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Contamination au tritium des rivières françaises : anatomie d’une opération destinée à générer une peur infondée sur le nucléaire
©JEAN-PAUL BARBIER / AFP

ACRO

Plus de 6 millions de Français seraient alimentés par de l’eau contaminée au tritium selon l’association pour le contrôle de la radioactivité de l’Ouest qui parle de "contamination radioactive". Ces éléments contribuent à alimenter une peur infondée sur le nucléaire.

Tristan Kamin

Tristan Kamin

Tristan Kamin est ingénieur en sûreté nucléaire. Son compte twitter : @Tristankamin

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Atlantico.fr : L'Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l'Ouest a récemment communiqué une étude dans laquelle il est déclaré que 6 millions et demi de Français boivent une eau contaminée au tritium. Pourquoi faut-il se méfier grandement d'une telle déclaration ?

Tristan Kamin : Il faut se méfier de cette déclaration parce qu'elle ne prend tout simplement pas en compte les risques, sans aucune considération sur sa toxicité. On parle d'activité d'ensemble qui sont relativement faibles et c'est très analogue à ce qu'on peut observer dans d'autres thématiques où on déclare retrouver des "traces de" avec des formules très alarmistes, sans la moindre nuance sur le risque que cela représente sur les populations – s'il y a un risque. Parce que finalement on dit spécifiquement dans ces articles qu'il y a un seuil sanitaire qui est bien défini, un seuil d'alerte qui est également bien défini : on est en-dessous mais il faudrait quand même s'inquiéter. On ne se contente donc pas uniquement d'ignorer la fonction de risque mais de remettre en cause les risques tels que définis par les autorités sanitaires.

Dans ce genre de cas, on peut parler de désinformation parce que concrètement, lorsque l'on entend parler de contamination au tritium et qu'on est en-dessous des seuils, il s'agit clairement d'une désinformation. Peut-on aussi parler d'un management de la peur de la part des mouvements anti-nucléaires ?

Il y a un effort qui va spécifiquement dans ce sens-là. Il y a exactement un mois était révélé le pic de contamination réalisé dans la centrale d'Avoine-Chinon. A ce moment-là, la réaction que l'on a eu était de dire : "il s'est peut-être passé quelque chose, on ferait bien de savoir quoi." Une enquête a été réalisée par l'Autorité de Sureté Nucléaire : ce procédé était plus ou moins normal. Dans la suite, il y a eu des comités avec le CRIIRAD (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité) qui incitaient les gens à faire leur propre mesure ou aller relever dans leur propre secteur, d'adresser des lettres à leurs élus pour leur demander à ce que soit rabaissés les seuils d'alerte à des niveaux qui sont ceux du bruit de fond constant, qui est d'ailleurs résiduel des essais nucléaires atmosphériques. Cela n'a pas eu beaucoup d'échos et a surgi hier ou aujourd'hui une grande révélation qui n'en est pas réellement une, parce qu'elle est basée sur une opinion publique et qui nous révèle que la contamination est normale pour six millions de personnes et négligeable pour le reste. Le propos est entièrement retourné, pour essayer de pousser un cri d'alerte complètement infondé.

Le fait que ces études aient été relayées par la presse sans réfléchir et regarder de quoi il s'agissait révèle un vrai manque de connaissance scientifique. Concrètement, quand on parle de contamination au tritium, quel est le rapport direct avec le nucléaire ?

Le tritium est un radionucléide qui est rejeté en permanence par les installations nucléaires. Celle qui en rejette le plus en France est très peu connue, n'est même pas une centrale, est le centre de Valduc, dédié à l'armement nucléaire : c'est celui qui en rejette le plus, donc ce n'est pas exactement propre à l'industrie. En numéro deux, il y a l'usine de retraitement de la Hague et d'autres installations suivent, notamment EDF.

Le tritium a deux particularités c'est qu'il est à la fois très peu radioactif et peu radio-toxique, c'est-à-dire que les radiations qu'il émet on très peu d'énergie et ne pénètre pas, c'est aussi pour cela qu'on s'autorise à le rejeter : parce que son impact est très faible. D'autre part, il est très mobile et très dur à filtrer, séparer, retenir artificiellement ou naturellement. Par conséquent, dans le cas d'un rejet involontaire ou excessif de déchets nucléaires, la première chose que l'on verrait serait du tritium. Par conséquent, dès qu'il y a un peu plus de tritium repéré à un endroit, c'est normal de se demander s'il n'y a pas quelque chose de caché et de chercher. Cela ne veut pas dire qu'il y a des rejets importants derrière, mais c'est un bon moyen d'arrêter de se poser des questions.

De plus, ce que l'ACRO dénonce c'est une radioactivité en becquerel par litre qui est de l'ordre de 100 becquerels par litre de tritium. Dans les aliments qu'on trouve au quotidien on trouve des radioactivités comparables, dans une centaine de becquerels par kilogramme, de potassium quarante qui est un radioélément naturel notamment présent dans les légumes. Par contre, pour une même radioactivité le potassium est à peu près cent fois plus radio-toxique. L'ACRO nous alerte donc sur le tritium d'un risque qui est environ cent fois inférieur à ce qui est naturellement présent dans les aliments et qui ne présente aucun risque. En somme, le discours caché derrière est de dire "naturel = bon", "artificiel = dangereux", que l'on retrouve dans beaucoup de discours aujourd'hui.

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