Vers un fiasco politique pour le règlement européen sur la restauration de la nature de l’UE ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des agriculteurs mobilisés devant le Parlement européen.
Des agriculteurs mobilisés devant le Parlement européen.
©FRÉDÉRIK FLORIN / AFP

Atlantico Green

Avec les mouvements de colère de fermiers, la Commission et les États membres hésitent à pousser ce qui était l’un des piliers de l’agenda vert. Faut-il s’en inquiéter ?

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Jean-Christophe Bureau

Jean-Christophe Bureau

Jean-Christophe Bureau est professeur d'économie à AgroParisTech et travaille sur les questions de commerce international dans le domaine de l'agriculture et de l'environnement. Il est chercheur associé au CEPII.

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Atlantico : L’Union européenne et ses États membres ont décidé d'alléger certaines formalités administratives dans le cadre de la politique agricole commune. Et il a mis de côté la loi sur la restauration de la nature, dans le cadre du Green Deal. Pouvez-vous nous expliquer le contexte de ce choix ?

Jean-Christophe Bureau : Les Etats membres ont fait plus qu’alléger les formatés administratives, ils ont reporté sine die (peut être en juin) le vote sur ce pan important du Pacte vert, sous l’impulsion de la Hongrie. Cela ressemble un peu à un clou dans le cercueil de ce texte, déjà fortement vidé de son contenu par le Parlement européen, sous l’impulsion de Manfred Weber. Ce qui est un peu choquant c’est que la plupart des observateurs s’accordent à dire que un an et demi plus tôt, il y avait un quasi consensus autour de ce texte et qu’il serait sans doute passé sans problème au Parlement comme au Conseil. Mais les revers politiques des principaux partis aux Pays Bas face à la montée en puissance d’un parti agrarianiste, les manifestations des agriculteurs et leur récupération politique par les partis les plus populistes ont amené à une surenchère qui a conduit à faire de ce projet un bouc émissaire.

Alexandre Baumann : La réforme de la PAC 2023-2027 imposait le respect de plusieurs "Bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE)", dont la 8e prévoyait, entre autres, le maintien en jachère de 3 ou 4 % des terres arables. La guerre en Ukraine ayant mis un important stress sur le marché agricole, cette mesure a été suspendue en 2023 jusque fin 2023. Le 15 mars dernier, la Commission européenne a publié un mémo proposant de ne pas imposer cette allocation minimale de terres arables en relevant, outre la guerre en Ukraine, ils évoquent les conditions climatiques extrêmes et un retour d'expérience après la première année d'application. 

Je pense qu'on peut relever d'autres facteurs:

  • La dernière crise énergétique a sérieusement ébranlé l'emprise de la désinformation antinucléaire (et donc de la pseudo-écologie), en mettant la population en face des conséquences de ce dogme. Les individus n'ont pas toujours conscience du prix de leurs croyances et y succombent, ne voyant que leurs avantages (sentiment de comprendre le monde, valorisation de soi, etc.). Prendre conscience du prix des croyances antinucléaires les a sans doute fait reconsidérer pour beaucoup de monde.
  • La colère des agriculteurs, s'étant exprimée par des manifestations énormes dans plusieurs pays, a sans doute joué.
  • Il est facile de prendre une décision quand elle ne coûte rien. Mais quand est venu le moment de faire face aux conséquences concrètes, les politiciens ont fait marche arrière.

Quelle était la viabilité de ce projet ? Avait-il un vrai intérêt environnemental ?

Jean-Christophe Bureau : Le projet imposait des objectifs qui pouvaient être vus comme des contraintes, en particulier par les agriculteurs, mais il a été présenté de manière assez caricaturale. Ainsi l’extension de la protection de la biodiversité en France a été présenté comme une interdiction de l’activité économique alors qu’il ne s’agissait guère plus que de renforcer le dispositif de parcs naturels régionaux, qui n’a jamais empêché l’activité économique. Certaines dispositions auraient pourtant été très utile pour protéger la biodiversité qui est en train de littéralement s’effondrer.

Alexandre Baumann : Si j'ai bien saisi (les décisions n'étant pas précisément argumentées), l'objectif de la jachère est de créer des espaces pour "briser" l'homogénéité des champs agricoles, qui feraient une sorte de barrière compliquant l'existence des oiseaux, insectes et autres animaux. Certains journaux affirment que cela permet à la terre de se "reposer", mais cela me semble douteux. La justification de la "jachère" au Moyen-Âge était qu'on y mettait le bétail pour fertiliser le sol [jusqu'au développement de la charrette et de la stabulation en tous cas] et l'une des composantes de la première révolution agricole industrielle a justement été de sortir du système de jachères pour les remplacer par des cultures fourragères. Néanmoins, je vois plusieurs logiques évidentes qui rendent cette mesure néfaste.

Tout d'abord, c'est la question des effets de bord: cela créera un marché pour les terres qui produisent peu ou dont l'exploitation est difficile. Au lieu de changer l'affectation de ses terres les plus productives, on pourrait simplement en acheter des improductives. Cela crée aussi des inégalités, certains agriculteurs ayant des zones faciles à "sacrifier" alors que pour d'autres, comme Olivier que j'avais interviewé pour mon précédent article, c'est de la perte sèche. 

Ensuite, si ces effets de bords sont limités, c'est la question du prix. D'abord, le poids pour les agriculteurs serait délirant: cela suffirait à éliminer le bénéfice de la plupart des agriculteurs, qui garderaient toutes les mêmes charges fixes, avec juste 4% de leur chiffre d'affaires en moins. Or, une entreprise qui ne fait pas de bénéfice, c'est simple: elle ne vaut rien. La valeur d'une entreprise dépend de sa capacité à produire des bénéfices. 

Maintenant, imaginons que la collectivité prenne cela en charge. Faisons un rapide calcul: en 2022, 13,63 millions d'hectares (hors herbages et fourrage) ont été récoltées en France, 4% en représentent 545 136. Le blé tourne autour de 200€/t actuellement et le rendement moyen du blé en France est de 7t/ha. On a donc un chiffre d'affaires à 1400€/ha, soit 763 190 400€ de chiffre d'affaires perdu. 

Maintenant, il faut se demander: est-ce qu'on ne pourrait pas faire mieux avec 763M€ et 545K hectares ? Surtout, la présente mesure aboutirait à affecter des espaces, qui seront choisis en fonction de choix non pas écologiques, mais entrepreneuriaux, et parsemés sur toute la France. Il serait évidemment plus efficace de cibler précisément les efforts: "on affecte tel espace à tel endroit pour favoriser le développement de telles espèces". Quitte à ce qu'il y en ait des milliers ou des dizaines de milliers, mais qu'ils soient choisis précisément dans un objectif identifié me semble un minimum. 

C'est donc déjà évidemment absurde. Et c'est sans parler d'un problème encore pire, que je vois souvent repris par les agriculteurs: ces espaces hors culture, seraient des refuges pour les nuisibles insectes et mauvaises herbes. En somme, cela pourrait réduire radicalement l'efficacité des pesticides et, donc ... augmenter leur usage. Le contre argument, celui de l'hébergement des auxiliaires de cultures, me semble discutable en raison d'un simple problème: la rapidité de prolifération. D'abord, cela ne vaut pas s'agissant des mauvaises herbes: chardon, chiendent et coquelicots pourront prospérer et infester les champs environnants. Ensuite, que les coccinelles finissent par tuer tous les pucerons est sans doute très bien, mais s'ils ont déjà infecté tout le champ avec une jaunisse nanisante ... Je n'ai pas recoupé ce point, mais cela me semble être du bon sens. 

En somme: soit la mesure est inefficace, parce qu'elle ne change pas l'affection des surfaces, soit elle est hors de prix pour un bénéfice très discutable.

À l’approche des élections européennes qui pourraient bousculer l’équilibre politique actuel, est-ce qu’un projet alternatif de compromis entre agriculteur et écologiste pourrait être adopté ?

Jean-Christophe Bureau : L’écart entre écologistes et agriculteurs n’a jamais été aussi grand. C’est regrettable, mais l’incompréhension est désormais totale. La responsabilité en est partagée. Les mouvements écologistes ont perdu une grande partie de leur crédibilité scientifique car à force de courir après les soutiens des classes urbaines de plus en plus ignorantes sur la nature, ces mouvements se concentrent sur des combats symboliques et la protection de l’individu animal (surtout lorsqu’il est mignon) et non plus de l’écosystème. Leur message est totalement incompris des agriculteurs, on le voit bien avec l’exemple de la protection du loup. Quant aux agriculteurs, ils ne semblent pas voir combien leur coûte le déclin de la biodiversité. Par exemple, ils ont beau mettre de plus en plus de produits phytosanitaires et d’engrais sur le colza, ce qui limite aujourd’hui les rendements, c’est l’absence de pollinisateurs. Se reposer davantage sur des insectes auxiliaires des cultures et moins sur du chimique serait une source de compétitivité et de souveraineté. Rien dans tout cela ne laisse penser à une réconciliation des points de vue.

Alexandre Baumann : L'écologie politique est aujourd'hui une pseudo-cause, il faut parler de pseudo-écologie. C'est un mouvement qui repose sur la désinformation, l'entrisme et la manipulation qui est en guerre totale pour la prise du pouvoir. Tout ce qu'on pourrait penser être les marques de leur éthique ne sont que des concessions qu'ils font à leur impuissance. On l'a surtout vu en matière agricole (ex: la polémique autour des Monsanto Papers et du glyphosate), et sur le nucléaire. Sur le sujet, je vous recommande le blog d'André Heitz, qui dénonce leurs impostures depuis de nombreuses années. Il faut voir leur action comme une forme de brigandage: ils essaient d'extraire de la valeur de la société pour gagner du pouvoir. S'ils prônent telle ou telle "solution", ce n'est jamais parce qu'elle a des effets positifs sur la nature ou non, mais parce qu'ils en tirent de la valeur. Il n'y a qu'à voir leur opposition forcenée aux OGM et au nucléaire et les trésors d'inventivité qu'ils mettent à manipuler (très efficacement) les masses. 

Il n'y a donc aucun compromis à faire avec eux. 

On peut néanmoins poser la question différemment: peut-on rendre l'agriculture plus écologique ? La réponse est évidemment oui: le génie génétique permettrait de diminuer l'utilisation de pesticides sans diminuer les rendements. Cela a été observé sur les cultures BT (Bacille de Thuringe), qui produisent un insecticide naturel, mais on peut aussi penser aux progrès variétaux en cours, qui pourraient être accélérés, comme ceux qui visent à rendre la betterave résistante à la jaunisse nanisante. Il y a aussi des stratégies qui sont déjà mises en place par les agriculteurs. Ainsi Christophe Boizard racontait déjà en 2020 comment il avait mis en place des "buttes à coléoptères" (beetle bank) et présente aussi sa barre d'effarouchement, "destinée à faire fuir et repérer la faune avant la faucheuse". Il y a énormément de choses à faire et les agriculteurs y travaillent déjà. Ils pourraient en faire plus si les mesures "écologiques" qu'on essaye de leur imposer n'étaient pas guidées par un lobby malfaisant.

Un autre problème majeur en la matière est la recherche. En effet, en matière d'impact environnemental et de biodiversité, de nombreux chercheurs sont des croyants en la pseudo-écologie, certains n'hésitant pas à instrumentaliser leur position pour produire des données sans intérêt sur le plan scientifique, mais utilisables politiquement. La première chose pour avoir un vrai progrès serait d'avoir des synthèses exploitables et un rapprochement entre agriculture et recherche sur la biodiversité. Aujourd'hui, tout est noyé dans le brouhaha militant.

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