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David McLean a publié "The Case for Shareholder Capitalism How the Pursuit of Profit Benefits All".
David McLean a publié "The Case for Shareholder Capitalism  How the Pursuit of Profit Benefits All".
©ERIC PIERMONT / AFP

David McLean

De nos jours, il est de bon ton de s’offusquer de l’enrichissement des actionnaires. Même les libéraux n’osent pas les défendre ouvertement. Pourtant, si David McLean a raison, la recherche de profit des actionnaires bénéficierait à toute la société.

Le commerce consiste à échanger des biens ou des services contre de l’argent. Dans une société libre, autant le vendeur que l’acheteur bénéficient de cet échange. C’est pour cette raison qu’ils y prennent part. Quand une personne achète un kilo de pommes de terre, elle estime que ce bien vaut plus que l’argent qu’elle dépense pour l’acquérir et le vendeur considère inversement que cet argent qu’il reçoit vaut plus que tout le travail fourni pour mettre ce bien en vente. Tous deux sortent donc gagnants de la transaction. Pour que personne ne puisse impunément leur voler le fruit de leur travail et donc les décourager d’entrer dans ce genre de transaction, il faut toutefois garantir le droit de propriété. Une société où ce droit est respecté et où les citoyens sont libres de commercer est, pour l’économiste David McLean, ce que l’on appelle le capitalisme.

Dans une telle société, le vendeur peut être une entreprise qui est la propriété d’un nombre plus ou moins grand d’individus, chacun détenant un nombre défini d’actions (shares) ou titres de propriété. Ces propriétaires sont ce que l’on appelle des actionnaires (shareholders). Quand ils sont très nombreux à détenir une telle entreprise, ils ne peuvent pas directement la diriger. Ils nomment donc un dirigeant (ou PDG), dont la fonction est de leur assurer des bénéfices. Qu’un actionnaire s’enrichisse n’a donc rien de choquant, comme on l’entend parfois. De la même façon qu’un individu qui vend un bien ne le fait que s’il y trouve un intérêt, un dirigeant d’entreprise cotée en bourse ne doit entrer dans une transaction que si les actionnaires en retirent des bénéfices. C’est dans la logique de sa fonction. Mais le fait que les actionnaires tirent profit de l’activité de l’entreprise ne signifie pas qu’ils sont les seuls à en bénéficier. Comme dans l’échange du kilo de pommes de terre, tous ceux qui opèrent une transaction avec l’entreprise en tirent aussi des bénéfices.

Pourtant, une des grandes critiques adressées à ce capitalisme actionnarial est qu’il permettrait aux actionnaires de s’enrichir aux dépens des autres citoyens. Il est vrai que l’objectif d’une entreprise est uniquement de créer de la richesse au bénéfice de ses propriétaires ou actionnaires. Mais l’erreur de cette critique est de penser que le profit provient d’un jeu à somme nulle, c’est-à-dire d’un jeu où ce que l’on gagne se fait toujours aux dépens d’autrui. Comme mentionné ci-dessus, dans une société libre, le commerce apporte un bénéfice mutuel, sinon les protagonistes arrêtent d’y participer. Dès lors, pour qu’une entreprise fasse du profit, il faut que les personnes qui sont partie prenante de son activité y trouvent aussi un bénéfice. Autrement dit, faire du profit revient implicitement à apporter satisfaction à des clients, des employés et des fournisseurs. L’enrichissement des actionnaires ne se fait donc pas aux dépens des autres citoyens.

En outre, bien que l’objectif des entreprises soit de faire du profit, la plupart échouent. Comme le rappelle McLean, plus de la moitié des entreprises ferment leurs portes moins de cinq ans après avoir démarré leurs activités. Quand une entreprise réussit à faire du profit ou du moins à être rentable sur des années, il y a donc une multitude d’entreprises qui échouent et une pléthore d’actionnaires qui perdent leurs investissements. Aussi est-il compréhensible que ceux qui ont investi dans la première, et qui ont donc permis à d’autres personnes d’en bénéficier, jouissent de ses profits. N’est-il pas juste que les prises de risque qui améliorent le bien-être global soient récompensées ?

Une autre grande erreur à propos du capitalisme actionnarial est de considérer qu’il favorise l’investissement à court terme. Pour McLean, cette idée provient d’une mauvaise compréhension de ce qu’est une action. De fait, la valeur d’une action ne reflète pas les profits que fait une entreprise à un moment donné, mais les profits qu’on attend qu’elle fasse dans le futur. Plus les profits envisagés sur le long terme sont importants, plus l’action a de la valeur. D’ailleurs, le propre d’un investissement est qu’il ne rapporte rien au départ. Il faut parfois attendre 10, 20 ou 30 ans pour qu’une entreprise fasse des bénéfices. Pendant une période plus ou moins longue, la valeur d’une entreprise ne peut donc pas dépendre des profits qu’elle fait, puisqu’ils sont nuls. Elle dépend de la valeur des profits futurs qu’imaginent les investisseurs. Dès lors, si une entreprise se mettait à ne viser que des profits à court terme, la valeur de ses actions dégringolerait aussitôt. Pour que ce ne soit pas le cas, un dirigeant d’entreprise coté en bourse doit montrer qu’il investit intelligemment dans de nouveaux projets ou de nouvelles technologies qui seront payants sur le long terme.

Les critiques du capitalisme actionnarial estiment toutefois que la recherche du profit n’est pas adaptée à un monde aux ressources limitées. Mais McLean rétorque que c’est oublier que l’objectif d’une entreprise, qui consiste à œuvrer au bénéfice des actionnaires, conduit à utiliser les ressources de la façon qui satisfait au mieux la société. De fait, si son utilisation des ressources n’est pas optimale, une autre entreprise saura créer les mêmes biens pour moins chers et finira par la remplacer. D’ailleurs, imaginons que les entreprises ne cherchent pas à faire du profit. Cela signifie qu’elles ne chercheraient plus à produire des biens qui seraient à la fois appréciés et considérés comme ayant plus de valeur que les ressources utilisées. De fait, c’est bien cette capacité à valoriser des ressources d’une manière qui satisfait la société qui fait le succès d’une entreprise. Cette indifférence au profit conduirait donc à une utilisation sous-optimale des ressources. Ce qui est bien sûr absurde quand on s’inquiète de la limite de ces dernières. Aussi est-il important pour les entreprises elles-mêmes de réussir à satisfaire la société en utilisant le moins de ressources possible. Or c’est exactement ce qu’essayent de faire les dirigeants d’entreprises quand ils cherchent à maximiser le profit des actionnaires.

Poussant leurs critiques, les adversaires du capitalisme vont parfois jusqu’à s’en prendre à la recherche du profit en tant que telle. Nous n’en aurions pas besoin, pour bien vivre, disent-ils. Pire, elle nuirait à notre bien-être. McLean montre toutefois que cette idée est trompeuse. À partir d’un niveau de technologie donné, une entreprise crée des biens. En cas d’innovation technologique, elle peut en produire davantage ou de meilleure qualité avec la même quantité de travail ou de ressources. Autrement dit, l’innovation permet à une société de produire davantage ou plus facilement ou mieux à partir de la même quantité de travail ou de ressources. L’innovation a donc un effet positif : elle améliore la qualité de vie dans la société. Mais comment encourage-t-on l’innovation ? Pour McLean, le mécanisme est simple. Quand une entreprise crée un bien qui trouve ses acheteurs, elle tire des bénéfices de son activité. Elle pourrait chercher à ne pas faire davantage de profit et donc à ne pas chercher à innover. Mais si elle ne fait pas d’effort en ce sens, un compétiteur risque de le faire à sa place et d’occuper son marché, puisqu’il pourrait produire les mêmes biens pour moins chers ou des biens similaires de meilleure qualité. Une entreprise a donc besoin d’innover pour survivre et c’est autant la recherche du profit que la peur du déclassement qui lui donne envie d’innover. Au bout du compte, la recherche de profit est ce qui permet, si ce n’est de mieux vivre, d’éviter de vivre moins bien.

Si la recherche du profit est donc un des moteurs de l’innovation, encore faut-il avoir les moyens d’innover. C’est là que les actionnaires, rappelle McLean, jouent un rôle fondamental. Innover ne s’improvise pas. Une entreprise doit trouver des fonds. Elle dispose de trois sources pour cela. Soit elle investit une partie ou la totalité de ses profits dans la recherche d’innovation. Soit elle fait un emprunt. Soit elle émet des actions. Utiliser les profits est très bien, mais il faut qu’ils soient déjà réalisés. Le problème de la dette est qu’il faut commencer à la rembourser relativement rapidement, alors que la recherche d’innovation ne portera pas ses fruits avant des années. En outre, les prêts à l’innovation sont risqués (il y a beaucoup d’échecs) et les perspectives de retours sont fixes, c’est-à-dire que le gain du prêteur n’augmente pas avec le succès de l’innovation. Ce qui n’est pas très motivant pour les préteurs potentiels. En revanche, les actionnaires ne demandent pas à être remboursés à une échéance précise. Certes, eux aussi peuvent perdent leur investissement, mais en cas de succès de l’innovation leurs gains pourront être substantiels. C’est cette perspective qui les motive à prendre des risques en investissant dans des entreprises innovantes et c’est donc grâce à eux qu’elles existent. Critiquer le fait qu’ils fassent de grands bénéfices, comme c’est courant de nos jours, revient donc à remettre en cause ce qui est le moteur de l’innovation et donc ce qui permet l’amélioration de notre qualité de vie.

Même ceux qui reconnaissent ces bienfaits du capitalisme peuvent parfois reprocher aux entreprises de ne chercher qu’à faire du profit. Elles devraient aussi, disent-ils, être au service de la société et du bien commun. Mais, pour McLean, appliquer cette idée relève presque du détournement de fond. De fait, dans un échange commercial, bien que le vendeur et l’acheteur œuvrent pour leur intérêt propre, tout le monde en sort gagnant, c’est-à-dire que la société s’en porte mieux. Pour la même raison, soutient McLean, c’est parce qu’il œuvre à accroître le profit de l’entreprise que son dirigeant, s’il y réussit, contribue au bien-être de la société. Dès lors, imaginons maintenant qu’un dirigeant d’entreprise cotée en bourse, oubliant que son rôle est de maximiser le gain des actionnaires, reverse une partie des profits de l’entreprise à des associations ou réponde à certaines de leurs idées politiques en se détournant d’activités rentables. Cette démarche aurait déjà le défaut d’être arbitraire. Pourquoi telles associations ou telles activités et pas telles autres ? Elle relèverait aussi d’un abus de pouvoir puisqu’un dirigeant d’entreprise est censé travailler au service de ses propriétaires, c’est-à-dire les actionnaires, et non au service de groupes de pression, aussi bien intentionnés soient-ils. Surtout, cette démarche aurait le défaut de diminuer la capacité de l’entreprise à satisfaire toutes les personnes qui sont partie prenante de son activité, à savoir ses clients, ses employés et ses fournisseurs. Ce qui aurait pour conséquence de lui faire perdre de la valeur, d’attirer moins d’investisseurs, de lui faire courir le risque d’être déclassée et, au bout du compte, de moins contribuer au bien-être de la société. Des critiques de ce capitalisme actionnarial pourraient rétorquer qu’il faut quand même penser au bien commun. Mais McLean répond qu’il n’y a pas d’autre bien que celui des individus qui constituent la société. Comme le profit d’une entreprise reflète le niveau de satisfaction des membres de cette société, c’est bien en œuvrant au profit des entreprises que l’on améliore la situation des citoyens.

Cette logique actionnariale ne signifie pas qu’une entreprise peut faire n’importe quoi pour sa recherche de profit. Elle doit suivre les règles que s’impose démocratiquement la société libre à laquelle elle appartient. Entre autres, elle ne doit pas polluer plus que ce qui est autorisé. Pourtant, il arrive souvent que les militants des causes environnementales demandent que les entreprises en fassent davantage ; par exemple, qu’elles réduisent fortement leurs émissions de CO2 alors que la loi ne l’impose pas. McLean rappelle alors que, malgré des externalités négatives, l’activité d’une entreprise a aussi des effets positifs, comme la création de richesses, de biens, de services et de métiers. Il doit donc y avoir un compromis. Il n’est pas toujours facile de déterminer lequel est le meilleur. C’est bien pour cela qu’il y a des débats politiques. Mais si les réductions que les militants veulent imposer aux entreprises vont au-delà de ce qu’exige la régulation officielle, c’est bien qu’elles ne sont pas démocratiquement acceptées, du moins pas encore. Il est donc paradoxal de prétendre défendre le bien commun en rejetant le compromis que la société a elle-même élaboré. En revanche, en respectant la régulation officielle issue d’un processus démocratique, c’est bien par la recherche du profit qu’une entreprise œuvre au mieux pour la société.

Voilà succinctement présentées quelques idées développées par McLean dans ce livre très pédagogique. Outre ses rappels bienvenus d’économie, son grand mérite est de montrer à quel point les débats politiques reflètent très souvent une ignorance ou incompréhension de la façon dont fonctionne justement l’économie.

Thomas Lepeltier

Compte rendu de :

The Case for Shareholder Capitalism

How the Pursuit of Profit Benefits All

David McLean

Cato Institute, 2023, 256 p., 12.55 £

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