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L’euro repart à la hausse et le problème fondamental de l’économie française nous rattrape à nouveau (et non, on ne parle pas de compétitivité prix)
©Reuters

Malédiction

Le 29 décembre dernier, les 1,20 dollars ont été atteints par l'euro. Plus qu'un sursaut c'est une tendance importante qui ne va pas arranger les affaires de la France...

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Le 29 décembre dernier, l'euro re-franchissait la barre symbolique des 1.20 $, un seuil qui avait pu être effleuré au cours du mois de septembre dernier. Dans quelle mesure l’ascension de l'euro, ou la baisse du dollar, pourrait-elle se poursuivre au cours des prochaines semaines et des prochains mois ? Quelles en sont les causes ? 

Jean-Paul Betbeze : Les marchés des changes saluent les variations et plus encore les surprises. Pour l’euro, elles sont toutes bonnes. Ils apprécient ainsi les derniers sondages sur la croissance qui se réveille en zone euro, et notamment le dernier indice PMI pour l’industrie manufacturière. Il atteint en effet, en s’inscrivant à 60,6 en décembre 2017, son plus niveau depuis le lancement de l’enquête Markit en 1997. C’est donc le « réveil » qui paye, avec la remontée de l’euro à son niveau de septembre 2017, depuis un minimum à 1,05 début 2016. Mais n’oublions pas quand même le maximum de l’euro contre dollar à 1,57 en mars 2008, qui doit nous rendre prudents dans les prévisions !

Pour 2018, que pourrait-il donc se passer en économie aux Etats-Unis et en zone euro ? En économie seulement, tant les questions politiques abondent et, au moins en 2017, ne semblent pas avoir beaucoup pesé. Mieux vaut donc ne pas lister ici les questions sur la Corée du Nord, la Chine, le pétrole, les élections en Italie et ailleurs… 

En économie seulement, donc, la croissance semble continuer aux Etats-Unis, à peine au-dessous de 2017 (2,6% contre 2,7% ?), mais avec un réveil de l’inflation au-dessus de 2% qui ferait monter les taux courts. Les marchés s’attendent désormais à 3 ou 4 hausses de taux courts (vers 2,25-2,5% en fin d’année) et donc à une hausse des taux longs (vers 3%). 

Rien de tel pour les taux d’intérêt en zone euro, rattrapant son retard, où la croissance repart vers 2,4%, et où l’inflation se réveille. Mais la BCE va continuer à acheter des bons du trésor jusqu’à fin septembre, faisant pression sur les taux longs, et sans hausse des taux courts avant mi 2019, Mario Draghi achevant son mandat sur une hausse ! Dans ce contexte, le dollar sera mieux rémunéré que l’euro pendant de nombreux mois, ce qui va le soutenir. 

N’oublions pas non plus que les dernières mesures fiscales signées par Donald Trump vont attirer des investissements boursiers, pour bénéficier de la baisse de la fiscalité (22%), et que les milliards de dollars de trésorerie (2 900) parqués en zone euro pourraient décider de revenir pour bénéficier de la quasi amnistie fiscale annoncée (15%). Bref, la montée actuelle de l’euro serait plutôt l’annonce de la correction d’une sous-évaluation que l’amorce d’un fort trend haussier. L’euro sera doucement plus fort, si ces hypothèses tiennent.

Que peuvent en être les conséquences pour l'économie de la zone euro et plus particulièrement pour celle de la France ? 

Si l’économie de la zone euro va mieux sans que, pour autant, ses taux d’intérêt à long terme ne remontent trop, et donc l’euro, l’amélioration peut se poursuivre et permettre d’accélérer les réformes. Dans ce contexte, une hausse modérée de l’euro, modérée parce que l’économie américaine poursuit sa croissance et surtout augmente vite ses taux d’intérêt, est une opportunité à exploiter rapidement. N’oublions pas que la zone euro butte sur ses capacités de production, et donc peut susciter plus rapidement des tensions salariales inflationnistes ! N’oublions pas surtout que les Etats-Unis forcent leur machine, avec une politique fiscale qui soutient la croissance au moment même où elle est déjà en plein emploi ! Elle peut donc tomber plus rapidement en récession, pesant sur la croissance de la zone euro. Mais, dans ce cas, la Fed pourra baisser ses taux, et donc le dollar faiblirait, mais pas la BCE, puisqu’ils seront pratiquement à zéro !

L’économie française montre, dans cette reprise, sa faiblesse de fond : celle de son système productif, notamment exportateur. Une entreprise sur trois butte sur des manques de compétence à l’embauche, alors que le taux de chômage est à 9,7% et le déficit extérieur est de l’ordre de 50 milliards d’euros et se creuse ! Aussi longtemps que la France n’aura pas renforcé sa compétitivité coût, par les salaires qui doivent rester modérés, et surtout hors coût, par les compétences à augmenter, sa situation sera sous pression. Ce n’est pas la hausse de l’euro qui est le vrai problème français, c’est la hausse qui n’arrive pas à être compensée par la montée en qualification. Ce serait mieux d’avoir le courage de le dire !

Du point de vue du gouvernement, les efforts fournis pour permettre une "baisse du coût du travail" au travers de plusieurs réformes, peuvent-elles être annihilées par cette progression de l'euro, du moins, vis à vis de la concurrence hors zone euro ? 

La baisse du coût du travail veut surtout faire baisser le taux de chômage lié à la demande interne. Elle est décisive dans la distribution et les services à la personne. La distribution est de plus en plus menacée par les importations et les achats sur Internet. Les services à la personne sont décisifs pour l’emploi futur, notamment des personnes peu qualifiées. 

Mais il faut que les salaires nets n’augmentent pas, profitant à plein (et seulement) de la baisse des charges pour augmenter le pouvoir d’achat. En même temps, la formation est indispensable partout, pour augmenter la productivité. Elle est évidemment décisive dans le secteur exportateur, pour gagner des parts de marché dans les pays industrialisés et surtout émergents, Inde et pays africains notamment. 

La concurrence passe par la formation, de plus en plus. Cette année, il faut la renforcer, quand l’euro ne monte pas encore trop, et continuer en 2019 et 2020. Le CICE ne peut pas tout, il peut même de moins en moins dans un monde de robotisation, d’intelligence artificielle et de collaboration entre intelligence humaine et intelligence artificielle. Ensuite, disons en 2021, si les Etats-Unis entrent en récession, le dollar baissera par rapport à l’euro. Les entreprises françaises pas assez renforcées et les salariés pas assez formés souffriront d’autant. Et pourtant, ce ne sera pas une surprise : la vraie compétitivité consiste à vendre du travail cher, parce que mieux formé. Le taux de chômage français est le double de l’Allemand, avec un déficit de 0,9% du PIB pour les transactions courantes contre un excédent allemand de 8,3% du PIB. On peut toujours critiquer la zone euro ou l’épargne allemande, il reste que nous parlons plus de « révolution de l’intelligence » que nous ne la faisons ! Et pourtant, c’est la seule révolution qui ne tue pas… d’emploi ! Au contraire.

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