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<h3 class="s2">Les origines du nihilisme sont assez floues. Ce &laquo;&nbsp;mouvement&nbsp;&raquo; a la très grande particularité de s&rsquo;enraciner à la fois dans la fiction et dans la réalité&hellip;</h3><p><strong>François Guery :</strong> <strong>Il y a eu un va-et-vient entre réalité et fiction romanesque, puis élaborations psychologiques et morales. </strong>La réalité, c&#39;est celle de la génération qui succède à celle des idéalistes d&#39;avant 1848, date de la révolution ratée. Grâce à la fiction romanesque, il y a eu une célébrité des nihilistes, une fixation de l&#39;attention publique, immédiate, sur un mouvement de mode qui a perduré, résisté à l&#39;usure du temps<strong>. Sans le roman et la pensée, sans Tourgueniev, Dostoïevski, Nietzsche, la mode aurait pu passer, mais avec eux, qui en ont été la caisse de résonance, l&#39;amplificateur, il a pris cette ampleur &quot;historiale&quot;, il est devenu un géant effrayant. </strong>Tourgueniev invente son Bazarov sur le modèle d&#39;un médecin mort jeune, qu&#39;il a connu, avant que Netchaiev le tueur ne fasse son apparition&nbsp;: celui-ci exagère les traits du Bazarov de fiction, et Dostoïevski calque son Verkhovenski sur Netchaiev, qui l&#39;a impressionné. <strong>Nietzsche s&#39;inspire de Dostoïevski pour faire le portrait de ces &quot;catilinaires&quot;, créateurs, violents, hors la loi. Un enchaînement mène jusqu&#39;aux bolcheviks et aux nazis, qui adoptent le &quot;catéchisme révolutionnaire&quot; de Netchaiev, et s&#39;éreintent à &quot;inverser les valeurs&quot;.</strong></p><h3 class="s2">Cette inscription originaire au croisement de la fiction et de la réalité donne au nihilisme une force de suggestion toute particulière, dites-vous&hellip;</h3><p><strong>Je pense que des gens comme Tourgueniev le premier, puis Dostoïevski, ont été en effet fascinés, horrifiés mais aussi séduits, par la personnalité de ces aventuriers glaciaux, déterminés, effrontés, et que la création romanesque a rendu cet effroi et en a fait un &quot;phénomène de société&quot;, quelque chose qui &quot;fait époque&quot;</strong>, la signe, et qui aussi, lui permet de s&#39;étendre comme une tache d&#39;huile sur la société, notamment jeune mais pas seulement (Bakounine obéit à Netchaiev, lui offre les moyens même financiers de ses entreprises, avant de se reprendre, il en va de même de&nbsp; leur double romanesque, le Piotr Verkhovenski et le Stavroguine des &quot;Démons&quot;). <strong>Etre un nihiliste et être un révolutionnaire se sont confondus, pour devenir un destin de la Russie traditionnelle, destin mortel, une fois que les circonstances en ont permis l&#39;achèvement.</strong> Nietzsche a beaucoup fait, avec son &quot;renversement des valeurs&quot;, pour sublimer ce mouvement cynique, ce n&#39;est pas une fiction, mais une utopie, un projet vide qui a fait trop d&#39;adeptes.</p><h3 class="s2">Le nihiliste &quot;écrit son crime&quot;, &quot;il est le romancier de son crime&quot;, dites-vous. De fait, on est frappé par l&rsquo;écriture, la scénarisation des attentats du 11 septembre ou du 7 janvier &hellip;</h3><p><strong>J&#39;ai été frappé par cette dimension de scénarisation, accompagnée de la jouissance de faire par les mots ce qu&#39;on ne fait pas en acte, je parle de Dostoïevski.</strong> Les personnages qu&#39;il invente &quot;parlent comme des livres&quot;, ils mettent en abyme leur entreprise romanesque de &quot;crime pensé&quot;.<strong> La réciproque&nbsp;: commettre un crime d&#39;abord écrit, scénarisé, répété comme au théâtre, est le trait frappant des attentats successifs contre Alexandre II. Le 11 septembre est un chef d&#39;oeuvre de composition et de précision, il a fallu penser à tout, passer de ces pensées à des réalisations pas évidentes (apprendre à piloter...), mettre de la concentration et de la minutie dans des préparatifs complexes.</strong> Le meilleur équivalent actuel, c&#39;est la mise en scène de cinéma, les grandes productions coûteuses où on ne peut rien laisser au hasard, et où chaque scène oblige à des répétitions interminables pour aboutir, une fois la caméra lancée (moteur!). Dostoïevski a pensé le crime de Raskolnikov dans cet esprit, à un moindre degré puisqu&#39;il se contente de tuer deux innocentes sans défense, mais il &quot;pense&quot;, il rumine longtemps&nbsp;; à s&#39;en rendre malade. Pour le 7 janvier, il a fallu certainement des préparatifs minutieux, mais le 11 septembre à des côtés &quot;superproduction&quot; plus frappants ... Cela dit, le calcul minutieux du 7 janvier à Charlie Hebdo tient aux retombées médiatiques prévues, orchestrées, avec un timing, comme au billard on joue sur plusieurs coups d&#39;avance, l&#39;un entraînant l&#39;autre jusqu&#39;au but. Le numéro suivant de Charlie a donné lieu à des violences contre la France des droits de l&#39;Homme, partout où s&#39;étend l&#39;influence de la tradition religieuse, ce qui retournait habilement le &quot;bénéfice&quot; immédiat en faveur des victimes. On peut imaginer que c&#39;était calculé ...</p><h3 class="s2">Quels sont les traits du crime nihiliste&nbsp;?</h3><p><strong>Il doit être fulgurant, sidérant, terrifiant, il doit signifier &quot;la fin&quot; d&#39;un ordre, d&#39;une formation, dont on bafoue les symboles. </strong>Le crime nihiliste est un coup de théâtre, qui renverse un équilibre cru stable. Il faut une dimension symbolique pour faire monter la pression au-delà de l&#39;ordinaire, pour faire exploser la confiance en soi de l&#39;adversaire, c&#39;est à dire en l&#39;occurrence nous, modernes occidentaux acquis aux droits de l&#39;homme, appuyés sur une puissance matérielle supposée hégémonique. Faire exploser le carrosse du Tsar de toutes les Russies a été un tel coup, qui caricaturait la décapitation de Louis XVI, cette première mondiale.<strong> Chercher comment caricaturer, salir les symboles de l&#39;adversaire est la voie de la mise en scène spectaculaire ou exhibition, qui est la raison d&#39;être du crime nihiliste.</strong> Il fait signe vers un basculement de l&#39;ordre régnant, il l&#39;inverse et le renverse par avance. Le nihilisme actuel a commencé par le bombardement en soi inutile des &quot;Bouddhas de Bamyan&quot;, par les talibans&nbsp;: c&#39;était le symbole pour nous occidentaux de ce &quot;Musée imaginaire&quot; conceptualisé par Malraux, constitué de tout ce que les hommes ont sacralisé par l&#39;art. Là aussi, ils ont visé à la tête&nbsp;! On n&#39;a pas su les arrêter, ils continuent&nbsp;!</p><h3 class="s2">La &quot;rupture des sentiments et des devoirs envers autrui remonte aux grands systèmes de la vie monacale recluse et séparée&quot;, écrivez-vous. Peut-on poser un parallèle entre cette vie recluse et séparée et celle que mènent les apprentis-djihadistes dans les camps d&rsquo;entraînement&nbsp;?</h3><p>Le double sacrifice humain est au centre de cette question&nbsp;: le tueur est sacrificiel, il abdique, il jette sa propre vie au feu, avec tous les liens qui vont avec, et il le fait pour tuer, pour liquider les suppôts du monde qu&#39;il exècre.<strong> Ceux qui rejoignent ces camps aujourd&#39;hui désespèrent leur famille, qui les perd sans comprendre pourquoi&nbsp;: ils ont renoncé à elle, ils l&#39;ont jetée avec leur espérance de vie.</strong></p><p>Entre la vie monacale et celle des djihadistes qui se disent musulmans, il y a néanmoins trois différences majeures&nbsp;: <strong>les trois vœux d&#39;ascèse des moines, chasteté, pauvreté, humilité, ont leur symétrique inverse dans l&#39;argent, les femmes et la gloriole qui vont de pair avec l&#39;engagement de ces tueurs.</strong></p><h3 class="s2">Le nihiliste est un homme qui &quot;en a fini avec le monde&quot;, qui &quot;est donc fini&quot;, et veut que &quot;le monde finisse&quot;. Comme le djihadiste&nbsp;?</h3><p><strong>Oui&nbsp;! Le &quot;djihad&quot; actuel est une fin, fin de la vie du combattant sacrificiel, fin du monde dit&nbsp; corrompu et impie qu&#39;il agresse, fin de ses liens avec ceux qui y vivent dans une paix relative. </strong>L&#39;espoir d&#39;un paradis d&#39;après la mort compense la perte de monde qui s&#39;accomplit avec leur rupture.</p><h3 class="s2">Pour poursuivre le parallèle, et comme vous le soulignez, le nihiliste est un narcissique qui souffre de dégoût de soi à qui le crime offre l&rsquo;occasion de s&rsquo;exposer...</h3><p>Les personnages de Dostoïevski, le romancier sans doute le plus en phase avec cette désespérance des hommes perdus (le héros du &quot;Souterrain&quot;, Raskolnikov, Verkhovenski...) sont comme des bêtes traquées, miséreux, honteux, réduits à un éclat s&#39;ils veulent attirer sur eux une attention qui va vers d&#39;autres plus chanceux.<strong> Le crime est en effet un exploit à leur portée, une revanche elle-même honteuse, sauf si elle reçoit une approbation comme &quot;justice&quot;, acte héroïque, vengeance, ainsi de l&#39;exécution du &quot;traître&quot; Ivanov par la bande des conspirateurs des &quot;Démons&quot;.</strong> Le crime est dans ces conditions, un coup de théâtre, une revanche sur la vie sociale, son injustice, sa comédie, où ils jouaient le rôle de comparses négligeables.</p><h3 class="s2">Il y a aussi un rapport douloureux au père et/ou aux institutions perçus comme défaillants et abandonnants &hellip;</h3><p>Oui, c&#39;est une constante&nbsp;! Piotr Verkhovenski a pour son père courtisan, ombre d&#39;une dame de la noblesse, du dédain, et Arkhade, chez Tourgueniev, se détache de son père nobliau provincial, par admiration pour le caractère trempé de son complice étudiant, le nihiliste Bazarov, féru de sciences naturelles&nbsp;: il cherche même à rééduquer son père, en lui enlevant son recueil de Pouchkine, qu&#39;il remplace par un manifeste positiviste en faveur des sciences à la mode en Allemagne. <strong>Il y a une crise de confiance et de prestige entre les générations. Les réformes en cours leur semblent dérisoires, ils méprisent &quot;la société&quot; malgré son effort de modernisation ou même, à cause de lui.</strong></p><h3 class="s2">Les crimes nihilistes sont perpétrés à des moments où il y a une volonté de réformer la société tout en maintenant les structures existantes. Quelle est, selon vous, cette volonté de réforme qui expliquerait l&rsquo;explosion des attentats aujourd&rsquo;hui&nbsp;?</h3><p><strong>Cela tient, selon moi, au fossé qui sépare la vie traditionnelle, moribonde en Occident mais vivace en Orient où la piété joue un rôle de ciment, et la société occidentale émancipée, ouverte, où règne une ambiance de liberté qui peut angoisser. </strong>Avec cette transition brutale, des certitudes acquises sont dynamitées&nbsp;: trouver une femme, un emploi, une place reconnue dans la famille et la société, mais la question du prestige sexuel me semble essentielle, tant la tradition, partout, est porteuse d&#39;inégalité et d&#39;asservissement de la partie féminine de l&#39;humanité. Les Russes perdaient leurs serfs, les djihadistes perdent leurs femmes, et en retrouvent, une fois exilés dans le désert&nbsp;!</p><h3 class="s2">Il faut une cause pour habiller le crime. Le Dieu invoqué par les djihadistes n&rsquo;est donc qu&rsquo;un &quot;habillage&quot; ?</h3><p>La cause des nihilistes russes, ils l&#39;appelaient &quot;la révolution&quot;, sans donner de contenu précis à l&#39;entreprise, définie comme destructrice dans un premier temps (Bazarov donne pour tâche à sa génération de détruire, à la suivante de construire). Les djihadistes ont leur cause dans une forme de piété radicale et violente qui rompt avec un héritage ancien, avec des mœurs et des institutions de compromis, comme c&#39;est partout le cas. Le retour abrupt aux commencements anciens d&#39;un cycle&nbsp; qu&#39;on déclare clos, c&#39;est aussi &quot;une révolution&quot; dans le sens littéral du mot. <strong>Savoir ce qui, dans une foi radicale et fanatique, est habillage ou sincérité, qui le peut&nbsp;? Molière a inventé son Tartuffe pour en parler ...</strong></p><h3 class="s2">Pour Nietzsche, le nihilisme est &quot;un mal nécessaire&quot;. Le terrorisme peut-il être un mal nécessaire&nbsp;?</h3><p>Pas pour moi, du tout&nbsp;! Il parle d&#39;un mal nécessaire &quot;pour&quot;, si on veut&nbsp; aboutir à une nouvelle foi dans des valeurs dites supérieures, supérieures aux anciennes, chrétiennes, qui se voulaient tout aussi supérieures, d&#39;où un quiproquo généralisé et des interprétations hasardeuses de telles&quot;valeurs&quot; : la dérive crapuleuse des nazis vers un élitisme du crime et du vice, etc. Nietzsche et à sa suite Jünger ont parié que la traversée du désert des valeurs ouvrirait un nouvel Eldorado, un Ordre immuable et pérenne, ils se sont trompés et ont trompé. <strong>Je n&#39;attends strictement rien du nihilisme, le terrorisme est une destruction qui ne mène pas à une construction, mais à un ordre injuste, une confiscation des pouvoirs, un arbitraire sans loi, sinon celle des caprices de nouveaux potentats surarmés.</strong> Le seul espoir, ce serait de se souvenir des drames anciens, et d&#39;arrêter cette dérive, avant l&#39;irréversible, sachant qu&#39;eux ne s&#39;arrêtent jamais d&#39;eux-mêmes.</p>

Nihilistes russes ou djihadistes : l'écriture du crime doit être sidérante

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Comme les nihilistes russes, les djihadistes écrivent le scénario de leurs crimes pour qu'ils soient sidérants

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<h3 class="s2">BL : Nous sommes entrés dans la &quot;civilisation du léger&quot;, dites-vous. Que l&rsquo;on parle de matériaux, de nouvelles technologies, de politique, de culture, de nos corps ou même de nos idéologies, tout s&rsquo;allège, selon vous, dans tous les domaines&hellip;</h3><p><strong>Gilles Lipovetsky :</strong> Dans tous les domaines, oui, mais de manière inégale&hellip;</p><h3 class="s2">En vous lisant, on a le sentiment que tout ce que l&rsquo;on gagne en allègement, on le paie d&rsquo;une autre façon&hellip;</h3><p>Tout à fait. Mais il y a une nuance à apporter, qui est importante. Dans le domaine énergétique, on n&rsquo;est pas encore dans le léger. La production d&rsquo;électricité, pour l&rsquo;essentiel, sur la planète, provient du charbon. Le charbon, ce sont les mines, l&rsquo;empreinte carbone qui provoque le réchauffement climatique. C&rsquo;est aussi les centrales nucléaires dont la catastrophe de Fukushima n&rsquo;a nullement arrêté le développement. On est dans le lourd, là. <strong>Dans mon livre, je dis que &quot;nous entrons dans la civilisation du léger&quot;, cela veut dire que c&rsquo;est une civilisation naissante, qui n&rsquo;en est qu&rsquo;à ses débuts.</strong> Dans le domaine énergétique, il est clair qu&rsquo;il est impératif de développer les énergies renouvelables &ndash; via les éoliennes, l&rsquo;utilisation du mouvement des marées &ndash; afin d&rsquo;arriver à une énergie douce. La transition énergétique qui nous fera entrer de plain-pied dans le léger n&rsquo;est pas une coquetterie : c&rsquo;est un impératif écologique fondamental si on ne veut pas se retrouver avec cinq-six degrés de plus sur la planète.</p><h3 class="s2">S&rsquo;il y a un impératif de légèreté dans le domaine énergétique, dans les autres domaines, le léger s&rsquo;est, pour ainsi dire, imposé de lui-même&hellip;</h3><p>La civilisation du léger est très récente.<strong> Au moment de la Révolution Industrielle, au XIXe siècle, on est dans le lourd : l&rsquo;acier, le charbon, le pétrole, les chemins de fer, les barrages, tout cela n&rsquo;a rien de léger. </strong>Le mouvement de bascule s&rsquo;opère après la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi ? Il y a d&rsquo;abord les inventions technologiques comme le plastique, que Barthes avait parfaitement repéré. Le plastique permet en effet la fabrication de tout un tas de produits légers pour la maison ou les loisirs, comme les appareils photo, les premiers transistors, etc. Plus globalement, dans la société de consommation qui est la nôtre, tout bascule dans une logique de recherche de légèreté. <strong>Parallèlement, sur le plan culturel, on célèbre l&rsquo;hédonisme : le consumérisme, c&rsquo;est l&rsquo;hédonisme, la jouissance du présent. C&rsquo;est la loi de l&rsquo;entertainment, dans l&rsquo;information, la publicité.</strong> On a une actualité ennuyeuse, sombre et on cultive l&rsquo;humour, la bonne humeur, les clins d&rsquo;œil.</p><h3 class="s2">Nous sommes entrés dans un capitalisme de séduction, dites-vous&hellip; La séduction n&rsquo;est plus un jeu social, c&rsquo;est le principe d&rsquo;organisation de notre économie&hellip;</h3><p>L&rsquo;économie ne marche plus à la nécessité, à la contrainte. Certaines économies, en effet, reposaient sur l&rsquo;exercice d&rsquo;une certaine violence, d&rsquo;autres sur la nécessité de trouver des moyens de subsistance. Le capitalisme de consommation repose sur l&rsquo;industrialisation du léger. La voiture, aujourd&rsquo;hui, est un bien à la fois utile et un bien qui reflète la mode, un style&hellip; <strong>tout le système repose sur une logique légère qui est celle du renouvellement permanent, c&rsquo;est-à-dire de l&rsquo;éphémère.</strong> Le modèle de la mode &ndash; le paraître, le vêtement &ndash; s&rsquo;est insinué partout : l&rsquo;économie repose aujourd&rsquo;hui sur une logique de mode, qui est une logique de séduction. Il faut capter le désir, proposer de la nouveauté&hellip;</p><h3 class="s2">Et générer, quelque part, de la frustration ?</h3><p>Oui, c&rsquo;est vrai. Mais il ne faut pas trop charger la barque. J&rsquo;imagine que vous ne passez pas vos vacances au Carlton à Cannes, que vous ne voyagez pas en première&hellip; Est-ce que cela vous empêche pour autant de passer de bonnes vacances ? Vous sentez-vous frustrée ?</p><h3 class="s2">Non (rires) !</h3><p>Partir avec Easyjet ne vous empêche pas de passer un bon moment ! <strong>La vraie frustration, c&rsquo;est quand on ne peut plus joindre les deux bouts. C&rsquo;est moins la légèreté qui frustre que sa négation, lorsqu&rsquo;on ne peut plus profiter des choses.</strong> Ce qui est le plus lourd, c&rsquo;est quand on n&rsquo;arrive plus à payer la facture du smartphone, ou à partir en vacances. Cela dit, sur un plan plus philosophique, cette forme dominante de la logique légère a quelque chose moins de frustrant que d&rsquo;insatisfaisant pour l&rsquo;image qu&rsquo;on peut se faire de l&rsquo;être humain.</p><h3 class="s2">C&rsquo;est-à-dire ?</h3><p>L&rsquo;être humain n&rsquo;est pas qu&rsquo;un consommateur. Il peut l&rsquo;être, c&rsquo;est vrai. Mais c&rsquo;est réduire considérablement l&rsquo;homme et ce qu&rsquo;on voudrait qu&rsquo;il soit que de ne le considérer que comme tel. Dans une vision humaniste, l&rsquo;homme est un être qui pense, qui réfléchit, qui peut créer, améliorer le monde&hellip; Il ne se réduit pas à acheter des marques. Trop de légèreté tue la légèreté.</p><h3 class="s2">Vous notez que &quot;le consommateur est moins obsédé aujourd&rsquo;hui d&rsquo;affichage social que de plaisirs inédits&quot;. &quot;Aux luttes symboliques de classe, écrivez-vous, succèdent les visées d&rsquo;allègement du vécu individuel&quot;&hellip;</h3><p>Je montre en effet qu&rsquo;il y a un retournement. <strong>Le consumérisme peut être vécu comme quelque chose de lourd à la longue.</strong> On peut donner plusieurs définitions de la légèreté. Traditionnellement, la légèreté, on la dénonce : le léger n&rsquo;a pas de substance, d&rsquo;épaisseur, de valeur. Seul le profond, le lourd, est riche. Seul le sérieux mérite l&rsquo;attention. La légèreté, c&rsquo;est ni sérieux, ni vrai, ni faux, c&rsquo;est superficiel.</p><h3 class="s2">En même temps, vous démontrez au début de votre livre que &quot;la puissance du léger&quot; ne date pas d&rsquo;aujourd&rsquo;hui : il y a toujours eu un besoin, une recherche de légèreté. Ce qui veut dire que le léger est nécessaire. Vous citez en exemple la joie, qui est la forme la plus aboutie de la légèreté et, en même temps, le but vers lequel nous tendons tous&hellip;</h3><p>Absolument. <strong>Il y a une nécessité anthropologique de la légèreté. La preuve, c&rsquo;est qu&rsquo;aucune société n&rsquo;ignore les fêtes, les plaisanteries, l&rsquo;art, la comédie&hellip;</strong> La légèreté, c&rsquo;est la respiration. L&rsquo;être humain a beaucoup de problèmes, de soucis, d&rsquo;angoisses : la légèreté lui permet d&rsquo;oublier, d&rsquo;évacuer cette charge. Quand on dénonce la légèreté, on va un peu vite en besogne. Au fond, chacun recherche le bonheur, et le bonheur, qu&rsquo;est-ce que c&rsquo;est ? En grande partie, c&rsquo;est quand on se sent léger. Quand on est vraiment heureux, on saute en l&rsquo;air, on est, comme on dit, &quot;sur un petit nuage&quot;. On a ce sentiment d&rsquo;allègement de l&rsquo;existence. C&rsquo;est dire combien la légèreté est loin d&rsquo;être une chose insignifiante. <strong>Dans une certaine acception, la légèreté, c&rsquo;est la frivolité. S&rsquo;il ne faut pas en faire un absolu, il ne faut pas non plus diaboliser la frivolité. L&rsquo;économie frivole, de séduction, nous a quand même débarrassés des plus grandes violences du siècle dernier.</strong></p><h3 class="s2">Justement, comment replace-t-on les attentats survenus les 7, 8 et 9 janvier dans la civilisation du léger qui est la nôtre ?</h3><p><strong>Ces attentats sont un des effets de la civilisation du léger. </strong>Pourquoi ? Comme tous les observateurs le montrent, les djihadistes sont en grande partie des paumés. <strong>La civilisation du léger est la civilisation de la détraditionalisation, du désencadrement des individus. </strong>Se crée, de fait, un vide, extraordinairement anxiogène qui laisse la porte ouverte aux choses épouvantables que nous avons vécues il y a quinze jours. <strong>Mais ces choses épouvantables ne remontent pas au 7 janvier, nous les vivons depuis longtemps.</strong> Et nous allons en vivre d&rsquo;autres. Ici ou dans d&rsquo;autres pays. La dynamique de la civilisation du léger repose sur une individualisation poussée à l&rsquo;extrême. Du fait de cette individualisation poussée à l&rsquo;extrême, il y a des gens qui ne pensent qu&rsquo;à leurs propres intérêts &ndash; vivre, profiter, gagner de l&rsquo;argent &ndash; et d&rsquo;autres qui, parce qu&rsquo;ils n&rsquo;ont pas ces outils-là, recherchent un nouvel ancrage, un nouvel absolu qui leur donnent une identité forte, leur permettent de se restructurer à travers des messages complètement déments et d&rsquo;une extrême dangerosité. Autrement dit, la civilisation du léger a sa part &ndash; une part non négligeable &ndash; dans les dérives et les formes de violence que nous connaissons aujourd&rsquo;hui. <strong>Et ces formes de violence n&rsquo;ont rien à voir avec celles générées par la lutte des classes ou les guerres mondiales du XXe siècle.</strong></p><h3 class="s2">Pourquoi ?</h3><p>En ce qui concerne la lutte des classes ou les deux guerres mondiales, c&rsquo;est l&rsquo;ensemble de la société qui s&rsquo;est manifestée. A la suite de l&rsquo;attentat contre &quot;Charlie Hebdo&quot;, 4 millions de Français ont défilé et montré l&rsquo;attachement de nos contemporains aux idéaux d&rsquo;égalité, de liberté, de démocratie. <strong>La civilisation du léger provoque ponctuellement, mais de manière très violente, des formes de violence, mais à une toute autre échelle, elle conduit à la pacification de la société. </strong>Après ces événements tragiques, notre société n&rsquo;est pas à feu et à sang, c&rsquo;est même l&rsquo;inverse : elle est pacifiée. Il n&rsquo;y a pas eu le moindre dérapage lors des manifestations : il n&rsquo;y a pas eu de blessés, encore moins de morts.</p><h3 class="s2">Vous notez que, depuis les années 70, il y a une forte demande spirituelle, mais que celle-ci s&rsquo;inscrit dans le prolongement du consumérisme&hellip;</h3><p>Oui, parce qu&rsquo;elle en reproduit un certain nombre de traits. Aujourd&rsquo;hui, on va d&rsquo;un gourou à l&rsquo;autre, comme le consommateur va d&rsquo;un produit à l&rsquo;autre. On retrouve dans le domaine spirituel cette dynamique de flottement qui a cours dans la société consumériste. <strong>Les sociologues de la religion ont observé la naissance de l&rsquo;émotion en religion, ils parlent de &quot;religion émotionnelle&quot;. Désormais, on s&rsquo;attache au ressenti, et plus au commentaire des textes sacrés. </strong>C&rsquo;est, bien sûr, très différent du consumérisme. Mais il n&rsquo;en demeure pas moins que dans tous les courants new age, on observe une extraordinaire labilité, flexibilité : les gens piochent d&rsquo;un côté, de l&rsquo;autre, mélangent, un peu comme un consommateur qui remplit son caddie : &quot;Jésus, c&rsquo;est bien, mais Bouddha, c&rsquo;est pas mal, non plus, on va mélanger&hellip;&quot;. On choisit &quot;les religions à la carte&quot;, exactement comme au restaurant ou au supermarché.</p><h3 class="s2">Alors que l&rsquo;on entre dans cette civilisation du léger, vous démontrez que, paradoxalement, la vie s&rsquo;alourdit&hellip;</h3><p>C&rsquo;est une observation que nous pouvons tous faire. Nous en avons une illustration avec ces actes terroristes qui nous frappent. Mais il en existe mille autres.<strong> On le voit dans la multiplication des dépressions, des suicides, la montée du stress, la hausse de la consommation de psychotropes dont nous sommes en France parmi les premiers utilisateurs, les addictions de plus en plus nombreuses... </strong>et puis, la morosité ambiante. Tous les pays ne sont pas à la même enseigne mais, nous, en France, nous la ressentons fortement. Le paradoxe est énorme parce que quand on allume la télé, la radio, qu&rsquo;on fait ses courses dans un &quot;shopping-center&quot; ou sur le Net, tout est &quot;fun&quot;&hellip;</p><h3 class="s2">Vous remarquez qu&rsquo;on rit de moins en moins. Le rire est devenu un &quot;rire de consommation&quot;, dites-vous&hellip;</h3><p>D&rsquo;après les statistiques, il semblerait que le rire recule : <strong>de vingt minutes par jour en 1939, nous sommes passés à six minutes au début des années 1980 et à quelque 60 secondes pour plus d&rsquo;un tiers des adultes aujourd&rsquo;hui.</strong> Il est bon de préciser ici que ce qui baisse surtout, c&rsquo;est le rire d&rsquo;interaction. Le rire de consommation se porte bien : la preuve, 20 millions de Français sont allés voir &quot;Bienvenue chez les Ch&rsquo;tis&quot;. Ce qui marche le mieux, comme par hasard, ce sont les films drôles. Les humoristes, eux aussi, font un tabac. A la télé, on privilégie les émissions de détente, de divertissement. <strong>On rit, mais on rit en tant que consommateur. Si vous descendez dans la rue à Paris pendant la Fête de la musique, personne ne rit.</strong> Les gens écoutent la musique, mangent des sandwiches, prennent des photos, téléphonent à leurs copains, ils ne rient pas. Les fêtes sont devenues des événements qui prolongent le quotidien. Elles n&rsquo;ont plus rien à voir avec ce qu&rsquo;a été, par exemple, le Carnaval, qui était une fête de l&rsquo;excès, de beuverie, d&rsquo;orgie, même. <strong>Les premiers missionnaires qui sont arrivés en Amérique latine ont été très frappés de voir les Indiens qui riaient tout le temps : la moindre chose les faisait rigoler. Nous, là-dedans&hellip;</strong> Il ne faut pas dramatiser : nous ne sommes pas dans l&rsquo;abîme. Mais il faut avoir conscience de l&rsquo;existence de vrais paradoxes. <strong>Nous sommes dans une civilisation qui met en avant le plaisir, l&rsquo;hédonisme, la plaisanterie et le fait est que les gens ne sont pas très rigolos&hellip;</strong></p><h3 class="s2">Vous dites que la légèreté ne peut pas être un but. Qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;elle doit être ?</h3><p>C&rsquo;est un point important. Il existe une définition de la légèreté que nous n&rsquo;avons pas évoquée, une définition forte, qu&rsquo;on pourrait qualifier de &quot;nietzschéenne&quot;, et qu&rsquo;il faut pousser, car elle permet de relier la légèreté à la création. Comment ? Prenons des exemples. Quand vous jouez du piano, que vous écrivez, que vous peignez un tableau, vous éprouvez de la joie, vous vous sentez plus léger. Ce qui distingue cette définition des précédentes, c&rsquo;est que la légèreté, ici, requiert le travail. La leçon que l&rsquo;on peut tirer de cela, c&rsquo;est que<strong> pour faire barrage à l&rsquo;éclatement des repères, à la frustration, à l&rsquo;ennui, nous avons à donner aux enfants, aux jeunes, les outils pour qu&rsquo;ils puissent dans l&rsquo;existence être autre chose que des consommateurs.</strong> Pour qu&rsquo;ils puissent être des créateurs. Il existe un dandysme intellectuel qui consiste à dire que l&rsquo;important, c&rsquo;est la frivolité. Je récuse cette position parce que ce n&rsquo;est pas à la hauteur des problèmes qui sont les nôtres. <strong>On ne peut pas avoir une civilisation du léger sans l&rsquo;énorme travail des hommes, de l&rsquo;intelligence, de l&rsquo;éducation. </strong>Les défis planétaires, notamment écologiques, qui sont les nôtres &ndash; nous serons peut-être bientôt 9 milliards sur cette planète &ndash;, ce n&rsquo;est évidemment pas par la frivolité que nous allons les régler, mais par l&rsquo;intelligence qui permet d&rsquo;inventer de nouvelles technologies, de faire acte d&rsquo;innovation. La légèreté est nécessaire mais elle n&rsquo;est pas suffisante. Elle ne doit absolument pas conduire à ériger la frivolité en absolu. Nous avons besoin de légèreté mais nous avons aussi besoin plus fondamentalement de l&rsquo;effort des hommes et de la mobilisation de leur intelligence. Avec cette intelligence-là, nous irons peut-être vers une civilisation du léger plus équilibrée. Nous n&rsquo;avons d&rsquo;ailleurs pas tellement le choix : sans l&rsquo;intelligence, nous allons droit dans le mur.</p>

La violence des attentats de janvier est-elle la conséquence de notre légèreté ?

<h3 class="s2">Atlantico : A l'heure d'une importante crise économique, peut-on aller jusqu'à dire que la civilisation occidentale soit aujourd'hui menacée sérieusement de disparition ?</h3><p><strong>Charles Sannat :&nbsp;</strong><span style="font-size: 12px; line-height: 1.5;">Je parlerais plutôt d'une possible disparition de la civilisation telle que nous la connaissons dans le sens où le délitement des structures occidentales ne signifie pas qu'elles seront remplacées par un nouvel "âge sombre". L'actuelle crise économique peut à ce titre être considérée de deux façons : elle sera un élément directement déclencheur de notre potentielle chute ou bien un élément précurseur à travers les tensions qu'elle pourra générer dans les prochaines années, dans ce cas cela signifierait qu'en réalité, l'effondrement a déjà commencé.</span></p><p>Ce rapport de la NASA fait par ailleurs écho à d'autres travaux, notamment ceux du Club de Rome qui avait analysé sous un angle environnementaliste les cycles d'exploitations des matières premières. Il avait ainsi été conclu que la croissance économique finirait par connaître une fin logique face à la limite des ressources naturelles disponibles dans un système de consommation de masse, l'idée de base pouvant être résumé par "la croissance infinie dans un monde fini est par définition impossible".&nbsp;L'autre texte de référence en la matière est celui de l'américain Joseph Tainter (L'effondrement des sociétés complexes) qui relève d'une analyse plus politique et historique sur la fin des grandes civilisations.</p><p>Cela nous amène effectivement à se demander si le système que nous connaissons, basé sur la consommation et la production de masse, peut tenir éternellement en reposant sur l'abondance complète des matières premières et de l'énergie. <strong>A l'instar de la NASA et du Club de Rome, je suis de ceux qui pensent que de telles structures ne peuvent durer, en particulier dans un contexte mondialisé comme le nôtre</strong>. Une fois que cela est dit, il ne faudrait pas dire que notre situation est pour autant désespérée : ce n'est pas parce que notre système ne peut plus faire de la consommation de masse sa pierre angulaire que la civilisation en tant que telle est condamnée à l'effondrement. Il ne faudrait pas confondre à ce titre le système économique pur (ainsi que son corollaire le monde politique) d'une civilisation dans son ensemble : la chute récente du système soviétique est là pour rappeler l'importance de telles nuances. La fin d'un système n'est pas la fin d'une culture.</p><h3 class="s2">Le chercheur Joseph Tainter évoquait justement le fait que toute société post-tribale se caractérisait par sa capacité à résoudre ses problèmes via des mécanismes de plus en plus sophistiqués. En sommes-nous arrivés aujourd'hui à un degré ingérable de complexité ? Sommes-nous encore capables de comprendre notre environnement ?</h3><p><strong>Charles Sannat :&nbsp;</strong>Il est clair que la compréhension et la prédiction de notre environnement est de plus en plus difficile. Tainter évoque l'idée, de manière assez pragmatique du reste, qu'une société se fragilise au fur et à mesure qu'elle devient plus performante, et donc plus complexe. Par exemple, il n'y a pas 20 ans de cela, il était possible pour à peu près n'importe qui de réparer le phare de sa voiture, un simple changement d'ampoule étant nécessaire pour y arriver. Aujourd'hui un tel problème demande de se rendre à la concession, d'utiliser des outils spéciaux, de démonter la moitié du pare-chocs, et d'acheter une ampoule spéciale dont le prix est 10 fois plus important. Dans la même logique, la multiplication des équipements électroniques de nos automobiles multiplient les sources de pannes, et ces pannes sont aujourd'hui impossibles, ou presque, à réparer pour l'individu moyen. De moins en moins autonomes, nous finissons par dépendre de ce que l'on appelle les "services-support" (fourniture d'eau, d'énergie, de nourriture, de vêtements par des services extérieurs…). Plus ces services se popularisent plus ils fragilisent par définition un équilibre d'ensemble en généralisant l'interdépendance. Ainsi lors des tempêtes de neige du début de l'année 2013, le gouvernement avait été obligé d'immobiliser les semi-remorques à l'entrée de l'Ile-de-France, ce qui avait fini par créer des pénuries dans plusieurs secteurs au bout de quelques jours. Dans un registre similaire, l'impact du tsunami qui a frappé le Japon en mars 2011, sur les entreprises japonaises avait fini par créer des problèmes d'approvisionnement aux quatre coins de la planète. Autrement dit, plus nous développons des systèmes spécifiques, moins nous sommes capables de nous adapter à des événements imprévus.</p><p><strong> Cette question de la complexité est d'ailleurs d'autant plus préoccupante qu'elle n'est plus tellement limitée dans l'espace à l'ère de la globalisation.</strong> Le problème est qu'il est impossible ou presque, de "simplifier" un système trop complexe, et l'exemple du "choc de simplification" souhaité par le gouvernement Hollande est ici assez révélateur puisqu'il a en vérité généré de nouvelles lois qui ont encore ajouté à la complexité de l'Etat français. Enfin dans une société complexe, les individus sont ultra-spécialisés et ne maîtrisent plus par définition les savoir-faire nécessaire à une survie dans un monde plus "naturel". Une société complexe rend donc les gens moins résilients car dépendant des autres qui détiennent d'autres compétences. La complexité rend donc chacun de nous plus sensible et plus fragiles aux aléas du monde.&nbsp;</p><p><strong style="font-size: 12px; line-height: 1.5;">William Genieys :</strong><span style="line-height: 1.5;"> Sans prétendre être un fin connaisseur des recherches de l’anthropologue et historien américain Joseph A. Tainter, notamment son dernier ouvrage portant sur ‘l’effondrement des sociétés complexes’ (trad. Française 2013), je tiens à préciser que sa réflexion est de premier plan et qu’elle se démarque, à juste titre, des thèses des "déclinologues" qui fleurissent régulièrement à chaque fin de siècle ou encore lors de crises importantes. Plaide en sa faveur une capacité forte a développer une pensée originale, au carrefour de plusieurs disciplines scientifiques, autour de la question de devenir des sociétés complexes lorsqu’elles sont confrontées à la problématique de la pénurie énergétique. De&nbsp;</span>surcroît<span style="line-height: 1.5;">&nbsp;en bon "social scientist"&nbsp;américain, il se refuse à prescrire le futur de nos sociétés contemporaines en interrogeant ces évolutions possibles. Néanmoins, son approche probabiliste et ouverte trouve certaines limites lorsqu’il s’avance sur le terrain central du point de vue de la comparaison entre l’effondrement des sociétés anciennes et le monde actuel. Si un débat sur le "bon usage" de l’analyse comparée ne s’impose pas ici, long et complexe même si l’on peut lire l’excellent opus de Leonardo Morlino consacré à la question (Armand Colin, 2013), on est oblige de rappeler l’effondrement d’un système social ou encore d’un régime relève de la convergence de facteurs sociaux, économiques, politiques et culturels.</span></p><p><strong>Sur ce point, la question de la crise énergétique, même si elle est réelle, préoccupante encore non solutionnée, apparaît un trop comme une explication relevant d’une seule cause</strong>. De même, l’argumentation complémentaire avancée pour expliquer le déclin de la société industrielle actuelle, le "rendement décroissant" concernant la recherche industrielle et notamment le nombre de brevet déposés par habitant ou scientifique qui ne cesse de décroître. Certes, on peut mobiliser l’univers statistique, qui est le sien, pour chiffrer cette réalité, mais on pourra toujours lui objecter que si le volume global baisse qu’en est-il de la qualité des inventions récentes (comme internet, la robotique etc.). Je pense que le dilemme est autre car la relation entre la science et les sociétés complexe fonctionne plutôt comme un oxymoron dans le sens où les innovations produisent également par effets induits de nouveaux problèmes et de nouvelles questions et ainsi de suite.</p><h3 class="s2">Cette même étude évoque l'idée que les sociétés finissent par s'effondrer lorsqu'elles deviennent incapables de subvenir aux besoins les plus élémentaires des masses travailleuses, cet appauvrissement étant trop peu ressenti par des élites qui conservent leurs privilèges. Jusqu'à quel point une grille de lecture "sociale" permet d'expliquer la chute d'une civilisation ?</h3><p><strong>William Genieys :</strong> Cette étude mobilise également la question de l’élargissement des inégalités sociales dans les sociétés actuelles. Il est intéressant de noter que ce débat fait écho dans une étude très récente menée par des chercheurs de la NASA. Cette étude initiée par des chercheurs des "sciences dures" et des sciences sociales ont mis sur pied un modèle mathématique annonce la chute de notre modèle de civilisation dans le siècle à venir. Même si les protocoles de recherche mobilisés sont différents, ils se rejoignent pour pointer l’écart grandissant nos sociétés entre la détention de la richesse par une minorité d’individus et l’appauvrissement grandissant des masses travailleuses. Les premières seraient toujours plus avide d’argent et le seconde de plus en plus ‘prolétarisée’, et surtout dans l’incapacité même de participer à la production de richesse nécessaire à la survie du système sociétal. Ce débat rejoint un questionnement ouvert depuis le début des années 2000 chez certains spécialistes étasuniens de la question élitaire. De nombreux articles et ouvrages montrent qu’effectivement les écarts de richesse notamment aux Etats-Unis ne cesse de se creuser, voire ont été renforcés par la crise de financière de 2008. Si ce phénomène, n’est pas contestable en soi, l’interprétation qui souvent en faite l’est un peu plus. Sur un premier volet la thèse consiste à déduire de l’accumulation et de la concentration de la richesse économique, un accroissement du pouvoir d’influence sur les gouvernements démocratiques. Autrement dit, les "super riches" forment une nouvelle oligarchie qui détient tout les pouvoirs y compris le politique qu’elles mobilisent à merci pour toujours accroître son profit. Bref, les conditions d’un nouveau grand soir sont à nouveau réunies. Dans cette perspective, les élites sont alors considérées comme la minorité qui freine tout changement et qui surtout en a les moyens, alors que les élites politiques sont appréhendées comme les supplétifs de cette "farce’ historique". Alors pour reprendre, les arguments de J. Tainter et réfuter cette thèse, on peut dire sans mal que la réalité socio-politique réelle est beaucoup complexe que cela. Que le pouvoir entre des élites souvent rivales est aussi possiblement le vecteur de changement à venir. La sociologie des élites de Pareto nous apprend que si les élites ont une capacité accrue à circuler de façon horizontale entre les différentes sphères du pouvoir, il existe également une circulation verticale qui fait que de nouvelles élites porteuses de visions et d’intérêts différent on toujours la capacité à changer le jeu. <strong>Certes, cela ne règle pas en substance le sort des populations en voies d’appauvrissement, mais sur ce point on peut néanmoins espérer que de nouvelles élites inspirées par Schumpeter oseront opérer la "destruction créatrice" afin que nos sociétés connaisse à nouveau des formes de progrès social.</strong></p><p><span style="font-family: arial, verdana, sans-serif; font-size: 14px; font-weight: bold; line-height: 1.5;">Ces mécanismes d'effondrements sont-ils irréversibles ? Que nous enseigne l'Histoire à ce propos ?</span></p><p><strong>Charles Sannat :&nbsp;</strong><span style="font-size: 12px; line-height: 1.5;">Le plus bel exemple historique est selon moi l'Histoire de l'humanité, cette dernière étant ponctué de grands chocs et de réadaptations souvent surprenantes. Contrairement à une idée reçue, la chute de l'Empire Romain n'a pas signifié la fin de toute civilisation et de toute technique, bien que cela ait évidemment représenté une "régression". Néanmoins, les civilisations qui suivent arrivent toujours à dépasser le seuil technologique et économique de celles qui les ont précédés. Du moins est-ce le cas dans l'histoire de l'Occident.</span></p><p>Le problème est de se demander ce qui pourrait remplacer la société globalisée à une époque où aucun contre-modèle n'existe pour s'y substituer, ce qui est en soi quelque chose de totalement inédit sur le plan historique. Un effondrement de ce système où chacun est interdépendant se fera en toute logique à l'échelle mondiale et rien ne pourra venir se placer en alternative.<strong> Lorsqu'un système s'effondrait autrefois, il avait toujours la possibilité d'être absorbé par un voisin plus puissant</strong> (c'était le cas de Rome avec la puissance militaire des tribus germaniques et la matrice intellectuelle du christianisme, NDLR) ce qui est effectivement impensable en l'état actuel des choses.</p><h3 class="s2">Vers quoi pourrait mener un effondrement de nos modèles de société ? Faut-il aller jusqu'à craindre un retour du chaos et de "l'âge sombre" comme au lendemain de l'Empire Romain ?</h3><p><strong>Charles Sannat :&nbsp;</strong>Comme je le disais plus haut, on peut dissocier fin d'un système politico-économique de la fin d'une civilisation, ce à quoi on peut ajouter un troisième scénario, autrement plus apocalyptique, à savoir la fin de l'humanité. Le plus inquiétant est que ce schéma, aussi spectaculaire soit-il, n'est pas à exclure entièrement. Au-delà de l'aspect globalisé de notre système, une fragilité supplémentaire est à prendre en compte aujourd'hui : notre incroyable potentiel de destruction technologique. <strong>Lorsque l'Empire romain s'est effondré,</strong> <strong>il n'existait pas de laboratoires concentrant des masses de virus mortels, ni de centrales nucléaires, et encore moins d'arsenaux nucléaires capables de vitrifier cent fois la planète entière,et on peut légitimement s'interroger sur ce qu'il se passerait si jamais ces structures n'étaient plus gérées par un personnel compétent</strong>. Si l'on peut toujours espérer que le système capitaliste, dans son acceptation la plus resserrée (respect de la propriété privée dans les moyens de production), puisse s'appuyer sur son incroyable capacité d'adaptation pour trouver un nouveau souffle et de nouveaux postulats de fonctionnement (comme l'économie circulaire par exemple), des scénarios noirs ne sont donc clairement pas à exclure. Cela nous renvoi à l'ouvrage phare de Nassim Taleb, les "Cygnes Noirs" pour qui ce qui façonne l'histoire de l'humanité n'est pas la "moyenne normale des événements"... mais les événements extrêmes et hautement improbables.&nbsp;</p><p style="text-align: right;"><em>Propos recueillis par Théophile Sourdille</em></p>

flou statistique indécision 

Notre civilisation est-elle devenue trop complexe pour survivre ? 

C'est écrit

La chute : la complexité aura-t-elle la peau de notre civilisation comme le craignent des chercheurs de la Nasa ?

<h3 class="s2">Atlantico : L&rsquo;humour a été invoqué à de multiples reprises ces derniers jours pour faire face à la tragédie de Charlie Hebdo. Certaines études <a class="Colorbox" href="http://m.theatlantic.com/magazine/archive/2014/06/funny-or-die/361618/" target="_blank">(voir ici)</a> ont mis en évidence le rôle du rire dans le soulagement de cas de dépression ou d&rsquo;anxiété&nbsp;: pourquoi l&rsquo;humour, et par extension, le rire, nous soulagent-ils ainsi&nbsp;?</h3><p><strong>Martine Medjber-Leignel :</strong> Le fait de rire permet de relâcher la pression, de conduire le plus directement au lâcher-prise. Cet acte oblige à expirer tout le gaz carbonique qui se trouve dans les&nbsp; poumons, puis à inspirer de nouveau de l&rsquo;oxygène, ce qui permet de régénérer le sang, les cellules nerveuses et les neurones. <strong>Eclater de rire, c&rsquo;est donc un peu comme ouvrir grand les fenêtres d&rsquo;une maison&nbsp;!</strong></p><p>La dépression, les ruminations, les pensées négatives sévissent au niveau de la tête. Le rire, lui, permet de revenir au corps et à l&rsquo;instant présent. Même s&rsquo;il est possible de rire seul, généralement cela se fait à plusieurs. <strong>Partager le rire avec autrui crée une ouverture d&rsquo;esprit et de cœur qui permet de se soustraire à la pression et à l&rsquo;autocritique. </strong>Fondamentalement, le rire est une prise de recul sur nous-même, sur la vie et les événements, même les plus graves.</p><h3 class="s2">L&rsquo;organisation d&rsquo;une soirée consacrée à Charlie Hebdo et à l&rsquo;humour dimanche 11 janvier sur France 2, ainsi que le fait que des chroniqueurs radio et télé aient tout de même cherché à faire rire, sont donc des réactions naturelles&nbsp;?</h3><p><strong>C&rsquo;est une façon de relâcher la pression émotionnelle car le choc à été violent pour tous ; c&rsquo;est aussi une manière d&rsquo;offrir une respiration salvatrice au milieu de cette tragédie et de célébrer la vie quoiqu&rsquo;il arrive. </strong>Que faire de mieux que d&rsquo;éclater de rire lorsque les mots ne suffisent plus&nbsp;? Il se trouve que j&rsquo;ai participé à la Marche républicaine de dimanche dernier en compagnie de quelques membres du club de rire de Vincennes&nbsp;: comme tout le monde, nous partagions la même énergie pacifique, ce qui n&rsquo;a pas empêché des éclats de rire de s&#39;inviter. Le rire fait partie de la vie, en parallèle de tous les désespoirs.</p><h3 class="s2">D&rsquo;autres études ont montré que lorsque des personnes hospitalisées rient devant un film, elles ressentent moins de douleur physique. Comment expliquer que l&rsquo;humour devienne un palliatif à la morphine&nbsp;?</h3><p>Le fait de rire permet de sécréter des endorphines, ce sont les hormones du plaisir et du bien-être, elles ont une action antalgique. C&rsquo;est par exemple la fonction des clowns qui se rendent auprès des enfants hospitalisés pour créer une sorte de parenthèse dans la douleur. En Amérique du Sud, lorsqu&rsquo;un enfant se fait mal, les adultes l&rsquo;invitent à rire, justement pour que son corps sécrète les hormones qui lui permettront de dissiper la douleur. Le journaliste Norman Cousins, rédacteur en chef du Saturday Review a même décrit dans son livre&nbsp;: <em>comment je me suis soigné par le rire</em> comment, grâce à une cure de&nbsp; rire, il a pu lâcher ses médicaments et guérir d&rsquo;une spondylarthrite ankylosante réputée incurable.</p><h3 class="s2">Maladies cardiovasculaires, déficiences pulmonaires, fécondation in vitro&hellip; L&rsquo;humour aurait des effets bénéfiques dans toutes ces situations. Dans quelle mesure peut-il se substituer au traitement médicamenteux&nbsp;?</h3><p>L&rsquo;organisme, normalement, s&rsquo;autorégule et sait apporter les anticorps nécessaires à la vie et à la bonne santé. Mais parfois des stagnations de toxines se produisent, et une respiration qui ne prend pas sa source dans le ventre entraîne une inertie du diaphragme et un grand nombre de maladies aussi bien digestives qu&rsquo;émotionnelles. Apprenons à respirer comme les chats et les bébés, c&#39;est-à-dire totalement&nbsp;: l&rsquo;inspir démarre en soulevant le ventre, puis l&rsquo;oxygène remplit nos poumons, c&rsquo;est une respiration dite complète ou diaphragmatique<strong>. Le rire permet de remettre du mouvement dans les systèmes sanguins, lymphatiques et nerveux et ainsi de renforcer le système immunitaire. </strong>En observant l&rsquo;activité cérébrale des rieurs, des chercheurs ont pu constater que les &quot;centres de récompense&quot;, situés dans la partie gauche du cerveau étaient activés. Ce sont les zones cérébrales qui libèrent la dopamine, un neurotransmetteur essentiel dans les sensations de plaisir. Cette observation devrait permettre de mieux comprendre les mécanismes de la déprime et de trouver ainsi des traitements révolutionnaires pour la soigner.</p><p>Le docteur Patch Adams, clown médecin rendu célèbre grâce au film <em>Docteur Patch</em>, interprété par Robin William a créé aux Etats-Unis, grâce aux six millions de dollars de droits d&rsquo;auteur, une clinique du rire gratuite qui a soigné 15&nbsp;000 patients en douze ans. Le personnel fournissait des moyens de se divertir aux patients, ceci afin de doper leur santé : &quot;le nez rouge est ma thérapeuthique favorite&quot; disait Patch Adams. Le docteur généraliste indien, Madan Kataria a pour sa part créé le yoga du rire en 1995. Les médecins sont donc nombreux à avoir conscience du fait que le rire peut prévenir, mais aussi, dans certains cas, guérir.<strong> Ainsi depuis Aristote on préconise de rire au moins dix minutes par jour. A quand remonte votre dernier fou-rire&nbsp;?</strong></p><h3 class="s2">L&rsquo;humour est souvent présenté comme un bouclier, mais y a-t-il des effets négatifs à trop en user&nbsp;?</h3><p>Effectivement, l&rsquo;humour, s&rsquo;il est trop sardonique, peut se &quot;dévoyer&quot;. Mais il faut bien avoir conscience que l&rsquo;humour étant mental est culturel, il n&rsquo;est pas partout le même dans le monde et que notre collègue peut ne pas nous amuser du tout , alors qu&rsquo;il est persuadé d&rsquo;être drôle&nbsp;! <strong>Ce qui est universel en revanche et bénéfique pour tous c&rsquo;est le rire, qui est un acte de liberté totale, une forme de reprise de pouvoir sur sa vie et une ouverture envers les autres</strong></p><h3 class="s2">Comment faire pour développer et entretenir ce sens de l&rsquo;humour si salutaire&nbsp;?</h3><p>Le décalage, la surprise provoquent le rire, l&rsquo;humour est&nbsp; un angle de vue qui se construit selon la sensibilité et l&rsquo;éducation de chacun, <strong>son rôle n&rsquo;est donc pas de fédérer mais de nous ouvrir les yeux, de nous offrir un regard complémentaire grâce à sa pertinence et son acuité. </strong>Mais la provocation ne suffit pas, il est indispensable pour une bonne santé sociale de partager des moments de fraternité, de rire et de bienveillance, le rire relationnel, toutes générations confondues, ouvre les cœurs et nous rapproche les uns des autres, rire ensemble sans raison et pour le plaisir de rire tisse un terreau social d&rsquo;espoir et de joie, ce dont nous avons je pense grand besoin.</p>

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Ne pas rire tue : la santé publique doit se préoccuper du sens de l'humour

C'est remboursé par la sécu ?

Ne pas rire tue : pourquoi la santé publique doit vraiment se préoccuper du sens de l'humour

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