Un Premier ministre tout neuf pour « réarmer la France »… mais contre quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En nommant Gabriel Attal Premier ministre, Emmanuel Macron a évoqué la « mise en œuvre d’un projet de réarmement et de régénération ».
En nommant Gabriel Attal Premier ministre, Emmanuel Macron a évoqué la « mise en œuvre d’un projet de réarmement et de régénération ».
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Discours martial

En nommant Gabriel Attal Premier ministre, Emmanuel Macron a évoqué la « mise en œuvre d’un projet de réarmement et de régénération ».

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Dominique Calmels

Dominique Calmels

Dominique Calmels est Cofondateur de l’Institut Sapiens.

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Atlantico : Contre quoi la France a besoin de se réarmer ? Ses élites qui ont renoncé à la politique au nom de l'expertise ?

Christophe Boutin : Lorsqu’il a employé le mot de « réarmement » dans ses vœux aux Français, Emmanuel Macron a décliné la thématique sur deux plans : le réarmement déjà entrepris depuis son arrivée au pouvoir d’abord, concernant l’économie et les services publics ; les réarmements nécessaires et à venir ensuite : réarmement civique, dont on peut penser qu’il imaginait alors qu’il serait mené par son ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, mais aussi réarmement industriel, technologique ou scientifique. Il ajoutait enfin un dernier réarmement, celui de « notre souveraineté européenne ».

C’est donc bien cela le « réarmement » pour Emmanuel Macron, le renforcement des capacités du pays en termes de moyens, mais aussi, élément indispensable, celui des qualités morales de sa population et de son unité derrière les « valeurs républicaines » par le réarmement civique – et sur ce dernier point le terme n’est pas sans évoquer un autre, qui fut à la mode ces dernières années, celui de résilience. Mais le chef de l’État, dont on sait le goût pour les discours guerriers, que ce soit lorsqu’il évoque de vrais conflits, comme l’Ukraine, ou la « guerre » à mener contre la pandémie du Covid, reprend naturellement avec ce terme une thématique qui, psychologiquement, séduit l’électorat de droite. On retrouve presque le vieux clivage entre les « pacifistes » de gauche et les « militaristes » de droite que nous avons connu dans notre histoire politique, notamment au cours du XXe siècle : Emmanuel Macron veut une France forte contre les dangers qui la menacent, quand certains de ses opposants se refuseraient à lui en donner les moyens.

Il ne s’agit en tout pas de réarmer contre des élites qui auraient « renoncé à la politique au nom de l’expertise », et ce d’autant moins qu’elles sont au pouvoir. Dans une approche très saint-simonienne du fonctionnement de l’État - on n’ose même plus dire de la politique -, il appartiendrait en effet maintenant aux experts de faire les choix nécessaires pour nos société, choix que les politiques se contenteraient d’aider à traduire en normes. Des tels présupposés conduisent de nos jours à un envahissement du quotidien des citoyens par des normes ou, a minima, des consignes, qu’il est obligatoire ou au moins prudent de suivre. 

Dominique Calmels : L’image de se réarmer peut faire peur car elle fait immédiatement référence à la guerre. Nous ne sommes pas en guerre mais malgré tout dans une compétition féroce contre de nombreux autres pays et régions du monde. L’ambiance de cette compétition fait concrètement penser à une guerre. Il faut défendre son territoire, ses exportations, son savoir-faire, ses méthodologies, ses équipes, sa réputation. Il n’y a aucune volonté de coopérer mais bien au contraire de faire disparaitre l’adversaire. D’aller plus vite et plus fort. La France doit réarmer ses forces, son esprit de compétition, son savoir-faire, le respect entre les personnes, motiver sa jeunesse et s’appuyer sur elle pour construire le monde à venir.

Contre quel mal (ou renoncement) la France doit-elle se régénérer ? 

Christophe Boutin : Arrêtons-nous un instant sur ce mot de « régénération », qui n’est pas anodin. Dans un ouvrage auquel il serait bon de revenir, Le religieux et le politique dans la Révolution française, le philosophe Lucien Jaume s’était penché sur son utilisation au moment de la Révolution française – et on se souviendra que le titre du livre programme d’Emmanuel Macron était Révolution. Par la régénération révolutionnaire, expliquait Jaume, il s’agissait de rompre avec l’Ancien régime et de bâtir une nouvelle société, mais aussi de retrouver l’ancienne, ce stade naturel rousseauiste détruit par la captation des biens et celle, consécutive, du pouvoir. Le mot a alors une très nette connotation religieuse - retour en quelque sorte à un paradis perdu - et implique que l'ensemble de la société suive le nouveau mot d'ordre - ceux qui s’y refusent, crispés sur leurs intérêts individuels, privant les autres de cette chance. 

Imposant comme une évidence le monde auquel il faudrait parvenir – ou qu’il faudrait retrouver – la régénération ne laisse en fait aucune marge de manœuvre, et aboutissait sous la Révolution, soit à la Terreur, soit à la régénération par la loi. Nous ne sommes pas soumis aujourd’hui à un régime de Terreur, même si, çà et là, on s’approche de plus en plus souvent de la loi des suspects, mais la régénération par la loi est bien proche de ce que nous évoquions, de cette avalanche de petites contraintes mesquines décidées par les experts et transformées en normes, et qui – pour notre bien ! –réduisent chaque jour nos espaces de liberté. Température maximale de chauffage à respecter, aliments à éviter, boissons à limiter, biens usés à recycler, termes politiquement corrects à employer, nous devons mériter le meilleur des mondes en devenant des hommes nouveaux par le respect scrupuleux de règles parfois bien peu convaincantes. Le tout avait explosé on s’en souviendra au moment des ubuesques règlementations de la crise sanitaire (se faire à soi-même son autorisation de sortie, à l’encre et pas au crayon, ne pas se promener en forêt ou sur une plage vide), qui prouvèrent la capacité du pouvoir à imposer n’importe quoi en punissant sévèrement les contrevenants – mais Joseph de Maistre, évoquant la Révolution, n’écrivait-il pas qu’elle « punit pour régénérer » ?

On comprend à cette aune que le mal qui mine la France, ce qui l’empêche de se régénérer, c’est finalement cette capacité des Français à devenir ces « Gaulois réfractaires » dénoncés par Emmanuel Macron lors d’un de ses voyages à l’étranger, c’est le peu de goût de nos concitoyens pour ces diktats qui attentent à leurs libertés. Contre ce mal, qui n’en est un que parce que la France doit nécessairement se régénérer selon les projets de nos experts, on pourra sans doute proposer un « nouvel élan », on pourra même tenter de le susciter, mais, en fin de compte, on finira toujours par l’imposer. 

Plus globalement, quelles sont les racines des maux français ?

Christophe Boutin : Le premier de ces maux, pour les dirigeants actuels, est très certainement un conservatisme contre lequel Emmanuel Macron s’est élevé dans de nombreux discours, et qui peut prendre les formes diverses des conservatismes économique, politique ou social, qui, tous, hérissent leur progressisme. Conservatisme par exemple que celui du petit propriétaire immobilier, pour cela taxé au point d’être quasiment frappé d’un loyer versé à l’État, quand le financier voit diminuer ses impôts au motif supposé qu’il participerait, lui, à la grande aventure de la start-up nation. Conservatisme que celui des fonctionnaires qui n’admettent pas que l’on remette en cause la règle du jeu valable au moment de la signature de leur contrat. Conservatisme aussi que celui des tenants de la réalité biologique des sexes dans un monde nécessairement fluide. Conservatisme encore que celui de ces manants de la France périphérique qui se plaignent de la disparition des services publics et ne recourent pas à l’administration dématérialisée. Dans le monde de la régénération, il faut « de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » comme le clamait Danton – au risque d’un activisme irréfléchi : « Attaquons, attaquons comme la lune » se moquait le général Lanrezac. Table rase donc des conservatismes donc, qui, sachant naturellement évoluer en fonction des circonstances, avaient pourtant permis de bâtir notre nation. 

Mais justement, le nationalisme, voici la seconde racine du mal français. Un nationalisme anxiogène, sinon, belligène, un nationalisme aveugle aux grands bouleversements internationaux, un nationalisme qui voudrait faire croire encore à la grandeur d’un pays qui, seul, ne représenterait plus grand chose, et moins encore au fur et à mesure que son PIB décroît. Contre ce nationalisme, la solution, affirmée par Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir, c’est bien évidemment la souveraineté européenne, autrement dit, par des transferts de compétence toujours plus importants, la transformation des nations européennes en nationalités plus ou moins folkloriques placées sous la coupe d’institutions composées, là encore, d’experts, et, là encore, réglementant à l’envi tout et n’importe quoi. Loin de devoir promouvoir des valeurs propres, nationales, le seul mérite des Français serait de prôner un universalisme béat – et béant - qui retrouve certains élans de la période révolutionnaire.

Dominique Calmels : Les Français sont passionnés par l’histoire et sont convaincus d’avoir accomplis tellement de choses depuis des centaines d’années qu’ils n’ont plus rien à démontrer. Leur vision du monde dans lequel ils vivent est un mélange de satisfaction sur leur passé et de manque de motivation à accepter les changements exigés par l’économie mondiale, la compétition internationale. Ils ne sont pas satisfaits du fonctionnement de leur pays, mais très heureux de vivre en France. Ils sont comme la grenouille dans le bocal chauffé, pour l’instant tout va bien, elle bouge encore, mais la paralysie et l’endormissement la gagnent. Ils vivent au-dessus de leurs moyens, le savent, mais demandent toujours plus à l’Etat. Tous les pays autour d’eux prennent des décisions efficaces en matière de gestion des finances publiques pour réduire leur endettement, pour se donner les moyens d’investir, de réformer. Mais à l’image des gaulois d’Astérix, les Français résistent à ces politiques efficaces et nécessaires et s’enfoncent avec une dette de plus de 3 000 milliards dont les intérêts vont bientôt représenter le poste le plus élevé des dépenses de l’état.La solution ? Devenons un pays « jeune et moderne », créatif et volontaire, laissant de côté ses vieilles habitudes. N’ayons plus peur de prendre des risques.

Gabriel Attal est plus politique que Elisabeth Borne, Jean Castex et même Edouard Philippe. Saura-t-il mettre en oeuvre le projet de réarmement et de régénération évoqué sur X par Emmanuel Macron ?

Christophe Boutin : Plus politique en quel sens ? Jean Castex et Édouard Philippe ont tous deux été des élus locaux, et le second d’entre eux l’est encore. Autrefois, dans le cursus honorum qui conduisait à des fonctions gouvernementales, il importait d’avoir justement cet enracinement local. Gabriel Attal l’a eu, mais pas plus que les deux précités, la seule différence notable étant ici avec une Élisabeth Borne qui n’a été élue qu’alors qu’elle était déjà Première ministre. S’agit-il ensuite d’avoir été à des fonctions politiques importantes avant que d’être Premier ministre ? Tous ont été dans des cabinets ministériel ou à la tête de hautes administrations. 

Ainsi, si l’on peut qualifier Gabriel Attal de « plus politique » que ses trois prédécesseurs, c’est peut-être uniquement parce qu’on lui trouve un sens politique plus affiné ou affirmé, que traduirait son irrésistible marche, fort jeune encore, vers les plus hautes fonctions. Et si la question est de savoir si Gabriel Attal est un fin politique en ce sens qu’il saurait finement jouer de l’opinion publique, il n’y a guère de doutes sur ce point. Il a par exemple parfaitement intégré la nécessité de renouer avec les Français qui se sentent plongés malgré eux dans une situation de déclassement, cette classe moyenne à laquelle il vient de dire, dans son discours d’intronisation sur le perron de Matignon, qu’il était particulièrement attaché – ce qui passe, notamment par le rétablissement de cette méritocratie républicaine scolaire qui permettait à ses enfants de progresser. 

La vraie question va être de savoir si, dans la durée, ses propositions sont suivies d’effets, et quels en sont les effets réels, car ce jeune homme pressé n’est pas resté assez longtemps dans ses précédents postes pour que l’on puisse réellement apprécier l’impact qu’il aurait eu. Sommes-nous en face d’un excellent communiquant, comme d’ailleurs son maître Emmanuel Macron a pu être souvent l’être, qui sait utiliser ces mots qui déclenchent une sorte de réflexe de Pavlov chez l’électorat âgé que, là encore comme son maître, il veut absolument fidéliser ? Sommes-nous devant un vrai réformateur, prêt à nuancer certains éléments du projet progressiste macronien pour, avant de régénérer, répondre enfin aux inquiétudes des Français dans un certain nombre de domaines ? Nous n’en savons rien encore, mais nous pouvons être certains d’une chose : la main de Gabriel Attal, quand il aura fait ses choix, ne tremblera pas en choisissant les moyens qu’il jugera nécessaire pour les mettre en œuvre.

Dominique Calmels : J’ai l’impression qu’il pourra le faire, il a une force politique naturelle. Il n’a que 34 ans mais « en même temps », il joue son avenir politique en prenant ce rôle. Si sa volonté est de rester en politique au plus haut niveau, voire d’être candidat à la présidence de la République un jour, il doit, dans ce cas, mettre en place les projets attendus par les Français et montrer sa capacité à faire grandir la France dans un monde compliqué. A son jeune âge, il n’est pas encore déformé par les années de carrière politique, il croit encore à ses idées. En revanche, l’opposition va être forte aussi bien à gauche qu’au sein même de l’Etat et de son administration, certains vont découvrir sa forte personnalité.

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