Jean-Marc Patouillaud - Partech Ventures : "La transaction de TripAdvisor pour La Fourchette est supérieure à 150 millions de dollars"

Atlantico Business : Vous avez, comme les autres actionnaires, cédé lundi soir votre participation dans La Fourchette au profit de l'américain Trip Advisor. Dans quelle démarche s'inscrit ce rachat ?

Jean-Marc Patouillaud : TripAdvisor, c'est un géant mondial du web qui, sur les plateformes de guide, est sur une assiette géographique très large. Cela lui permet de se financer via un business model très simple : de la publicité en bannière ou au clic. Manifestement cela leur a réussi mais depuis quelque temps, ils souhaitent compléter cela par un dispositif plus transactionnel à l'instar d'un Expedia ou d'un OpenTable. Et pour cause, cette activité transactionnelle a généré près de 62% de croissance au premier trimestre contre 25% pour l'activité de guide rémunéré par la publicité. Cela apparait donc naturel pour TripAdvisor de vouloir avaler des sociétés comme La Fourchette.

Pourquoi spécifiquement La Fourchette ?

Aux USA, le marché historique de TripAdvisor, il est difficile d'aller sur ces marchés-là car OpenTable, l'équivalent américain de La Fourchette, est en situation de large monopole. L'entreprise a donc vocation à regarder des marchés connexes comme l'Europe qui est un marché important pour le tourisme et la restauration. Sur le continent, OpenTable est présent en Grande-Bretagne et en Allemagne. Ces deux marchés sont plus ou moins verrouillés. En revanche, l'Europe du Sud présentait des opportunités intéressantes. La Fourchette est leader en France, bien-sûr, mais aussi en Espagne, en Suisse et installé depuis peu en Belgique. La Fourchette était donc complètement dans la cible de TripAdvisor.

A quel montant s'est effectuée la valorisation de La Fourchette par TripAdvisor ?

La transaction de TripAdvisor pour La Fourchette est supérieure à 150 millions de dollars, mais TripAdvisor se refuse à communiquer le montant exact. On a dit tout et n'importe quoi dans la presse ces derniers jours, cette valorisation est bien supérieure à ce qui a pu être écrit. Quand on regarde des transactions du même type avec des sites comparables à La Fourchette, comme ce fut le cas pour OpenTable, on constate que l'on est complètement dans les clous du marché. Chacun le sait, le prix, c'est le résultat d'une négociation entre un vendeur et un acheteur : nous estimons que nous avons bien vendu, TripAdvisor estime qu'ils ont bien acheté.

Le site passe dans les mains d'une société américaine. Cela veut dire que l'on n’a pas d'entreprises suffisamment puissantes sur le territoire pour avaler des pépites comme La Fourchette ?

Sur le cas La Fourchette nous avons reçu des propositions de la part d'acheteurs français qui s'étaient positionnés. Mais, en effet, le prix proposé était inférieur de moitié à ce que TripAdvisor a mis sur la table. Et puis, au-delà du prix, il y a aussi la question de savoir où est l'intérêt de La Fourchette en tant que société, en tant qu'employeur : plutôt un Français moins capable d'investir et de développer la plateforme depuis Paris ou une entreprise étrangère qui donnera les moyens de développer la marque ? C'est une bonne nouvelle pour Paris, pour la France car c'est une très grosse société française qui s'installe à Paris. Nous avons souvent jalousés les Israéliens pris d'assaut par les Google et autre IBM, qui rachètent des sociétés locales, cette fois-ci c'est au tour de Paris.

A l'annonce des discussions il y a 10 jours, le gouvernement a-t-il réagi à cette affaire comme il a pu le faire sur Alstom ou Dailymotion ?

A ma connaissance pas dans les journaux, mais il y'en a eu. Bercy nous a posé des questions car il y a une inquiétude qui s'est manifestée. Je pense cependant qu'il y a eu des gens suffisamment intelligents dans les cabinets ministériels pour que la transaction puisse aller au bout. Il faut donc relativiser, malgré les signaux catastrophiques envoyés par certains ministres, notamment celui de l'Economie et du Redressement Productif, ce rachat est un fantastique catalyseur qui va donner envie à des milliers de jeunes entrepreneurs de continuer à développer leur boite et d'aller dans le sillage des fondateurs de La Fourchette.

A ce sujet, que pensez-vous du décret Montebourg entreprises "stratégiques", qui permet à l'Etat de s'opposer à la prise de contrôle d'une entreprise ?

Cela fait plus que m'inquiéter, c'est littéralement catastrophique. Si on veut encourager les sociétés françaises brillantes, dans les domaines couverts par le décret, à transférer leur social à l'étranger, on ne s'y prendrait pas mieux. Le message d'Arnaud Montebourg est clair : Messieurs les entrepreneurs français allez vous installer à l'étranger.

Propos recueillis par Julien Gagliardi