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Web-documentaires : ce que spectateur veut…  (tu ne lui donneras pas)
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Contre attaque

Pierre Guyot prônait dans sa récente tribune sur Atlantico l’émergence de « web-documentaires populaires », qui se focaliseraient sur ce qu'attendent les Internautes. Mais il se trompe de combat : les œuvres qui deviennent populaires sont celles que l’on apprend à faire aimer.

Nicolas Bole

Nicolas Bole

Nicolas Bole est réalisateur de documentaires et de fictions.

Il est aussi rédacteur en chef webdocumentaires / nouveaux médias pour Le Blog Documentaire.

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La tribune de Pierre Guyot sur le meme sujet :“C’est mon tour” (de France) : quand le web-documentaire devient populaire 

Il fallait se pincer pour ne pas imaginer dans la profession de foi de Pierre Guyot sur Atlantico une note de duplicité humoristique. Le journaliste, également producteur de documentaires, y défendait, en même temps que le lancement d'une application web sur le Tour de France ("C'est mon Tour !"), un point de vue iconoclaste sur le documentaire. Son visionnage serait conditionné, "comme pour le documentaire télévisuel, par un déterminisme culturel, fort souvent lié au déterminisme social". Mais surtout, l’homme de plaider pour "une création numérique populaire, capable de dire au public, à tous les publics, que les web documentaires peuvent s’adresser à tous".

Si la première partie de sa tribune révèle quelques vérités, sa façon d’y répondre est pour le moins simplificatrice. Car ici, la formulation, les mots employés sont bien souvent des révélateurs de la pensée qui sous-tend aux écrits. Ici même comme ailleurs (en politique par exemple), les raccourcis sémantiques dressent une carte mentale de l'idée de culture, et de l'objectif qu'on lui assigne. Chez Pierre Guyot, la cible est claire : les webdocumentaires trop compliqués, aux sujets pas assez fédérateurs. Et au lieu d'entrer dans le détail de ce qui, parfois, pèche dans ces œuvres, il s'en tient à un crédo qui doit, pour lui, guider la création sur le web : s'adresser à tous les publics.

Pour Pierre Guyot, le web devrait faire comme la télé, s’adresser aux "masses" alors même que le web permet enfin de s’en affranchir et d’exister par niches, qu'il convient d'essayer d’agrandir. Au nom de quoi le documentaire (et son avatar web, tout autant), né d'une longue tradition qui doit au regard d'auteur et à la défense du point de vue contre toute forme de vox populi, devrait désormais, au prétexte que la "révolution technologique" nous le permet plus aisément, à tout prix être attirant et parler à tous ? D'où vient cette obsession commune aux directeurs de chaîne et aux journalistes polémistes, de ne voir produits que des "objets" que tout le monde puisse comprendre (comprenez : sans effort, naturellement, comme un bon programme familial "concernant" comme le Tour de France) ?

La réponse est peut-être à trouver du côté de cet axiome de l'offre et de la demande qui, de la sphère économique, a gangréné depuis belle lurette le monde des médias. Pierre Guyot n'exprime pas autre chose que l'antienne religieuse de l'audimat. Cesser de se poser la question de l'œuf ou de la poule, c'est accepter de facto que c'est la demande qui conditionne l'offre de programmes. Et encore, une demande biaisée, transformée par la paresse de celui qui "offre" : si le spectateur veut du simple, du convivial, du pas chiant, pourquoi ne pas lui donner (surtout si cela évite de se poser des questions de fond et de forme) ? "Ce que spectateur veut, doit être accompli", c'est un peu ce qu'on pourrait lire au frontispice des créateurs de contenus, plus que bienvenus sur le Net, en lieu et place des artistes indélicats. Car au final, tout documentaire qui explore, sur le web, une nouvelle méthode narrative, un sujet difficile, constituera certes un "webdocumentaire passionnant et bien fait", mais risquera d'enfermer le "webdocumentaire et le crossmedia" dans un "carcan". Heureusement, il ne s'agit pas "de dénoncer un quelconque sectarisme". Ouf, nous voilà rassurés !

C'est que, pour l’un des fondateurs d'Atlantico, la simplicité se range du côté du populaire. Et le populaire, bien entendu, serait l'inverse du public cultivé et intellectuel, qui constitue l'apanage du documentaire. On a vraiment l’impression que le populaire pour Pierre Guyot, ça reste, malgré Facebook et le web 2.0, Intervilles.

Au risque de passer pour les empêcheurs de professer en rond, nous avons décidé, au Blog Documentaire, de continuer à considérer le documentaire et le webdocumentaire comme des films, c'est-à-dire du cinéma (au sens le plus large que ce terme puisse évoquer). La différence avec le reportage ou l'interface web participative est simple : au cinéma, il est question de point de vue et de subjectivité assumée. Le webdoc aborde certes une nouvelle phase dans cette recherche : les procédés narratifs spécifiques au web démultiplient les possibilités de raconter, de saisir le réel à partir de toutes sortes de sources (l'actualité éventuellement, la politique ou le sport, mais aussi l'art, la danse, la poésie, la sociologie, le conte...). Ils modifient aussi nos usages de spectateur, voire d'acteur, en proposant des régimes de perception différents.

L'intérêt ne se situe ni dans une forme ni dans une autre, mais dans la manière dont le documentaire se régénère pour questionner notre façon de voir, sans qu'il cède à une forme préétablie, formatée. En  opposant dispositifs web participatifs (qui ont par ailleurs tout leur intérêt sur la toile) et documentaires d'auteur, Pierre Guyot semble souhaiter l'avènement des premiers (et pour tout dire, une sorte d’uniformisation du genre) au motif que les seconds ne seraient pas populaires. C'est un vœu pieu, mais il est à souhaiter que les observateurs du (web)documentaire que nous sommes donnent envie aux spectateurs de s'ouvrir aux nouvelles formes, parfois complexes (et pas toujours réussies, mais c'est une autre histoire), de narration, plutôt que de s'arc-bouter sur la nécessité d'un art populaire, qui n'existe pas ex nihilo. Les œuvres qui deviennent populaires sont celles que l'on apprend à faire aimer, pas celles qui se désignent tour à tour comme "simples", "accessibles", "non geek" ou "attirantes".

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