Le communisme meilleur pour la planète que le capitalisme ? La réalité nous a prouvé l’inverse et voilà pour quelles raisons <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise lors de la Fête de L'Humanité.
Une photo prise lors de la Fête de L'Humanité.
©AFP

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Certains critères permettent de s'interroger sur l'impact du communisme sur l'environnement. Le choix de ne pas pas chercher à maximiser sa production peut par exemple entraîner une surproduction de CO2. La planification sans la quête de l’innovation a aussi tendance à entraîner un gâchis des ressources disponibles.

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Atlantico : En observant la production d'électricité de la Pologne par rapport à son coût en unité de PIB lorsque le gouvernement était communiste, on remarque que les résultats étaient catastrophiques. En quoi ne pas chercher à maximiser sa production et à ne pas faire de profits mène finalement à une surproduction de CO2 ?

Alexandre Baumann : En soi, maximiser sa production peut très bien amener à produire plus de CO2. C’est un peu le principe d’une centrale à charbon … Même les pays autoritaires, comme l’était l’URSS par exemple, cherchent à maximiser leur production … ou plutôt « la » ou « une » production. Nul doute que Staline essayait dans la mesure de leurs capacités à faire produire autant que possible à ses « citoyens » (mais à son propre profit).

Néanmoins vous faites sans doute référence à ce thread Twitter parlant de l’inefficience structurelle du management soviétique : il n’y avait aucune incitation à faire « plus avec moins », la seule question qui se posait était si vous aviez accompli ou non votre tâche. Cela aurait abouti à des gâchis tels que la Pologne avait une intensité énergétique (la quantité d’énergie primaire consommée par point de PIB) plus de 2 fois supérieure à celle de la France, écart qui s’est comblé petit à petit après la chute du bloc soviétique.

Ce qui fait la force des économies ouvertes n’est pas simplement la maximisation de la production, mais leur capacité à aiguiller les efforts des acteurs vers l’amélioration continue du système, en combinant l’incitation et la liberté de rechercher la rentabilité avec un cadre légal (et moral?) adéquat. La recherche de rentabilité a ceci d’étonnant qu’elle pousse aussi … à faire des économies ! Au contraire, dans les économies fermées, comme l’était l’URSS, tout est politique et l’innovation est rarement récompensée, ce qui la limite drastiquement.

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Cela pose la question de l’inefficience profonde de l’économie soviétique. Plus largement, c’est le problème de la responsabilité, qui n’est pas propre à l’Union Soviétique.

Prenons un événement dramatique récent : les écologistes allemands ont fait fermer les dernières centrales nucléaires du pays. C’est dramatique pour le climat et pour l’économie allemande, mais est-ce qu’ils vont payer quelque chose ? Non. Ces politiciens vont probablement même en bénéficier : ils renforcent leur narratif et, probablement, leur pouvoir.

Maintenant, mettez vous dans la peau d’un militant écologiste allemand antinucléaire, qui s’implique tous les jours dans ce qu’il pense être la lutte contre le dérèglement climatique, accuse et vilipende ceux qu’il pense être responsable, va tenter de convaincre ses proches, va construire son cercle social autour … Vous imaginez la violence que représenterait une prise de conscience de ce qu’il a fait ? Il a consacré une quantité d’énergie phénoménale non seulement pour rien, mais même dans un sens contraire de ce qu’il pensait. Il aura menti à tous ses proches, souvent avec véhémence, et tout son cercle social serait basé sur un mensonge. C’est terrible. Et terriblement habile : plus les écologistes font ce genre d’ignominie, plus ils augmentent le prix de la prise de conscience, plus ils renforcent ce verrou. Leur intérêt n’est pas l’intérêt de l’Allemagne. Ils peuvent faire ce qu’ils font grâce au fait qu’ils n’ont pas besoin de rechercher le second.

L’irresponsabilité génère l’incompétence et/ou l’inefficience (pourquoi qualifier ces politiciens agissant contre l’intérêt de leur pays d’incompétents ? Ils arrivent à leurs fins, ils ont du pouvoir et de l’argent, ils sont très compétents pour faire ce qu’ils veulent faire …).

Si, en tant que chef d’entreprise vous faites une erreur, cela vous coûte de l’argent ; si vous ne récompensez pas les salariés le méritant, vous les démotivez et cela vous coûte de l’argent ; si vous ne favorisez pas l’innovation, vous perdez des opportunités et de l’argent, etc. Les salariés (publics ou privés) peuvent aussi avoir des primes à la performance. Il y a aussi des rétributions non-financières : la satisfaction du travail bien fait, d’avoir aidé les gens, la renommée venant avec une découverte majeure, etc. De manière générale, avoir des employés dont l’intérêt est aligné avec ceux de l’organisation est important pour tout management. Encourager cela est un combat permanent.

Notez que cela ne peut pas être comparé au système soviétique, qui était intégralement fermé : rien en dehors de l’État. Tout n’était que politique. C’est la même problématique, mais ce n’est pas la même échelle.

Maintenant, en quoi être inefficient favorise les émissions de CO2 ?

C’est simple : moins vous êtes efficace pour produire quelque chose, plus vous consommez de ressources et plus vous émettez de CO2. On peut parler d’effets rebond et de bien d’autres arguments fallacieux utilisés pour nier cette réalité, mais cela prendrait longtemps pour pas grand-chose : l’évidence est là.

Pourquoi la planification sans chercher l’innovation entraîne un gâchis des ressources disponibles ?

On sous-estime souvent l’importance de l’innovation : on croit que cela se résume aux grands pas en avant, comme l’électricité, le vaccin contre la polio, l’ordinateur de bureau ou encore l’iPhone. En réalité, il y a constamment des milliers d’inventions qui améliorent petit à petit les processus, une infinité de petites améliorations qui s’accumulent pour former de grandes révolutions anonymes. C’est évident dans l’électronique : ce qu’on utilise maintenant est infiniment mieux que ce qu’on utilisait il y a quelques années. On peut aussi penser à l’électroménager : est-ce que les aspirateurs étaient aussi compacts, efficaces et peu chers il y a 30 ans ? C’est présent partout dans notre quotidien.

Se priver de cela, c’est simplement se condamner à la médiocrité. Si l’URSS est devenu un cloaque de pauvreté, de pénurie et de désespoir, ce n’est pas pour rien. En voulant contrôler toute la société, l’élite dirigeante a interdit l’innovation et enfermé sa population dans d’éternelles années 50. Rappelons-nous qu’encore aujourd’hui, beaucoup de russes n’ont pas de toilettes …

Le gâchis que serait le fait de ne pas innover est d’autant plus évident en matière environnementale. Les batteries par exemple, indispensables notamment pour décarboner la mobilité et absorber l’intermittence des énergies renouvelables, sont l’objet d’innovations considérables. Outre les évolutions de la technologie principale, lithium-ion, il y a des technologies sodium-ion, n’utilisant pas de lithium ou encore une batterie au fer (développée par Form Energy, avec des soutiens de poids comme le fonds d’ArcelorMittal).

Le nucléaire aussi pourrait connaître une révolution sans précédent : les petits réacteurs modulaires (PRM). D’une part, le fait de les produire en série dans des installations dédiées (et non des installations remontées à chaque fois) devrait améliorer considérablement l’efficacité globale de la construction (moins cher, plus rapide, plus fiable, de meilleure qualité). D’autre part, le format lui-même faciliterait l’utilisation de la chaleur fatale qui n’est, souvent, pas valorisée. En effet, les turbines ne transforment qu’entre 60 et 70 % de la chaleur produite en électricité. Certains PRM sont même conçus pour ne produire que de la chaleur. Et cela pourrait arriver très vite : l’agence américaine du nucléaire (NRC) a homologué le concept de NuWard fin 2022.

Enfin, peut-être ma préférée : la réduction du minerai de fer par électrolyse. Actuellement la production d’acier émet plus de 6 % des émissions de gaz à effet de serre, notamment à cause de la transformation du minerai de fer (essentiellement composé d’oxyde de fer) en acier. Il faut en effet d’abord désoxyder (= réduire) l’oxyde de fer, ce qui se fait dans des hauts fourneaux en brûlant du carbone solide (le « coke ») : le carbone va se lier avec l’oxygène et l’évacuer sous forme de CO2. Sauf que cela charge le fer en carbone, faisant de la fonte (>2 % de carbone), alors qu’il faut du fer (0,2-2 % de carbone), donc on va utiliser de l’oxygène dans une autre étape pour enlever ce carbone (encore plus de CO2), pour obtenir un fer relativement pur, puis on adapte la composition selon le besoin pour faire de l’acier. Ce procédé extraordinairement polluant, qui demande des infrastructures, dont le prix se chiffre en milliards d’euros, pourrait être réalisé grâce à de l’électricité, sans émettre particulièrement de CO2 et, en plus, dans de petites installations. C’est ce que développe Boston Metals (une autre entreprise soutenue par des fonds majeurs).

Imaginez les quantités pharaoniques d’énergies fossiles qu’on pourrait économiser si ces innovations réussissaient à être viables. Et ce ne sont que quelques exemples parmi une multitude. Et encore ! Je n’ai évoqué que de « grandes » innovations, il y en a une infinité de plus petites, comme, par exemple, pour les panneaux photovoltaïques : les panneaux bifaciaux, les demi-cellules et les technologies de liaison entre cellules (ex : Tiling Ribbon Technology), etc. Chacune apporte quelques pourcents, quelques avantages et fait avancer la technologie. Se priver d’innover est criminel.

Ensuite on peut se demander : est-ce que la planification peut « chercher l’innovation » ?

En effet, innover est très difficile, car il faut être à l’écoute de la réalité : comprendre l’ingénierie, le besoin et le contexte. Même les projets dont je viens de parler (qui sont très solides et soutenus par les meilleurs fonds de capital risque), peuvent toujours échouer : passer de la preuve technique à la viabilité commerciale est un pas de géant. Un problème réglementaire, une meilleure solution concurrente ou le fait que le besoin n’ait pas encore émergé : les risques sont multiples et les appréhender demande une expertise considérable.

Comment l’État pourrait-il faire ce travail d’évaluation ? Les hauts-fonctionnaires ont en général passé toute leur carrière dans l’administration, comment pourraient-ils reconnaître une équipe d’entrepreneurs qui fonctionne bien ? Comprendre les forces et faiblesses d’un modèle d’affaires ? Voir les opportunités de synergies ou de compétition avec les autres projets montant ? C’est d’autant plus douteux qu’à peu près chaque fois qu’un représentant du gouvernement aborde un sujet innovant (hydrogène, NFT …), cela consterne ceux qui connaissent le sujet. Pire encore, on a vu à quel point les politiciens étaient irresponsables avec la fermeture de Fessenheim. Qu’attendre d’eux ? Ainsi dès que le politique intervient, il brouille les cartes : on ne sait plus si un besoin est « réel » ou s’il est produit par une demande politique, qui est souvent temporaire. Par exemple, des entreprises pourraient se dire, avec l’engouement pour les véhicules à l’hydrogène que ce serait une bonne piste à creuser, pour en fait être envoyées dans le mur.

Cela questionne : quel est le rôle que devrait avoir l’État pour favoriser l’innovation ?

Dans ce sens, quelle démarche adopter concrètement pour faire l’inverse ce que promeut le communisme aujourd’hui ?

La première question qu’il faut se poser ici est : qu’est-ce que le communisme ? Pour tous les pays s’en étant réclamés, les partisans de ce soi-disant mode de gouvernement nous expliquent que « ce n’était pas le vrai communisme ». Aucune expérimentation ne correspondrait à cet obscur mode de gouvernement. Rien de réellement concret non plus d’ailleurs, sauf une chose : la petite élite sachant manipuler le discours « communiste » et les foules doit prendre le pouvoir (au nom du « peuple » bien sûr …). Bref, ce qu’on appelle communisme n’est, au final, qu’un régime autoritaire fondé sur des discours quasi-religieux. Maintenant, faut-il faire l’inverse ? Faire l’inverse de quelque chose de désastreux ne veut pas forcément dire faire quelque chose de bien.

Maintenant, la question portait sans doute sur la manière d’éviter l’un des travers de la planification, qui est l’absence de responsabilité et le désalignement des intérêts. Ce qui reboucle avec la conclusion de la question précédente : quelle place pour l’État dans l’innovation ?

Il faut avoir en tête deux problèmes cruciaux :

  • Les politiciens ne sont pas compétents. Pour appréhender efficacement la viabilité d’un projet il ne faut pas juste avoir le rapport d’un fonctionnaire qui décrit son activité et son modèle d’affaires, il faut connaître l’état du marché, ses acteurs, leurs incitations, leur politique, pouvoir visualiser le parcours que prendra l’entreprise, etc. Cela demande de l’expérience et cela demande de savoir comment fonctionnent ces entités et donc d’y vivre. Les politiciens y passent en général en touristes, évoluant surtout dans un microcosme spécifique.
  • Les politiciens ne sont pas responsables : ils n’ont pas particulièrement d’incitation à réussir, ils n’ont pas particulièrement de sanctions à l’échec. En fait, c’est même souvent l’inverse, certains auront intérêt à ce que telle ou telle initiative échoue. 

En même temps, la subvention est un outil économique extrêmement puissant, surtout dans une Europe avec une monnaie unique (le risque inflationniste est mutualisé). De plus, il y a des domaines où la commande va être publique ou bien où la personne publique va être cruciale (ex : le nucléaire).

L’action de l’État pour favoriser l’innovation devrait répondre en priorité à ses faiblesses, face auxquelles il doit être lucide, notamment en interrogeant des réseaux d’information diversifiés et qui sont responsables de ce qu’ils font (ce qui est rarement le cas des ONG rappelons-le) et de coconstruire avec eux.

Un exemple qui va se poser très vite pourrait, par exemple, être la réglementation autour de l’énergie nucléaire : est-elle adaptée aux petits réacteurs modulaires ? Il arrive que des réglementations empêchent mécaniquement, indépendamment des qualités du projet, l’évolution des formats et les innovations en raison de protocoles pensés pour une technologie passée spécifique. On va, de plus, voir arriver des réacteurs de IVe génération avec des systèmes de sécurité passifs extraordinaires, qui rendent l’hypothèse même d’un accident difficile à concevoir. Si la réglementation imposait (j’insiste sur le conditionnel, je ne connais pas la réglementation), par exemple, la présence de pompes à eau pour refroidir le cœur (dispositif de sécurité pour les réacteurs à eau, comme ceux de France), est-ce que cela aurait du sens pour un réacteur à sels fondus, dont la réaction diminue automatiquement en cas de suractivité, ou pour un réacteur comme celui développé par Transmutex, pour lequel la réaction en chaîne est dépendante d’un afflux extérieur de neutrons (apportés par un accélérateur de particules) ? On sous-estime souvent à quel point une réglementation peut être simplement mal faite et à quel point cela peut coûter cher à son économie.

Enfin, pour l’écologie, il faut que les hauts-fonctionnaires soient sensibilisés à la désinformation pseudo-écologique, qui viendra très probablement brouiller leur perception de divers sujets importants. De manière générale, lutter contre la désinformation devrait être un projet central, une condition à une action plus importante de l’État. Le problème étant alors l’influence des désinformateurs au sein de l’appareil d’État, qui pourraient dévoyer une telle initiative.

Alexandre Baumann est notamment l’auteur de : 

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