Poulidor". En 1980, il n'est pas sur le papier le bon candidat de la gauche. C'est l'éternel perdant. D'autant plus qu'il a en face de lui le Président sortant, Valéry Giscard d'Estaing, que les sondages donnent gagnant jusqu'en janvier 1981. Sa victoire repose sur une succession de causes.

Tout d'abord, on constate l'érosion rapide de la candidature de Giscard. Il y a un phénomène d'exaspération sur sa personne, avec toute une campagne de presse, des affaires plus ou moins montées (diamants de Bokassa). Par ailleurs, l'homme ne fait pas campagne électorale, ou alors très tard. Et enfin, les gaullistes sont détachés de lui depuis plus d'un an, et ils voteront en partie pour François Mitterrand.

Un autre élément d'explication se situe à l'intérieur du Parti socialiste. François Mitterrand joue l'attente, le calendrier, le temps qui passe. En effet, il n'y a pas de primaires et le Premier secrétaire du PS sera le candidat naturel du parti. Donc il ne bouge pas et laisse d'autres espérer une candidature fondée sur une sympathie d'opinion. Michel Rocard espère être le candidat de l'opinion publique de gauche. François Mitterrand sera le candidat des statuts.

Michel Rocard se déclare candidat, mais instantanément, pratiquement dans la seconde phrase, il dit qu'il se retirerait si François Mitterrand se présentait. Et cela n'a pas loupé : ce dernier a annoncé sa candidature quelques semaines plus tard. Tenu par sa parole et la discipline de parti, Rocard se retirera.

Mais tout cela ne suffit pas pour l'emporter. Il faut aussi rassembler la gauche et mordre sur un autre électorat. Ce n'est pas simple car le Parti communiste est en guerre ouverte avec le Parti socialiste, qui le lui rend bien. Mais le PC n'est plus en position de peser fortement sur le scrutin, il est déjà à l'époque dans la roue du PS. Les communistes vont présenter un candidat, mais le résultat sera catastrophique. A partir de là, le PC sera toujours second dans l'attelage. Le Programme commun est mort, mais la règle majoritaire impose une discipline au second tour.

Mais cela ne suffit toujours pas. Il reste les autres mouvements de gauche, et c'est là qu'on voit tout le génie de Mitterrand. Il a été capable d'actionner tous les leviers de la vie politique traditionnelle. Il va chercher les voix les unes après les autres. Il sera capable de mener à lui tous les effets de traîne du gauchisme de mai 68. C'est comme cela qu'il draine beaucoup d'associations teintées comme gauchistes (mouvements des radios libres, des motards, régionalistes, MLF, etc.).

Enfin, il lui faut aussi aller chercher dans son ancien héritage politique et s'assurer de l'électorat du centre, qu'il a pu côtoyer à un moment donné dans sa vie de parlementaire sous la IVe République : anciennes amitiés, mouvement d'anciens combattants (il en a été le Secrétaire d'Etat), etc. Il utilise la totalité de sa carrière politique et de ses réseaux avec un immense talent à ce moment-là.

Jean Garrigues : Il y a plusieurs facteurs explicatifs.

Le premier, ce sont les difficultés rencontrées par Valéry Giscard d'Estaing à la fin de son mandat, avec une image très négative due à l'affaire des diamants de Bokassa. Evidemment, il y eut aussi la difficulté à lutter contre le chômage de masse, consécutif au deuxième choc pétrolier de 1979, et la politique de rigueur du Premier ministre Raymond Barre, très impopulaire.

Le deuxième élément est à chercher du côté de la rivalité à droite entre Giscard et Jacques Chirac, qui s'est présenté et a fait campagne contre lui. Le calcul de Jacques Chirac était de faire battre Giscard pour prendre ensuite le leadership de la droite. Entre les deux tours, après son élimination, Jacques Chirac a donné comme consignes aux militants gaullistes du RPR de faire battre Giscard. On parle même d'une entrevue secrète entre lui et François Mitterrand chez Edith Cresson, qui aurait scellé une sorte de pacte contre-nature.

François Mitterrand a ensuite pu s'appuyer sur une dynamique de succès pour la gauche, débutée dès les législatives de 1973 et confirmée en 1978. En 1978, n'oublions pas que la gauche était favorite, et qu’elle n’a perdu que de justesse, après la rupture de l'union de la gauche quelques mois plus tôt. La droite n’a gagné en 1978 que parce qu’elle a su (provisoirement) se rassembler.

Pourquoi cette dynamique a profité à François Mitterrand ? Parce que sa stratégie consistait à s'allier avec les communistes pour mieux les affaiblir. C'est la raison pour laquelle ces derniers ont quitté l'union de la gauche en 1977, voyant que la dynamique électorale était favorable aux socialistes. En outre, le PCF était handicapé à l'époque par les révélations des dissidents soviétiques, notamment Alexandre Soljenitsyne, qui  dévoilaient la faillite du système soviétique.  Le sens de l’histoire était en faveur du PS.

Autre explication de la victoire de François Mitterrand : la manière dont il contrôle les différents courants du PS. Il faut rappeler qu'il a pris le contrôle du parti en 1971 lors du congrès d'Epinay alors qu'il n'était même pas encore militant ! Il l'a fait en s'appuyant sur une alliance avec d’un côté la gauche du parti que représentait le CERES de Jean-Pierre Chevènement, et de l'autre côté les grandes fédérations plus modérées, notamment les Bouches-du-Rhône de Gaston Defferre et le Nord de Pierre Mauroy. Il a bloqué l'essor du courant Rocard, qui lui est entré au PS en 1974. Cette "deuxième gauche" n'a jamais pu s'imposer, précisément parce que François Mitterrand avait verrouillé les alliances avec les éléphants du parti (Chevènement, Mauroy, Deferre, Mermaz, etc.).

Ensuite, il ne faut pas oublier ici la maladresse électorale de Michel Rocard. Il est minoritaire dans le parti, mais il est de loin l'homme le plus populaire dans l'opinion. Or, il fait une énorme erreur politique : il annonce sa candidature le 19 octobre 1980, mais conditionne le maintien de sa candidature à la non-candidature de François Mitterrand ! C'est une énorme erreur stratégique, car c'est évidemment tout ce qu'attendait Mitterrand, qui se présente le 8 novembre suivant. Rocard n'a pas du tout su profiter de sa popularité.

Par ailleurs, la campagne de François Mitterrand est une campagne de transformations radicales (avec ses 110 propositions et son spectaculaire programme de nationalisations), mais également une campagne terrienne, proche des Français, symbolisé par cette affiche célèbre où on le voyait sur fond d'un petit village de France, avec clocher et ciel bleu… Il a su amalgamer la tradition révolutionnaire et l'attachement au terroir français.

Enfin, il faut également évoquer ici le duel télévisé d'entre-deux-tours avec Giscard. Ce dernier avait gagné en 1974 avec sa phrase "Vous n'avez pas le monopole du cœur" ; cette fois c'est Mitterrand qui porte le coup de grâce avec sa célèbre formule "Vous avez tendance à reprendre le refrain d’il y a sept ans sur « l’homme du passé.» C’est quand même ennuyeux que dans l’intervalle vous soyez devenu l’homme du passif".

A un an de la présidentielle de 2017, quelles leçons François Hollande pourrait-il tirer de la stratégie élaborée par François Mitterrand en 1980-1981 ?

Pascal Cauchy : Il peut tirer la bonne leçon de l'attentisme et du phénomène majoritaire. La mécanique électorale de la Ve République et l'élection du président de la République au suffrage universel direct est en réalité extrêmement simple. Il suffit d'être présent au second tour dans un premier temps, et s'assurer ensuite qu'on est à la fois capable de ramener son camp et de mordre sur une partie de l'électorat du centre, voire de la droite. Après tout, les 2% de voix qui ont fait gagner Mitterrand sont sans doute à chercher du côté de l'électorat du RPR de Jacques Chirac. Tout dépendra du candidat en face de lui, bien sûr, mais on peut supposer que la discipline de gauche aidant, le président sortant puisse se retrouver en situation de l'emporter une seconde fois.

Ceci dit, il y a aussi le syndrome Giscard - Sarkozy, celui de l'exaspération. Cela pourrait l'amener à se retrouver dans la position du sortant-perdant.

Un an c'est long, nous ne sommes pas à l'abri de surprises extrêmement variables, comme les dernières élections nous l'ont montré. Rappelons que François Hollande est arrivé là de façon un peu étonnante. Son ancienne campagne aurait dû être la candidate naturelle après une première tentative, un certain Dominique Strauss-Kahn a interrompu sa carrière politique à New York, une primaire le consacre alors qu'il n'était là aussi pas le candidat favori (qui était plutôt Martine Aubry)…

Il faut ajouter à cela une très grande donnée par rapport aux élections précédentes et surtout celles des élections 1970-1980 : le taux d'abstention. C'est désormais une variable extrêmement importante qu'il faudra prendre en compte pour établir un scénario à peu près crédible. Aujourd'hui, le taux d'abstention fait l'élection.

Jean Garrigues : François Hollande a d’abord l'immense handicap d'être un président sortant et d'avoir un bilan à présenter, ce que n'avait pas Mitterrand. Par ailleurs, ce dernier avait réussi  en 1981 à neutraliser le PCF, son principal concurrent à gauche. Il y eut certes une candidature de Georges Marchais en 1981, mais ce dernier se rallia sans problème à Mitterrand pour le second tour. Dans le contexte actuel, on a du mal à imaginer une alliance de ce type entre François Hollande et Jean-Luc Mélenchon, à moins d’une inflexion sensible de la politique présidentielle. Le PS lui-même est tiraillé par les dissidences des frondeurs, des aubrystes, de Montebourg ou Hamon, alors que Mitterrand le contrôlait à merveille. D'autre part, si l'on considère qu'Emmanuel Macron est un peu dans la situation de Michel Rocard pour ce qui est de la notoriété,  c’est un autre adversaire qu’il s’agit de maîtriser. Ce pourrait être plus simple, pour le coup. Michel Rocard s’appuyait sur un véritable courant du PS, ce qui n’est pas le cas de Macron, et il ne devait pas sa carrière à Mitterrand, alors que Macron la doit en grande partie à Hollande…

Aujourd'hui, François Hollande est tellement faible dans les sondages que tout est possible. Le verrouillage de la gauche par le PS comme l'avait fait Mitterrand n'est plus possible aujourd'hui. Le PS ne pèse plus à gauche comme il le faisait à l'époque. Il y a donc des handicaps majeurs. Le principal étant ce divorce entre les citoyens et leurs élus, dont François Hollande est évidemment le premier bouc-émissaire. Dans les années 1980, au contraire, François Mitterrand est porteur d'une grande espérance, d'un projet de transformation radicale de la société. Ce que n'est pas du tout François Hollande.

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean

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